PAGES D’HISTOIRE: L’ENTREPRISE S.A.G.E.M (SAFRAN) À DOMÉRAT: LA TRAVERSÉE DU XXè SIÈCLE (1933-2000)

MISE À JOUR:  25 JANVIER 2024

Jean-Paul PERRIN

allier-infos@sfr.fr

 • Il y a  quatre-vingt dix ans, l’usine S.A.G.E.M . de la Côte-Rouge, à Domérat,   sortait de terre et accueillait ses toutes premières équipes d’ouvriers et de techniciens. On était à la fin de l’année 1933 et, quelques mois plus tôt, outre-Rhin, Hitler était arrivé au pouvoir… En quelques années, elle allait devenir ce qu’elle est restée depuis : une des entreprises phares de l’agglomération montluçonnaise et l’un des principaux centres de production du groupe. L’aventure de la Société d’Applications Générales d’Electricité et de Mécanique, née de la volonté de Marcel Môme,  un jeune ingénieur des Arts et métiers, avait commencé huit ans auparavant, dans un hangar désaffecté des Chemins de fer de l’Etat, avenue de Clichy, à Paris. Avec la Côte-Rouge, la S.A.G.E.M. ouvrait son deuxième site industriel, prélude à son développement futur.

• À l’heure où la S.A.G.E.M. est devenue  une des  composantes du groupe SAFRAN,  il n’est sans doute pas inutile de rappeler, à travers l’exemple de l’usine de la Côte-Rouge,  que ces trois quarts de siècle ne furent pas qu’un “long fleuve tranquille”…Cet article, qui ne prétend  évidemment pas à l’exhaustivité, est centré sur la période comprise entre 1933-34, date de  l’ouverture de l’usine de la Côte-Rouge, et  l’aube des années 2000. En d’autres termes, la traversée du XXème siècle…

 

« PRÉHISTOIRE » DE LA S.A.G.E.M…

AVANT SON INSTALLATION

À DOMÉRAT (1925-1933)

 ◘  FONDATEURS ET  FONDATION

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◘ Marcel MÔME (1899-1962), le fondateur

• L’histoire de la S.A.G.E.M est indissolublement liée à celle  de son fondateur, Marcel Môme (1) , un jeune ingénieur des Arts et Métiers, né le  11 janvier 1899 à Clermont-Ferrand.  D’origine modeste, il est le fils de Pierre Môme (1867-1951), un employé de l’octroi, chargé de percevoir des redevances municipales sur certaines denrées entrant dans la ville, et de Marie Môme, née Dufour (1869-1921), une couturière. Tous les deux ont foi dans la promotion sociale par l’école de la République. Après le passage obligatoire par l’école communale, Marcel Môme a montré suffisamment de dispositions pour qu’on le pousse à poursuivre des études dans l’enseignement technique, une voie qui devrait le conduire, au pire,  à un emploi d’ouvrier qualifié, voire d’agent  de maîtrise, et au mieux,  à la préparation du prestigieux  concours de l’école Nationale des Arts et Métiers de Cluny où il sera admis en 1917. Il y  côtoie alors certains de ceux qui contribueront, quelques années plus tard,  au démarrage de la future  S.A.G.E.M.

• La Grande guerre, dévoreuse d’hommes et de vies, le rattrape en 1918. A dix-neuf ans, avec sa classe d’âge, il se retrouve appelé sous les drapeaux,  ouvrant une parenthèse dans le cours de ses études. C’est seulement en 1920 qu’il est rendu à la vie civile et, en 1921, il sort enfin de Cluny, nanti de son diplôme d’ingénieur des Arts et métiers. Dans une  France qui panse ses plaies et qui s’est lancée dans la Reconstruction, avec la reconversion industrielle vers l’économie du temps de paix, les propositions ne manquent pas pour un jeune Gadz’arts. Il trouve ainsi un premier emploi dans la capitale auvergnate, à l’usine des frères Michelin, avant de rejoindre la  Compagnie des Signaux et d’Entreprise Electrique.

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Le parcours professionnel de Félix Verny, beau-père et principal soutien financier de Marcel Môme (© Archives Nationales)

• La société dirigée par Félix  Verny, vient de créer un nouvel établissement à Riom. Malgré ses diplômes, Marcel Môme est embauché d’abord  comme  simple ajusteur. Cette pratique qualifiée parfois « d’usinage » est alors courante et elle le restera à la S.A.G.E.M. jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Elle vise à donner une formation pragmatique, en prise directe avec la réalité  des postes de travail, tout en faisant découvrir les rouages de l’entreprise à ceux qui auront à y occuper des postes de responsabilité.

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◘ Le tout premier atelier de la SAGEM, avenue de Clichy, à Paris (1925): un simple hangar désaffecté…

• Au confort d’une carrière qui s’annonçait brillante et sans histoires, Marcel Môme préfère l’aventure de la création de l’entreprise. À vingt-cinq ans, l’homme est ambitieux et parce qu’il veut voler de ses propres ailes, il quitte la Compagnie des Signaux en 1924. Quelques semaines plus tôt, le 2 juin 1924, il avait épousé Claudine Masson-Verny, la fille du directeur de la Compagnie des signaux. De cette union naîtront deux fils, Pierre et Marcel Môme, ainsi que deux filles, Claudine et Pierrette Môme (2). C’est à Paris qu’il s’installe en 1925 pour  fonder la Société d’applications générales d’électricité et de mécanique ou S.A.G.E.M. avec un capital de 250.000 F (soit l’équivalent d’environ 200 000 €  d’aujourd’hui). En bon Auvergnat, il sait que les finances lui sont comptées et il n’est pas question de se lancer avec de tels moyens dans des investissements immobiliers dispendieux. La jeune entreprise se contentera donc de louer  aux Chemins de fer de l’Etat un atelier désaffecté de 400 m2, aux allures de hangar, situé au 175 bis avenue de Clichy à Paris.

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◘ Plan de l’atelier de Clichy ou l’art de rationaliser l’espace au maximum

• L’objectif est clair : « faire de la mécanique ». Pour y parvenir, le jeune ingénieur n’est pas sans atouts. Grâce à ses passages chez Michelin et à la Compagnie des Signaux, outre une solide expérience qu’il a pu acquérir, il a ses entrées dans les deux entreprises, qui vont figurer parmi ses tout premiers donneurs d’ordres. Il a également noué des  liens en Auvergne et aux Arts et Métiers, à Cluny,  avec des hommes prêts à le suivre dans l’aventure de la création. Enfin, il est assuré du soutien financier de son beau-père, Félix Verny, et de la Compagnie des Signaux. Premier patron de la S.A.G.E.M. jusqu’à son décès en 1962, il « inaugure » une tradition qui va perdurer pendant près de soixante ans :  celle des ingénieurs des Arts et métiers appelés à diriger l’entreprise. Elle s’achèvera avec son gendre, Robert Labarre (1922-1999), avant que celui-ci ne passe le relais à son second gendre, Pierre Faurre (1942-2001), un polytechnicien. Peu enclin aux confidences, avare de paroles, homme d’action avant tout, apparaissant rarement dans les médias, mais gros travailleur, Marcel Môme  restera finalement peu connu du grand public (3).

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◘ Jean BORNET, entré à la SAGEM en 1925, comme “ouvrier à l’étau”, était en 2005 le dernier survivant des “historiques” de la SAGEM

• Toujours par souci d’économie, la plupart des machines ont été  achetées d’occasion et beaucoup d’entre elles proviennent d’une usine de Saint-Etienne qui avait été ravagée par un incendie. Quant aux tout premiers collaborateurs directs, ils arrivent principalement de l’Auvergne et du Bourbonnais. Ils s’appellent  André Alajouanine  (ancien maître tourneur à la Compagnie des Signaux, né à Lapeyrouse en 1899),  Henri Michard (ami d’enfance de Marcel Môme, né au Montet en 1901, autodidacte de la mécanique, et futur directeur des usines SAGEM), Albert Durin (voir sa notice biographique ci-dessous), Louis Vernadat (1907-2004) ou encore Jean Bornet (4). Ce dernier, resté fidèle à Montluçon, était en 2005 l’ultime survivant de cette toute première équipe d’une vingtaine de personnes, après le décès de Louis Vernadat, un an plus tôt, ce qui en faisait une véritable mémoire vivante de l’entreprise.

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◘ La Revue Sagem (1983) rend hommage à Albert Durin, un bel exemple de promotion sociale

•  Jean Bornet  (1907-2011) nous a raconté qu’il était  entré à la SAGEM le 1er septembre 1925 comme simple « ouvrier à l’étau ». Il y a accompli la totalité de sa  carrière, jusqu’en septembre 1972, date à laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, en tant que Chef du personnel de l’usine  de la Côte Rouge,  après avoir été chef de l’ordonnancement – planning. Le recrutement, se faisait alors par relations personnelles. On connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un…Pour vérifier les compétences réelles du futur ouvrier, on lui fait réaliser une pièce relativement compliquée à exécuter. Jean Bornet nous a confié avoir été convoqué par Marcel Môme en personne afin de lui signifier son renvoi pour cause de non conformité de la pièce réalisée. Sur les conseils d’André Alajouanine, il laissera passer quelques jours avant de se représenter dans l’entreprise qui, cette fois-ci, lui ouvrira une carrière de près d’un demi-siècle. Un tel parcours, avec de telles conditions de recrutement,  est alors loin d’être unique.

◘  LES PREMIÈRES FABRICATIONS 

Quand SAGEM fabriquait des pièces pour le Pathé baby...
◘ Quand SAGEM fabriquait des pièces pour le Pathé Baby

• Dans le hangar des l’avenue de Clichy, à l’espace vite saturé, on s’oriente vers deux types de fabrications, en refusant dès l’origine toute spécialisation ou toute dépendance trop forte vis à vis d’un client. C’est d’abord la mécanique qui occupe une part importante du personnel : outillages divers, petites séries de pièces ou moules pour Michelin. Robinets pour les chemins de fer, crics, bielles et pièces moteur pour la T.C.R.P. (l’ancêtre de la R.A.T.P.), voire machines pour la compagnie des Signaux. Dans cet inventaire à la Prévert, émerge aussi la fabrication de nombreuses pièces pour les caméras et projecteurs Pathé Baby dont plus de  60.000 exemplaires seront produits avant la fin des années 1920.

• L’autre branche d’activités, c’est l’électricité : Installation de colonnes montantes  dans les immeubles parisiens pour faire passer les fils électriques  dans les étages des immeubles ou l’alimentation en énergie des grands centraux téléphoniques du ministère des Postes et télécommunications. D’autres équipes, enfin, sont détachées auprès des ateliers de réparation pour les chemins de fer. C’est ainsi que de nombreux  salariés œuvreront, à la fin des années 1920, aux  chantiers de réparation de wagons de Montrouge ou de diverses gares de triage…

Les ateliers de Montrouge où des employés SAGEM réparent les wagons
◘ Les ateliers de Montrouge où des employés SAGEM réparaient des wagons pour les Chemins de fer

• Selon Jean Bornet, la stratégie de Marcel Môme était de « faire de tout », d’éviter les trop grandes spécialisations, de disposer d’une clientèle large pour faire face aux fluctuations des commandes. Ce point de vue est d’ailleurs confirmé par Edmond de Andréa qui écrit : « Le nom même de l’entreprise montre qu’il s’agit de lancer  une activité sans idées préconçues des produits qu’elle va vendre et fabriquer, mais qu’elle va saisir toutes les occasions qui se présenteront dans ce domaine très large. L’objectif est donc pragmatique : il s’agit d’assurer le développement de l’entreprise » (5). C’est sans doute cette souplesse et cette diversité qui permettront à la toute jeune entreprise de surmonter la crise du début des années 1930.

En 1926, un an à peine après sa fondation, la S.A.G.E.M. compte déjà 50 salariés: « L’ambiance de l’avenue de Clichy est celle d’une ruche (…). Les abeilles, ce sont habituellement  les provinciaux montés à Paris parce que l’adresse de la S.A.G.E.M. commence à se répandre dans les environs de Clermont-Ferrand, de Riom ou de Montluçon. Ces provinciaux suppléent à leur technicité modeste par la volonté et la capacité  d’apprendre, notamment au contact de ces ténors que sont certains ouvriers parisiens » (6).

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◘ Après l’avenue de Clichy, de nouveaux locaux à Argenteuil qui abritaient auparavant la société T.P.F.L.

•  Dans les deux années qui suivent la fondation, la croissance se confirme et s’amplifie, à tel point que l’on ne peut plus caser de nouvelles machines. Il faut dénicher un nouveau site, capable d’absorber les développements futurs. Ce sera le départ de Paris pour Argenteuil, avec l’installation rue de la Tour-Billy, dans des locaux qui appartenaient à  la société Travaux Publics Force et Lumière. Leur architecture présente bien des similitudes avec ce qui sera celle de la future usine de la Côte Rouge. Pour faire face  aux besoins financier, le capital qui avait été porté une première fois à 500.000 F passe à  2.000.000 F (environ 1,2 million  € actuels). En même temps, la société installe son siège  au 26 rue de Naples, à Paris. En tout, 150 salariés se répartissent désormais  entre Argenteuil et le siège parisien.

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◘ L’intérieur de l’usine d’Argenteuil, au début des années 1930
R Sagem Rue Clichy _ mai 1968
◘ Les retrouvailles, en 1968,  des Anciens de l’avenue de Clichy, dont plusieurs ont fait carrière ensuite à Montluçon

◘  UNE CROISSANCE RAPIDE

  SUR FOND DE CRISE MONDIALE

1929: Le "jeudi noir" à Wall Street
◘ 24 Octobre 1929: Le « jeudi noir » à Wall Street: le début de la crise mondiale

 • Si l’année 1929 sonne le glas de la prospérité pour le monde capitaliste, avec le Krach boursier de Wall Sreet,  le fameux Jeudi noir du 24 octobre, elle marque pour la S.A.G.E.M. un véritable tournant : l’entreprise, qui a su faire ses preuves, s’oriente progressivement vers des fabrications plus fines que celles de ses débuts, avec  notamment les tout premiers équipements  électro-optiques pour la Marine nationale. Une tendance qui s’affirme encore avec l’arrivée en 1930  d’un ingénieur de l’Artillerie navale, Marcel Pasquet, qui deviendra directeur technique. C’est lui qui sera chargé provisoirement de la direction de l’usine de la Côte Rouge dans les jours agités qui suivront la Libération. La société travaille aussi pour le ministère de la guerre,  en livrant  ses premiers  conjugateurs mécaniques pour l’artillerie, véritable ancêtre des  calculateurs de tirs actuels : « Dès 1935, la S.A.G.E.M est capable de réaliser des appareils complexes  tels que des postes de direction de tir, des plates-formes pour télémètres et télépointages de nuit, des traceurs de route (Bertin) ce qui ne manque pas d’ailleurs de soulever des problèmes car leur réalisation n‘est pas toujours un simple travail d’exécution mais demande des capacités d’études », ce qui conduit « à la mise en place d’un bureau d’études, d’un atelier de prototypes et d’un laboratoire dont l’importance ira croissante »(7).

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◘ Marcel MÔME (vers 1930): « Un meneur d’hommes« …

• Pour Edmond de Andréa, Marcel Môme « est surtout animé d’une formidable volonté de réussir (…). Il est un meneur d’hommes  (qui) anticipe les évolutions technologiques et effectue les choix judicieux » (8). L’homme semble aussi capable de trouver les mots justes pour motiver ses collaborateurs. Sa fille cadette, Pierrette, épouse de Pierre Faurre,  évoquera «  sa réputation d’homme  réfléchi, prenant  des décisions mûries  qui s’avéraient justes, entraînant l’adhésion de ses collaborateurs directs et, en cascade, du personnel ».(9)

• En s’appuyant sur ce « double jeu », qui allie la variété des donneurs d’ordres avec la diversité des productions et de leur niveau de complexité,  la S.A.G.E.M. parvient à  franchir sans véritables encombres le cap de la crise. Alors que d’autres entreprises, et non des moindres, comme  Citroën, se retrouvent au bord du gouffre,  Marcel Môme voit avec satisfaction la courbe des effectifs progresser à nouveau. Les  150 salariés de 1928, sont devenus 386 à la fin de 1932…Ils seront  514  à la fin de 1933 et 883, un an plus tard. Une croissance en partie absorbée par l’ouverture progressive entre 1933 et 1934 d’une seconde usine au lieu-dit la Côte-Rouge, sur la commune de Domérat : « Après avoir drainé vers Paris et Argenteuil des cohortes de professionnels du centre de la France, la S.A.G.E..M. leur propose de maintenir un emploi au pays ».(10)

LA CÔTE-ROUGE : UNE USINE

SORT DE TERRE  À DOMÉRAT (1933-1934)

◘ LES DÉBUTS DE L’USINE

DE LA CÔTE-ROUGE

30 janvier 1933: Hitler arrive au pouvoir
◘ 30 janvier 1933: Hitler arrive au pouvoir en Allemagne. La SAGEM  crée l’usine de la Côte-Rouge

• Pour faire face à l’expansion de la S.A.G.E.M., Marcel Môme se tourne à nouveau vers son beau-père, Félix Verny, et vers la Compagnie des Signaux. C’est avec ces deux partenaires qu’il a constitué en janvier 1933 la Société de constructions électriques et mécaniques (S.C.E.M.), en vue d’acquérir des terrains et d’y édifier les nouveaux  ateliers. Là encore, la création d’une entité juridique distincte de la S.A.G.E.M. répond avant tout à la prudence de gestion, l’investissement n’étant pas sans risque. C’est d’ailleurs la toute première fois que l’entreprise investit directement dans l’immobilier, alors qu’elle s’était jusqu’à présent contentée de la location de ses locaux, avenue de Clichy tout comme à Argenteuil. La S.C.E.M. cédera finalement ses actions en juillet 1934 à la Compagnie des Signaux et d’entreprises électriques.

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◘ L’emplacement de la nouvelle usine, en bordure de la Route de Châteauroux, sur une partie des anciens domaines du Cros

• On peut s’interroger sur les raisons qui ont motivé le choix de la Côte-Rouge, entre Domérat et Montluçon, la première commune étant dirigée par une municipalité communiste depuis 1925, la seconde étant conduite par le socialiste Marx Dormoy qui, depuis mai 1926 a succédé à Paul Constans. Il y a d’abord une opportunité : la mise en vente d’une grande partie des domaines du Cros qui étaient alors propriété du Comte François-Augustin-Hubert  Avril de Grégueuil, attaché d’ambassade, demeurant au 7 de l’avenue du Président-Wilson (l’actuelle avenue Marx-Dormoy). Les trente-huit hectares d’une seul tenant, proposés pour  un prix raisonnable,  peuvent ainsi constituer une importante réserve foncière pour d’éventuelles extensions. Selon d’autres sources, une partie des terrains mis en vente auraient également appartenu à Antoine Môme, l’oncle de Marcel Môme. 

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◘ Quelques-uns des pionniers de la SAGEM et de  l’usine de la Côte Rouge en 1971 (extrait de la revue SAGEM)

•C’est ensuite la possibilité pour nombre de Montluçonnais “exilés” à Paris ou à Argenteuil, de renouer avec “ le pays ”. Formés  à l’esprit de la maison, ils vont constituer l’ossature du personnel chargé de lancer les premières fabrications. On sait par ailleurs que le vivier industriel montluçonnais est riche en petites et moyennes entreprises de la mécanique ou de l’électricité dont le personnel, souvent très qualifié et polyvalent, sera aisé à débaucher, compte tenu des avantages sociaux et salariaux que leur propose la S.A.G.E.M. Les deux autres motifs du choix de la Côte Rouge tiennent sans doute à la vision de l’avenir qu’avait Marcel Môme.

Le lycée de garçons de Montluçon qui héberge dans ses locaux l'École pratique
◘ Le lycée de garçons de Montluçon qui héberge dans ses locaux l’École Pratique d’industrie

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• Le lycée de garçons de Montluçon dispose d’une filière réputée de l’enseignement technique, la fameuse Ecole Pratique d’industrie qui prépare au prestigieux concours des Arts et Métiers (11). Aux côtés des Gadz’arts, les « recalés », avec un niveau de connaissances bien plus qu’honorable, fourniront des cohortes de techniciens. Enfin, la Côte-Rouge, par sa position centrale et son éloignement des frontières, avec une desserte ferroviaire qui était en ce temps-là de qualité, constitue un emplacement de choix pour une entreprise qui entend bien jouer de plus en plus  la carte de la Défense.

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◘ juillet 1933: les halls de la future usine de la Côte Rouge sortent de terre

• Sitôt les terrains acquis, les premiers contrats de construction sont passés. Tout le gros œuvre est confié à l’entreprise Baron (12), rue du Chevau-Fug à Montluçon et les travaux peuvent commencer au cours du printemps et de l’été 1933. Ils portent sur la construction des trois  premiers halls métalliques de 45 m de long et 15 m de large, soit plus de 2.000 m2 de surface couverte. Le premier hall abritera les magasins et le contrôle, le deuxième les machines outils et le troisième l’ajustage. Toute la partie basse des toitures est couverte en tuiles, la partie  haute étant  en verre, pour favoriser la luminosité, avec entre les deux des lanterneaux pour l’aération (13).

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◘ Une autre vue des halls en construction: plus de 2 000 m2 de surface couverte. La partie basse de la toiture sera couverte de tuiles et la partie haute vitrée

◘  PREMIÈRES EMBAUCHES

EN RÉGION MONTLUÇONNAISE

L’ouverture de l’usine de la Côte-Rouge va se faire au fur et à mesure de l’avancement des travaux, avec une montée en régime des embauches. Dès le mois de novembre 1933, une cinquantaine de “contrats d’embauchage” ont été signés par la “S.C.E.M., route de la Chapelaude à Montluçon”. Nombreux sont ceux que l’on recrute  comme “ manœuvre” et qui vont participer aux derniers travaux d’aménagement et de montage des machines. Sur le contrat (n°49) signé le 23 novembre 1933 par Armand Philippon, 23 ans, domicilié à  “Villars par Domérat”,  on peut lire qu’il est “embauché sans durée déterminée comme manœuvre (…)., conservant le droit absolu de quitter l’usine le jour qui lui conviendra, une heure après avoir  prévenu le contremaître (et) exiger le paiement des salaires dus (…). Dans le cas de travaux aux pièces et à la prime, lorsque le travail ne sera pas réceptionné  au départ de l’ouvrier, le boni, s’il existe, lui sera adressé, sur sa demande, à ses frais  en mandat postal, quatre jours au plus tard après son départ”.

Un des tout premiers contrat d'embauchage, signé le 23 novembre 1933. C'est la S.C.E.M. qui recrute
◘ Un des tout premiers “contrat d’embauchage”, signé le 23 novembre 1933. C’est la S.C.E.M. qui recrute Armand Philippon, 23 ans, comme “manœuvre”, et ”sans durée déterminée”

• De son côté, le salarié “reconnaît par réciprocité le droit de le remercier (sic) ou de le congédier, à tout moment, en prévenant une heure à l’avance” Pour sévères qu’elles paraissent, ces clauses n’en sont pas moins au diapason de ce qu’elles étaient à l’époque dans toutes les entreprises. Le contrat stipule enfin que “les présentes bien réfléchies seront exécutées de bonne foi par chacune des parties et ne pourront donner lieu à aucune contestation, en raison de leur clarté et de la commune volonté exprimée”. Au dos du contrat figure le “règlement des ateliers (qui) s’applique indifféremment à toutes les personnes travaillant dans les ateliers”. Il y est précisé que l’embauche ne pourra se faire qu’après “un essai dont la durée ne devra pas dépasser huit heures” et que  “si l’ouvrier est reconnu bon par le contremaître, ce dernier fixera  le taux de travail à l’heure (…). Si l’essai est reconnu mauvais,  l’ouvrier devra quitter l’atelier sur l’ordre qui lui sera donné sans aucune indemnité”. On retrouve là les mêmes conditions que celles qui avaient présidé à la constitution des équipes de l’avenue de Clichy puis d’Argenteuil.

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Un des ateliers de la Côte-Rouge à la fin des années 1930
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◘ André ALAJOUANINE (1899-1967), directeur de l’usine de la Côte Rouge 1933-34 à 1944

•  L’ouverture de la Côte-Rouge permet le retour au pays de plusieurs “Argenteuillais”. Avant la fin de 1933, André Alajouanine vient prendre la direction de l’usine montluçonnaise. À trente-quatre ans, l’ancien salarié de la Compagnie des Signaux a derrière lui onze ans de “maison” et il figure dans le petit noyau de ceux qui ont cru dès 1925 dans l’aventure S.A.G.E.M. Au passage,  il cède la direction d’Argenteuil à un autre Bourbonnais, Henri Michard qui finira sa carrière en 1968 comme directeur de l’ensemble des usines, avant de disparaître en  1989.  Albert Durin, lui aussi Bourbonnais,  est chargé d’organiser le travail  sur le modèle parisien : “Les méthodes et la standardisation n’ont pas encore cours dans une usine où il faut à la fois bâtir, car tout est loin d’être fini, embaucher, former” (14). Louis et Roger Vernadat, Roger Godard ou Jean Bornet, eux aussi aspirés par la rue de Clichy et par Argenteuil, redescendent à Montluçon. L’entrée de l’usine est flanquée de deux maisons pour abriter la conciergerie et le contrôle des entrées et sorties. Pour assurer le gardiennage de la nouvelle usine, Marcel Môme a choisi de nommer à ce poste son propre oncle, Antoine Môme. Son nom apparaît sur les tables de recensement de la commune de Domérat en 1936 et en 1946, avec la mention « Concierge ». Il réside dans le logement aménagé à l’entrée de l’usine, en compagnie de son épouse.  (15).

Le hall des machines en 1935
◘ Le 2ème  hall dédié aux  machines-outils, à la Côte-Rouge, en 1935. Les châssis métalliques latéraux supportent un arbre de transmission qui anime les tours et les fraiseuses

Les effectifs de la Côte-Rouge connaissent une croissance très rapide : Environ 100 emplois à l’ouverture complète en 1934, 300 en 1935-1936  et près d’un millier  en 1939. Dans un premier temps, à la différence de Dunlop, le recrutement concerne peu les enfants de vignerons qui désertent massivement le travail de la vigne. Le géographe Bernard Marchand notait en 1971 que   “la S.A.G.E.M. emploiera peu de vignerons au départ, demandant surtout du personnel qualifié qu’elle recrutera au lycée technique de Montluçon, cause importante de son implantation” (16).  En fait, il s’agit de l’Ecole pratique d’industrie, dont des sections préparent aux Arts et Métiers. Robert Labarre, gendre de Marcel Môme auquel il  succédera à la tête du groupe, y a fait une partie de ses études. On fait aussi appel à des personnels issus des Ateliers de la Ville-Gozet, ex-ateliers Poynot qui sont alors sur le déclin. Saint-Jacques fournit également des recrues, tout comme les petits patrons de la mécanique. À leur grand désespoir, ils voient ainsi partir quelques-uns de leurs meilleurs ouvriers. Ce n’est qu’à partir de 1937 que l’apprentissage, qui a débuté dès 1934, prendra son essor et commencera à former des générations d’ouvriers jusqu’à la toute dernière promotion, entre 1962 et 1965. En trois décennies, ce sont 534 apprentis qui passeront par cette voie de formation.

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◘ L’entrée de l’usine, au début des années 1940, à 13 h 50. À droite: le pavillon des gardes. En face de l’usine , on aménagera rapidement des jardins ouvriers

• Pour fidéliser son personnel, la SAGEM met en place à la Côte-Rouge une politique sociale maison. Celle-ci prévoit des congés payés institués en 1928, soit huit ans avant la loi de 1936. En 1935, ils représenteront déjà deux semaines. On peut y ajouter des allocations familiales gérées par l’entreprise, un système de gratifications de fin d’année et le premier arbre de Noël en 1934. L’intéressement aux résultats de l’entreprise existe, quant à lui, depuis les toutes premières années. Une partie des terrains situés face à l’usine,  qui ont été eux aussi acquis par l’entreprise devaient initialement être utilisés pour y construire des pavillons destinés à  loger l’encadrement de l’usine. Une pratique relativement courante à l’époque. Finalement, ils   seront lotis en jardins ouvriers, cultivés jusqu’à l’aube des années 2000.  Sous l’Occupation, comme ce sera le cas pour les usines Saint-Jacques et Dunlop,  ces jardins constitueront un moyen non négligeable pour améliorer l’ordinaire, en terme de ravitaillement. Les jardins ouvriers de la Sagem, qui ont survécu tant bien que mal jusqu’à l’installation du nouveau site Coriolis,  avaient la réputation d’être les mieux entretenus. Il faut rappeler que, parmi les ouvriers embauchés à la Côte Rouge, figuraient  des enfants de paysans ou de vignerons et que le travail de la terre ne leur était donc pas inconnu.

◘  PREMIÈRES FABRICATIONS 

À LA CÔTE-ROUGE

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◘ Des fabrications « sensibles » pour la Défense, comme des projecteurs pour batteries côtières

• Les toutes premières fabrications consistent  en travaux à façon, d’abord pour l’usine d’Argenteuil, avec  notamment l’usinage de pièces détachées  de matériel militaire. A partir de 1935, l’usine prend son autonomie avec des commandes directes de l’Etat : des centraux téléphoniques, des génératrices à manivelle et des projecteurs pour la marine nationale, ce qui nécessite la création d’un atelier d’optique pour lequel tout est à apprendre. Pour faire face à de nouveaux métiers, selon Jean Bornet (17) on a dû envoyer un ouvrier spécialiste de la chaudronnerie en Italie pour étudier la question du travail du verre. Jusqu’en 1939, la Côte Rouge fabriquera  aussi des éléments de compas gyroscopiques ou gyrocompas, de répétiteurs de caps et du matériel d’artillerie divers. Pour les gyrocompas, brevetés par deux constructeurs, l’un allemand (Anschütz), l’autre anglo-saxon (Sperry et Brown), la demande de fabrication sous licence a été refusée mais la S.A.G.E.M. réalise des pièces détachées et participe activement à l’équipement d’une soixantaine de navires de la marine nationale.

Marché passé entre la SAGEM et l'armée française
◘ Un marché passé entre la SAGEM et la marine nationale
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◘ Projecteur à arc fabriqué en 1939

• Une telle montée en puissance est rendue possible par plusieurs augmentations de capital, une nouvelle participation de la Compagnie des Signaux, et une introduction en Bourse dès 1936. Ce qui n’exclut pas le maintien d’une gestion à l’auvergnate. Georges Labarre, petit-fils du fondateur de la S.A.G.E.M., parle de “gestion prudente (car) nous étions près de nos sous”  au point, précise-t-il, d’utiliser  “pour le courrier interne des enveloppes usagées”(18)

Le cuirassé Strasbourg lancé en 1936
◘ Le cuirassé Strasbourg lancé en 1936, avec des équipements de navigation fournis par la SAGEM
Les compas gyroscopiques du cuirassé Strasbourg
◘ Les compas gyroscopiques SAGEM du cuirassé Strasbourg

 LES GRANDS MOUVEMENTS SOCIAUX

À L’USINE DE LA CÔTE-ROUGE

(JUIN 1936 – NOVEMBRE 1938)

Entre juin 1936 et novembre 1938, l’usine de la Côte Rouge a connu trois grands mouvements sociaux, de durées inégales, marqués  par des tensions et des affrontements, entre les personnels en grève et la direction de l’usine, mais aussi parfois entre  grévistes et non grévistes. Deux d’entre eux s’inscrivent dans un cadre revendicatif national (juin – août 1936 et le 30 novembre 1938) tandis que celui de juillet 1937 relève du cadre local, à l’initiative du syndicat de la métallurgie de la région montluçonnaise. Le conflit le plus long, celui qui a marqué le plus durablement  les mémoires, est incontestablement celui de l’été 1936.

◘ JUIN – AOÛT 1936:

UN ÉTÉ  AGITÉ  À LA S.A.G.E.M.

Mai 1936: la victoire du Front Populaire
◘ Mai 1936: la victoire du Front Populaire…Prélude aux grèves avec un nouveauté: l’ occupation des usines montluçonnaises par les grévistes

◘ LE CONTEXTE DES GRÈVES

•  Au moment de la victoire du Front Populaire, aux élections législatives d’avril-mai 1936, la S.A.G.E.M. aborde sa troisième année de présence à la Côte-Rouge. Eugène Jardon, maire de Domérat et candidat communiste a été devancé au premier tour par Marx Dormoy, maire de Montluçon et candidat SFIO, qui a été élu député au second tour  sous la bannière du front Populaire, comme tous les autres députés du département (19). La victoire du Front Populaire qui a fait campagne sur le thème fédérateur Paix, Pain, Liberté suscite un immense espoir, auprès des salariés des usines montluçonnaises, après des années de crise économique et de salaires bas. Il n’est donc pas étonnant que les grèves aient touché toutes les usines, dans un bassin où la tradition syndicale et revendicative a toujours été forte.

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◘ Juin 1936: Le piquet de grève installé devant l’usine occupée et paralysée

◘ DES GRÈVES ENTRE ESPOIR ET TENSIONS

• La S.A.G.E.M. n’est pas épargnée par ce nouveau mode d’action et de revendication qu’est la grève avec l’occupation des usines ou “grève sur le tas”. À Argenteuil, commencée le 1er juillet 1936, elle va durer, sans discontinuer, jusqu’à la dernière décade du mois d’août, soit 54 jours de blocage total. À Montluçon, la première  grève débutée  dans l’après-midi du lundi 1er juin se soldera par la signature d’un accord, prélude à l’évacuation de l’usine de  la Côte Rouge par les grévistes, dès  le vendredi 12 juin, en fin de journée. Tout aurait été bien qui finissait bien… si les personnels du site montluçonnais ne s’étaient pas remis en grève  à partir du 5 août 1936, mais cette fois-ci par solidarité avec leurs camarades d’Argenteuil qui n’avaient pas cessé leur combat entamé un mois plus tôt. Contrairement à la précédente grève,  le mouvement montluçonnais allait s’inscrire dans la durée, ne trouvant un dénouement qu’au bout de quatre semaines.  Un mouvement marqué par des tensions entre grévistes et direction de l’usine et, plus épisodiquement, entre les salariés eux-mêmes. Juillet et août 1936, qu’on associe souvent aux premiers congés payés,  n’ont donc pas été “ un long fleuve tranquille”, à Argenteuil comme à l’usine de la Côte-Rouge.

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◘ Le comité de ravitaillement des grévistes: la solidarité paysanne extérieure va  jouer

• Dans l’album souvenir officiel consacré aux soixante ans du groupe SAGEM,  on évoque succinctement “des grèves bon enfant mais non sans empoignades verbales” (20). Ces grèves, accompagnées de l’occupation de l’usine, considérées par eux comme une véritable atteinte au droit de propriété, André Alajouanine à Montluçon et Marcel Môme à Paris, ont du mal à les comprendre. Le “ traumatisme” ressenti se double  d’une véritable “hantise”. À leurs yeux, cette occupation par des salariés, dont certains sont réputés  proches du parti communiste, pourrait être aussi l’occasion de faire pénétrer dans l’usine des éléments étrangers  au personnel de la S.A.G.E.M. De là à imaginer qu’on pourrait voir  fuiter plans et secrets de fabrications militaires, il n’y a qu’un pas. Un argument que ne manquera pas de faire valoir la même direction lors de la seconde grève.

• Autre question qui taraude les dirigeants de l’usine: pourquoi donc les salariés revendiqueraient-ils ? Pour les congés payés ? La loi votée par le Parlement le 11 juin 1936  ne fait qu’entériner ce qui existait à la S.A.G.E.M. depuis 1929, avec déjà deux semaines, complétées par des congés d’ancienneté introduits dans l’entreprise dès 1934. La semaine de travail qui est ramenée de 48 à 40 heures, dès le 12 juin, est certes un nouvel avantage, tout comme les hausses de salaires prévues par  les accords de Matignon, entre 7% pour les salaires les plus hauts et 15 % pour les plus bas.

André Chicaud
◘  André Chicaud

• En réalité, si la grève a été plus dure que ne veut bien le reconnaître l’histoire officielle, elle s’explique certainement davantage par le malaise profond  qui semble  venir du climat social au sein de l’entreprise, mélange de paternalisme et de fermeté. Ce climat, André Chicaud (1914-2000), alors jeune militant politique et syndical de la CGT, futur résistant et déporté, l’avait évoqué en puisant dans ses souvenirs, à l’occasion du cinquantenaire du Front Populaire (21). Après avoir débuté comme ouvrier aux Hauts-Fourneaux, il avait fait partie des premiers embauchés à la S.A.G.E.M. en 1933 : “ De 1933 à 1934, se remémorait-il,  c’était une usine où on était exploité. Il fallait travailler et se taire. On vous embauchait sur le coup en une heure et, une heure après, on pouvait vous balancer à la porte sans dire le motif. Avant 1936, le syndicat était pour ainsi dire clandestin. On était une quinzaine de syndiquées sur 300 ouvriers. Les premiers tracts d’usine ont été faits à la SAGEM, mais on les a fait distribuer par d’autres. Si je m’étais joint à la porte pour distribuer des tracts, je ne serais pas rentré ”.

•  On est donc plus sensible aux hausses de salaires, au libre exercice du droit syndical, à la liberté d’expression dans l’entreprise et à  l’application des conventions collectives prévues dans les accords Matignon, qu’aux congés payés. Conséquence de cette détermination, racontée par André Chicaud:  “ Je suis monté sur un tour  et j’ai lu la Convention collective.  On a formé une délégation qui est allée la porter au patron… Alors on a fait grève cinq ou six jours. Les gars avaient soudé  la porte de l’intérieur pour qu’il n’y ait pas de sabotage dans l’usine occupée où les machines étaient impeccables”.(21)

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◘ Le comité de “popote” installé dans l’usine pour nourrir les grévistes

• De cet épisode, il reste quelques rares photos prises à l’époque (21 bis). L’une montre le piquet de grève devant l’usine, avec une banderole déployée “Pour la liberté”. Les autres présentent  le “comité de popote ” qui assure le ravitaillement des grévistes à l’intérieur de l’usine. À quelles dates ont-elles été prises? Pour le piquet de grève, on peut raisonnablement penser  à la période de la première grève, entre le 1er et le 12 juin 1936, puisque l’on y promeut “l’unité” et qu’on y réclame “la liberté” (le respect de la liberté syndicale) qui sera inscrite dans les accords de Matignon. En ce qui concerne le “comité de popote”,  on peut penser que les photos renvoient à la seconde grève, tout au long du mois d’août 1936. En s’inscrivant dans la durée, elle nécessitait la mise en place d’une telle organisation. Une autre photo montre  la liste des “renards”  de l’usine qui ont été  pendus symboliquement en effigie. Il s’agit des non-grévistes, soutenus par la direction. Là encore, elle renvoie à la seconde grève qui a vu des tensions surgir entre grévistes et non grévistes. 

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◘ Eugène Jardon, maire de Domérat: un soutien actif aux grévistes

Ajoutons que  la campagne proche apporte un appui logistique, tout comme à l’usine Dunlop , pour assurer le ravitaillement sur place. Un fait qui ne doit pas surprendre, nombre d’ouvriers de l’usine de la Côte-Rouge étant des enfants de paysans ou de vignerons. Les municipalités ne sont pas en reste: à Montluçon, avec Marx Dormoy, et de manière plus active à Domérat, commune dirigée par le communiste Eugène Jardon, on participe à l’organisation du ravitaillement et le conseil municipal vote des aides. Paradoxalement, la grève semble finalement avoir été plus dure à la S.A.G.E.M. qu’à l’usine Dunlop où, selon le géographe et historien  Pierre Couderc, “les ouvriers-paysans étaient plus préoccupés par les travaux importants de la fenaison que par l’activité militante” (22).

Les accords de Matignon mettent fin aux grèves

◘ RETOUR SUR LA CHRONOLOGIE

DES DEUX GRÈVES DE 1936 À LA CÔTE-ROUGE

JUIN 1936…UNE DIZAINE DE JOURS DE GRÈVE

• La première grève éclate  à l’usine de la Côte Rouge, simultanément à  celle d’Argenteuil, le lundi 1er juin, en début d’après midi. À cette date, les poids-lourds de l’industrie montluçonnaise que sont Dunlop, Saint-Jacques ou les Hauts-Fourneaux ont déjà basculé dans la grève.

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Un groupe de grévistes (juin ou août 1936).

• Pour porter les revendications des salariés  qui ont été rassemblées dans un cahier, une délégation a été constituée mais, dans un premier temps, André Alajouanine, fort du soutien de Marcel Môme, refuse de la reconnaître. C’est l’élément qui déclenche presque aussitôt l’occupation de l’usine par les salariés grévistes, pour la toute première fois de son histoire. Pour tenter de débloquer la situation, une entrevue est alors organisée entre direction de l’usine et délégués, autour du sous-préfet Belliard, à l’hôtel de ville de Montluçon. Même si un accord semble s’esquisser,  il faudra toutefois attendre le 12 juin pour que les revendications des salariés soient acceptées et qu’un accord soit signé. À 17 h 00, l’usine qui était occupée depuis dix jours est évacuée et un cortège se forme. Ce “défilé de la victoire”, parti de la Côte-Rouge va parcourir la ville, pour se rendre jusqu’à l’hôtel de Ville. Durant ce conflit, Marx Dormoy qui avait été  sollicité par les grévistes,  alors qu’il était à Paris, s’en est remis au sous-préfet Belliard, ainsi qu’à des membres éminents de sa municipalité, tels que Lucien Menut, François Carrias ou encore Paul  Depeige. Incontestablement, c’est leur médiation qui aura permis de trouver un accord. Le travail reprend à la Côte-Rouge, en même temps qu’à  l’usine d’Argenteuil. Mais, dans cette dernière, faute de voir l’application intégrale des accords, la grève va redémarrer, aux premiers jours de juillet.

AOÛT 1936: TROIS SEMAINES DE GRÈVE

PAR SOLIDARITÉ AVEC LES SALARIÉS D’ARGENTEUIL

Début août, le conflit rebondit à Montluçon. Par solidarité avec leurs camarades d’Argenteuil et sans doute avec l’espoir de voir s’abréger leur grève, une majorité des salariés montluçonnais vote pour la grève le 5 août, après qu’une délégation d’Argenteuil eut été reçue pour exposer la situation. Selon la presse locale, Marx Dormoy, à nouveau sollicité, “s’est mis en rapport avec les parties en présence”. Comme cela avait été le cas début juin, des piquets de grève se sont installés devant l’usine qui est à nouveau bloquée et occupée par les personnels grévistes.

SAGEM 2è grève Combat social 9 aout 1936◄  Dans un communiqué reproduit par le Combat social (9 août),  l‘Union centrale du syndicat général des métaux de Montluçon, apporte quelques explications aux Montluçonnais : “Le patronat nous impose un nouveau conflit. La direction de la SAGEM répudie nettement la convention collective de la région parisienne. Elle l’avait pourtant signée. Les ouvriers d’Argenteuil sont en lutte depuis le 1er juillet. Ils ont employé tous les moyens de conciliation (…). Par son intransigeance, par trop exagérée, la direction SAGEM oblige à la misère continue 650 ouvriers et leurs familles. Voilà une situation qui ne peut se prolonger davantage. Les ouvriers de la Côte-Rouge entrent eux aussi en lutte (…). Ils affirment ainsi leur solidarité avec les travailleurs d’Argenteuil. Toute la masse laborieuse montluçonnaise comprendra l’action engagée par les ouvriers (…). La solidarité morale et financière sera dès maintenant organisée. Chacun y répondra avec désintéressement”.

• Le 7 août, le journal local Le Centre aborde pour la première fois la question : “En attendant le résultat des pourparlers de Paris, l’usine de la Côte-Rouge reste occupée mais les ouvriers se relaient par équipe et la grève continue dans le calme”. Un calme qui semble être rompu quelques jours plus tard: “On nous signale que dans la journée d’hier des rixes ont éclaté entre ouvriers de cette usine, les uns voulant continuer l’occupation, les autres étant plutôt enclins à cesser cette grève”, peut-on lire dans l’édition du Centre datée du 12 août.

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◘ Le Combat Social (16 août 1936)

• Face aux bruits qui commencent à circuler à Montluçon, peut-être à l’initiative de la direction de l’usine, l’Union centrale des métallurgistes décide de faire apposer des affiches en ville. On y insiste d’abord sur le fait que c’est “l’intransigeance patronale » qui empêche la sortie du conflit et on pointe “les insinuations mensongères (pour) chercher à influencer les pouvoirs et l’opinion publique”. D’où un démenti formel apporté « aux bruits tendancieux  qui circulent dans la ville”. D’abord, on affirme que dans les ateliers, on prend soin du matériel et que  l’ordre règne. Ensuite, on rejette l’information selon laquelle il existerait « des divisions entre les camarades”. Enfin, on insiste sur le fait que “aucune personne étrangère n’est autorisée à pénétrer dans les ateliers, donc aucun secret et aucun plan, quels qu’ils soient, intéressant la défense nationale ne peuvent être communiqués à l’extérieur”. Une insinuation qui était née  des craintes exprimées par la direction de l’usine de voir s’envoler des “secrets de fabrications militaires”.

• Une intervention avait d’ailleurs été faite auprès des autorités politiques et militaires. Le journal Le Centre du 18 août y fait d’ailleurs référence. Le quotidien, qui ne fait pas mystère de son hostilité au Front Populaire,  déplore au passage, malgré “les nombreux pourparlers et tentatives d’arbitrage” que la grève s’éternise, faute d’accord “sur de nombreuses questions, notamment celles concernant le classement du personnel”. On précise que “M. Daladier, ministre de la guerre, vient de désigner un ingénieur militaire pour procéder lui-même aux classifications qui font l’objet d’un désaccord. Cette mesure a été notifiée tant au personnel des usines d’Argenteuil qu’à celui de la Côte-Rouge. Ces deux établissements, on le sait, fournissent du matériel militaire”. Et le journal d’ajouter que l’on pourrait peut-être  entrevoir une sortie du conflit, “les décisions de l’arbitre (ayant), paraît-il, force de loi, et tant direction que personnel devraient s’y soumettre”.

• Dans le camp opposé, en  conclusion de son communiqué, l’Union centrale des métallurgistes préfère mettre l’accent sur  la solidarité qui s’exerce à travers le ravitaillement des grévistes. C’est l’occasion de “remercier la population montluçonnaise et les commerçants pour le geste de solidarité nous permettant de lutter, nous et nos familles contre nos affameurs”. Une manière de laisser entendre que le conflit peut s’installer dans un temps long.

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◘ Le Centre (23 août 1936)

• Faute d’accord et pour mettre un terme à l’occupation qu’il juge illégale, André Alajouanine décide de porter l’affaire sur le terrain judiciaire. À la mi-août, pour contourner l’exercice légal du droit de grève, une plainte contre X a été déposée pour “violation de domicile et entrave à la liberté du travail”. Pour dresser les constats, la direction de l’usine a fait appel à un avoué montluçonnais, Maître Paul Brun (23). Le journal Le Centre (23 août) indique que “le juge d’instruction a commencé son enquête et a entendu divers témoins dont des membres du piquet de grève”. Une autre action a été  engagée, mais cette fois-ci au civil, croit savoir le journal. Elle viserait à “l’expulsion des grévistes occupant l’usine, toutes réserves étant faites sur des dommages et intérêts éventuels”. Autre précision apportée dans cet article : une ordonnance a été rendue par le juge des référés stipulant que “les locaux de l’usine de la Côte Rouge commune de Domérat devront être rendus libres dans les 24 heures de la signification de l’ordonnance, faute de quoi, passé ce délai, la société sera autorisée à faire procéder à l’expulsion des occupants, en la forme accoutumée, avec l’assistance si besoin de la Force publique”. L’assignation vise plus particulièrement quatre syndicalistes, considérés comme les meneurs de la grève : Antonin Vignaud, chaudronnier,  secrétaire du syndicat CGT et président du Comité de grève, Pierre Bourgeon, chaudronnier, Roger Passat, ajusteur et Jean Peynet.

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◘ Les non grévistes ou “renards” pendus en effigie, devant les jardins ouvriers

• La situation qui semble totalement bloquée va pourtant s’infléchir dans la dernière semaine d’août.  La décision rendue par l’ingénieur militaire chargé d’arbitrer le conflit à Argenteuil a été acceptée par les deux parties et on pourrait s’acheminer vers une reprise du travail. Dans ce cas pourquoi poursuivre la grève “de solidarité” à la Côte-Rouge ? D’autant que des divisions semblent se faire de plus en plus jour  dans les rangs du personnels: ”Un groupement d’employés et d’ouvriers de la Côte-Rouge, au nombre d’environ 150 s’est constitué, nous apprend Le Centre (24 août). Estimant que des malentendus sont la cause du maintien de l’état de grève, ce groupement a demandé à la Bourse du travail de lui ménager une entrevue avec le comité de grève”. Si le nombre annoncé est fiable, cela signifierait qu’à cette date la moitié du personnel de la Côte-Rouge serait contre la poursuite de la grève. Il reste cependant des désaccords “sur le paiement des jours de grève, sur la question des contrats collectifs et sur la classification”. Ce sont ces deux derniers point sur lesquels les négociations achoppent le plus. Face au Comité de grève qui exige une signature immédiate par la direction, cette dernière rétorque que la loi ne le lui permet pas “étant donné que ce contrat doit intervenir pour chaque région entre les organismes syndicaux patronaux et ouvriers avec la collaboration des pouvoirs publics. Or, ajoute la direction, à Montluçon si des projets de contrats collectifs ont été élaborés, ils n’ont point encore été discutés”…

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◘ Le Centre (27 août 1936)

• D’où l’interrogation du même journal, face aux pourparlers qui se poursuivent (25 août) : Peut-on espérer voir bientôt s’achever la grève des ouvriers de la Côte-Rouge qui dure depuis vingt jours”.  Encore quelques jours et la grève qui commençait à produire son lot de lassitude morale et matérielle, avec des personnels  divisés, trouvera son issue dans un accord entre syndicats et direction. L’action de conciliateur du sous-préfet Belliard, à l’origine d’une entrevue qui s’est déroulée à la sous-préfecture de Montluçon, s’est révélé payante. Elle réunissait, le lundi 24 août, les délégués syndicaux et patronaux, auxquels s’était joint un représentant de la Bourse du travail et elle a  débouché sur un accord final. Soumis aux grévistes dès le lendemain, il est approuvé. Dès lors, la grève qui aura duré trois semaines s’achève, la date de reprise du travail étant fixée au jeudi 27 août.

• Malgré le redémarrage des activités,  le conflit a laissé des traces, notamment du côté de la direction. C’est sans doute dans un esprit d’apaisement que les quelques plaintes déposées  par la direction et par des non grévistes pour des dégradations, des disparitions de vêtements, et d’objets divers, voire de légumes, dans les jardins ouvriers, passent à la trappe. Pour pallier la réduction de la durée du travail, de nouvelles embauches doivent être réalisées. Mais la direction de l’usine va très vite revenir sur quelques uns des termes de l’accord, en particulier sur la question de la durée du travail.


◘ 2-19 JUILLET 1937

LA MÉTALLURGIE MONTLUÇONNAISE

EN GRÈVE

• Le 2  juillet 1937, l’usine de la Côte-Rouge se retrouve à nouveau paralysée par une grève qui touche en même temps  toutes les industries métallurgiques du bassin montluçonnais. Elle fait suite, explique le journal Le Centreà une décision surarbitrale fixant le taux de l’indemnité de vie chère  à incorporer au salaire”. Devant  des propositions patronales jugées insuffisantes, la grève est décidée dans tous les grands établissements métallurgiques, à Montluçon mais aussi à Commentry. Il est vrai  que l’inflation, qui sévit alors,  a réduit de manière significative les hausses de salaires qui avaient été obtenues en juin 1936.

Grève métallurgie 4 juilet 1937
◘ Le Centre (4 juillet 1937)

• Si la CGT est à nouveau en première ligne, un syndicat bien  plus modéré comme la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens), tout en émettant des réserves sur la tactique (les piquets de grève et l’occupation des usines), suit le mouvement :“Nous regrettons qu’une grève ait lieu dans une période aussi critique mais nous devons reconnaître que le salaire de certains ouvriers était devenu insuffisant et qu’une augmentation s’imposait afin de mettre ces salaires en concordance avec le coût de la vie.”. Après avoir rappelé que les règles de conciliation avaient bien été observées, le même syndicat  dit “comprendre difficilement la sentence arbitrale” avec des propositions d’augmentation du salaire horaire de 10%, soit moins que l’inflation. Conclusion du syndicat : “En faisant toute réserve en ce qui concerne l’occupation des usines, nous demandons à nos camarades de conserver leur calme et de maintenir à ce conflit son caractère strictement professionnel”.

• On est donc ici sur une revendication purement salariale. Comme en 1936, l’installation de piquets de grève et l’occupation des ateliers est la règle : “Par personnel complet, le jour, par piquets de grève la nuit, les grands établissements métallurgiques restent occupés, explique Le Centre. Aux heures de repas toutefois, les ouvriers qui ne composent pas les piquets d’occupation (sic) peuvent aller prendre leurs repas en famille, précise le même journal.

• Parmi les usines qui se retrouvent contraintes à “une suspension de travail, figurent “les usines Saint-Jacques qui occupent 1 000 ouvriers”, ainsi que  les Hauts-Fourneaux et fonderies de Montluçon (420), l’usine des Fers-Creux (120), Besson (80),   la chaudronnerie Laville (50),  la fonderie de Saint-Jean (15),  l’usine de la Côte-Rouge (430), les  ateliers Randoin (26) et  l’usine des Trillers (85). À Commentry, il y a 430 grévistes à la Forge, 230 aux  Ateliers de Commentry- Oissel, 110 à la fabrique de bandage Pannetier. L’auteur de l’article précise  toutefois que “des pourparlers sont en cours (et que) on ne signale pas d’incident”. Une absence d’incidents majeurs qui n’exclut toutefois pas des tensions. C’est le cas à la Côte-Rouge, entre des contremaîtres et des grévistes, comme on le verra.

• Le conflit ne va cependant pas s’éterniser puisque, moins d’une semaine après son éclatement, les négociations entre délégations patronale et ouvrière, qui se sont succédé en présence du sous-préfet de Montluçon, aboutissent à un accord. Parmi les signataires figurent H. Viteaux, directeur des usines Saint-Jacques, ainsi que Georges Labarre, directeur des Hauts-Fourneaux, dont le fils, Robert Labarre, fera une brillante carrière au sein de la S.A.G.E.M., jusqu’à en occuper le poste de PDG entre 1962 et 1987. L’accord a pu être signé parce que  les grévistes ont accepté de se plier à la demande initiale  présentée par les patrons de la métallurgie, dès les premières séances: “Suivant la loi, les établissement occupés devaient être évacuées avant tout pourparler. Les patrons ayant exigé que la loi fût respectée avant de discuter, les usines ont été évacuées ce matin, conformément d’ailleurs au vœu de la grande majorité des ouvriers”, écrit Le Centre daté du 7 juillet.

• Le lendemain, le travail pouvait reprendre, sauf à l’usine de la Côte Rougela direction a refusé de signer l’accord. Le journal en donne l’explication : “Le personnel de maîtrise de la S.A.G.E.M. avait fait savoir par lettre à la direction  qu’il ne reprendrait pas le travail tant que certains ouvriers coupables d’avoir insulté et menacé un contremaître feraient partie du personnel. Et il s’est refusé à revenir sur cette décision”. Il s’agit en fait de deux ouvriers, dont l’un est le secrétaire de la section syndicale de la CGT. D’un conflit salarial global dans la métallurgie on est donc passé à un conflit interne, André Alajouanine soutenant le personnel de maîtrise.

Lettre syndicat 1 14-15 juillet 1937
◘ Le Centre (14/15 juillet 1937)

◄ Alors que le travail a repris partout ailleurs, la grève se poursuit donc à la Côte-Rouge, ce qui conduit la section syndicale des ouvriers en grève à adresser au journal Le Centre une longue “lettre ouverte à la direction de l’usine, avec prière d‘insérer”. Ce que le journal fait dans son édition du 14-15 juillet 1937. Pour le syndicat, ce sont “les agents de maîtrise  (qui) se sont interdits d’eux-mêmes  l’accès dans l’usine”. Et de rappeler en guise de préambule à André Alajouanine que “connaissant par expérience  les responsabilités que nous supportions  en occupant votre usine nous avons souvenance qu’à Montluçon, seule la S.A.G.E.M. nous attaqua  en dommage et intérêt à la suite du conflit d’août 1936”. C’est en croisant des agents de maîtrise “entre 24 et 1 h du matin, qui se promenaient encore à l’intérieur de l’usine” que le conflit aurait éclaté. : “Dans quel but ces messieurs  se promenaient-ils à pareille heure dans l’usine ? Celui de la provocation, c’est concevable. Est-ce que cela s’est présenté dans les autres usines ? Non !”.

• La suite se résumerait à une discussion, animée certes, entre deux ouvriers grévistes et deux contremaîtres non grévistes. L’occasion de rappeler à l’un de ces contremaîtres ses actions politiques passées. Une conversation donc privée, “alors que ces deux chefs n’étaient plus sous le coup de leur autorité puisque nous étions en grève”, poursuit le communiqué. Au fond, l’incident aurait été “grossi à dessein par la direction”. À l’appui, le communiqué évoque « le personnel ouvrier et la population montluçonnaise dans sa presque unanimité” qui jugeraient “sévèrement ” l’attitude de la direction de  l’usine : “Vous chassez par vos méthodes les meilleurs compagnons et il ne vous est plus possible de recruter d’autres”.  Autre grief : le refus de la conciliation proposée par le sous-préfet. Bref l’atmosphère de conflit et de divisions au sein de l’usine ne seraient que de la seule responsabilité de la direction. Et d’en appeler André Alajouanine à changer d’attitude et de le mettre en garde contre ”toute atteinte à la liberté syndicale” : Le renvoi du secrétaire de la section syndicale serait “un geste inconsidéré (qui) aura(it) au contraire pour conséquence  de venir grossir notre organisation et c’est fort de nos droits que nous rentrerons tous ensemble à l’usine”.

Fin grève 1937 Le centre 18- 19 juillet
◘ Le Centre (18/19 juillet 1937)

• Dans ce conflit qui s’éternise et où chaque camp affirme son bon droit, il faudra pour en sortir toute l’habileté du sous-préfet de Montluçon, à nouveau à la manœuvre, sous la houlette du ministère du travail. Le dénouement apparaît à la lecture des deux communiqués que publie Le Centre (18-19 juillet 1937), l’un émanant de la direction de l’usine, l’autre de la section S.A.G.E.M. du syndicat des métaux.

• Pour la direction, ce dénouement est presque une victoire puisque “l’accord  avec le ministère du Travail en présence d’un représentant de la CGT a été réalisé sur la base des propositions faites  par la direction de la S.A.G.E.M ”.  Le communiqué précise que le travail reprendra  à l’usine de la Côte-Rouge  lundi matin (19 juillet) aux  heures habituelles pour tout le personnel à l’exception des deux ouvriers contre lesquels des sanctions ont été prises. La situation de ces deux derniers sera réglée par la décision  des arbitres désignés hier par les deux parties”. En face, le syndicat des métaux appelle à la reprise du travail“dès lundi 19 juillet aux heures habituelles dans l’attente de la sentence arbitrale à venir”. Comme en juin et  août 1936, cette nouvelle grève n’aura pas été sans  laisser de traces.

◘ L’ÉCHEC DE LA GRÈVE

DU 30 NOVEMBRE 1938

Le centre 30 novembre 1938

• Après la dislocation du Front Populaire, la grève du 30 novembre 1938, apparaît comme un baroud d’honneur syndical de la C.G.T. Par rapport aux grèves de 1936 et 1937, le contexte politique est totalement différent.

Daladier
◘ Édouard Daladier

• La démission du  deuxième ministère Blum, qui n’aura duré qu’un mois (13 mars – 10 avril 1938), marque la fin du Front Populaire, après le départ des Radicaux.  C’est désormais Édouard Daladier, allié au centre et au centre droit, qui dirige le gouvernement, cumulant les fonctions de président du conseil avec celles  de ministre de la défense nationale et de la guerre. Dans ce qui est son troisième ministère, il est entouré notamment de Georges Bonnet aux affaires étrangères, d’Albert Sarraut à l’Intérieur et de Paul Reynaud aux Finances, après avoir officié à la Justice. On est alors neuf  mois après l’annexion forcée de l’Autriche au Reich et deux mois à peine après les accords de Munich.

• Pour Édouard Daladier, qui tourne le dos à la politique menée par le Front populaire, il est temps de “remettre la France au travail”, ce qui passe par la remise en question de plusieurs mesures  décidées en juin 1936, en particulier sur la durée du travail : “ Tant que la situation internationale demeurera aussi délicate, il faut qu’on puisse travailler plus de quarante heures, et jusqu’à quarante-huit heures dans les entreprises qui intéressent la Défense nationale”, a-t-il déclaré à la fin du mois d’août 1938, lorsqu’ont été mises en place les premières  mesures d’assouplissement de la loi sur la semaine de 40 heures.

paul Reynaud
◘ Paul Reynaud

• C’est Paul Reynaud, en charge des Finances depuis  1er novembre, qui va concrétiser cette nouvelle orientation, à travers l’application de décrets-lois du 12 novembre 1938, qualifiés par les syndicats de “décrets de la misère”. Le premier concerne les infractions à la réglementation sur la durée du travail, le deuxième les sanctions pour refus d’exécution des heures supplémentaires autorisées dans l’intérêt de la Défense nationale, et, le troisième la durée du travail. Conséquence immédiate, tout employeur peut désormais porter la durée hebdomadaire jusqu’à 48 heures, avec un simple préavis adressé à l’Inspection du travail. Au-delà, une autorisation de l’inspection du travail reste toutefois nécessaire. Le tout va de pair avec la suppression des heures supplémentaires, dans la limite de 250 heures annuelles.  Enfin, la semaine de travail est fixée à cinq jours et demi, voire six si nécessaire. C’est la fin de la semaine anglaise de cinq jours qu’avait instaurée le Front Populaire.

• Ces mesures ciblant en premier lieu les industries qui travaillent pour la défense, on comprend que dans une entreprise comme la S.A.G.E.M., dont les commandes  de l’État vont croissantes, elles suscitent des inquiétudes auprès des syndicats, la CGT en tête, et auprès de nombreux salariés. Elles ne laissent pas non plus indifférents ceux des autres entreprises dans lesquelles les salariés peuvent craindre leur mise en application.

Le centre 1 décembre 1938

• Il semble  donc logique que, au plan national, la CGT ait  tenté de s’y opposer en appelant à une grève générale de 24 heures, prévue pour  le 30 novembre. Elle doit concerner toutes les industries, le commerce, les transports ainsi que les services publics. En face,  Édouard Daladier a choisi l’épreuve de force, tout en essayant de se rallier une partie de l’opinion: non seulement  il refuse tout contact avec les représentants syndicaux, mais il réquisitionne tous les employés des administrations publiques, des chemins de fer et du métro. Il annonce que la grève serait considérée comme une faute grave “susceptible de les exposer  à la révocation”. Dans les industries, des circulaires suggèrent aux patrons de procéder à des licenciements immédiats pour tous les grévistes, avant de procéder “un tri”,  lors de la réembauche, entre le maintien du licenciement pour les uns, et le réemploi pour les autres, mais avec la pertes des avantages inscrits dans leur contrat de travail, telle que  ceux liés à leur ancienneté.  Le tout pourra être assorti de poursuites judiciaires, la grève ayant été déclarée illégale.

courrier
◘ Après l’échec de la grève du 30 novembre, la presse bourbonnaise ne cache pas son soulagement, que  ce soit pour le Courrier de l’Allier et Le Progrès (à Moulins) ou Le Centre (à Montluçon)

le progrès

Le centre 2 décembre 1938

• On comprend que le mouvement n’ait donc pas eu l’ampleur escomptée par la CGT, même s’il n’a pas été un échec total. À Montluçon, compte tenu de la tradition ouvrière et syndicale forte, la grève a été marquée par des incidents,  avec  des affrontements à l’entrée des principales usines entre les piquets de grève et les non grévistes voulant pénétrer en force. En rendant compte de cette journée, le journal Le Centre qui, par la voix de son rédacteur en chef et éditorialiste Jean Joussain du Rieu, n’a jamais caché son hostilité au Front populaire et aux syndicats, écrit à la une que “Il n’y a pas eu de  grève générale” . En revanche, il s’attache à mettre  l’accent sur les incidents survenus au fil de la journée.  

GREVE 30 novembre 1938 LE CENTRE 2 décembre
◘ La grève à la Sagem, vue par le Centre

• Tout a commencé à 5 h 00, avec la rentrée de la première équipe lorsque  “129 ouvriers de ces usines se heurtent à un petit piquet de grève mais 122 ouvriers purent passer et se rendre dans les ateliers”. Toute autre est la situation à la rentrée de 7 h 00, lorsque 453 ouvriers  “se heurtèrent à un piquet de grève plus important”. Le journal précise toutefois que “92 ont pu gagner les ateliers”. La tension monte encore d’un cran à la rentrée de 13 h 00, “marquée par une bagarre” lorsque 575 ouvriers se présentent  pour leur prise de travail : “500 grévistes, dont pas mal des usines Dunlop gardaient l’entrée de l’usine où 6 gendarmes assuraient le service d’ordre. Quelques horions furent échangés et 250 ouvriers qui avaient pu rompre le barrage ont pu franchir la porte de l’usine”, ajoute le journal Le Centre. Au moins la direction peut elle se satisfaire du fait  que l’usine de la Côte Rouge ait pu fonctionner, même au ralenti, à la différence de l’usine Dunlop ou des Cires française qui ont dû cesser toute activité.

Combat social sanctions Sagem◄ Toute autre est la version du journal Le Combat social qui stigmatise des “provocateurs employés par la direction de la Sagem, pour “créer des incidents” et briser la grève. Fortes du soutien du gouvernement, les directions des différentes  entreprises du bassin montluçonnais ne tarderont pas à prendre les sanctions prévues. À la Côte Rouge, elles tombent dès le lendemain : “Au moment de la rentrée, les ouvriers ont été répartis dans la cour de l’usine en trois groupes, rapporte le Combat Social. L’un reprenant le travail aux anciennes conditions ; le second pouvant reprendre mais à de nouvelles conditions, telles la suppression de l’ancienneté ; enfin, le troisième groupe invité à quitter l’usine immédiatement”. L’article ajoute que “un camarade repris sans condition s’est solidarisé avec les exclus”.

Grève 1938 licenciements Sagem Le centre 4 décembre

◄  Quant au  journal Le Centre (4 décembre 1938) qui a lui-même subi la grève de son imprimerie, il ne masque pas sa satisfaction en annonçant que “à l’usine de la Côte Rouge, 48 ouvriers ont été licenciés pour avoir contrevenu à la liberté du travail et employé la violence contre leurs camarades désireux de travailler”. Autre précision apportée par le même journal, “pour environ 250 autres qui n’avaient pas repris le travail, ils ont été  réembauchés avec un nouveau contrat. Quant aux membres du personnel qui se présentèrent au travail, ils continuent à bénéficier de l’ancien contrat” et, de facto des avantages qui y étaient consignés.  Compte tenu des effectifs de la Côte-Rouge, on peut donc en déduire que seuls 100 à 150 salariés non grévistes ont  pu conserver  leur  contrat de travail antérieur. À l’usine des Hauts Fourneaux, au Réservoir, aux Économats du Centre,  ou à l’usine des Produits chimiques, pour ne citer que ces entreprises-là,  le scénario sera le même. Solidarité patronale oblige, les ouvriers licenciés et non repris auront du mal à retrouver un emploi dans le bassin montluçonnais, voire au-delà. Incontestablement, l’échec de la grève du 30 novembre marquait une forme de revanche de la direction des entreprises sur le printemps 1936 avec  ses occupations d’usines.

• Dans cette ambiance de disparition du Front Populaire, des syndicats professionnels ont été créés sous la houlette de la direction pour contrer les syndicats revendicatifs, principalement la CGT : “ À la Sagem, écrit Marcel Légoutièreils tentèrent de s’opposer  aux actions des syndicats CGT. Ils étaient utilisés par le patronat dans leur opposition aux revendications des salariés. Ce fut particulièrement évident lors de la grande grève du 30 novembre 1938 où leurs nervis (sic) n’hésitèrent pas à employer la manière forte pour faire échec au mouvement. Ils déclenchèrent des bagarres à l’entrée des usines, en particulier à la Sagem.  La Direction en profita pour licencier les meilleurs militants du syndicat C.G.T.” (23)

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◘ Un télémètre de 5 mètres fabriqué à la Côte-Rouge en 1939

• Avec  la justification de l’effort de préparation à la guerre qui apparaît désormais  comme inévitable, les commandes militaires augmentent et les horaires vont donc repasser à  48 heures, voire au delà des 50 heures: “Les gouvernants mobilisaient leur industrie, espérant que cela leur éviterait peut-être d’avoir à mobiliser leurs soldats. Or, la S.A.G.E.M. introduite dans les industries d’armement dès la fin des années 20 était bien placée pour répondre à la demande” (24). L’usine participe ainsi à l’équipement de l’armée, de la Marine nationale et elle  fournit du matériel pour  la fameuse Ligne Maginot réputée imprenable… mais pas incontournable : des pièces pour canons antichars ou des canons pour casemates,  des affûts de canons antiaériens, des postes de radio émetteurs-récepteurs ainsi  que des postes de veille aérienne  ou maritime sont fabriqués à la Côte Rouge. Conséquence de cette montée en charge des commandes, de nouvelles machines d’usinage sont installées dans les halls. 

 

LA MARCHE VERS LA 2ème GUERRE MONDIALE

ET L’EXPANSION DE LA S.A.G.E.M.(1938-1939)

Septembre 1939: la France bascule dans la guerre
◘ Septembre 1939: la France bascule dans la guerre

 • L’année 1939, à quelques mois de la guerre qui va embraser l’Europe,  est marquée pour la S.A.G.E.M. par une importante croissance patrimoniale. La société quitte son siège social de la rue de Naples pour un hôtel particulier du 6 avenue d’Iéna. A Argenteuil, berceau historique, un bâtiment industriel désaffecté est racheté. A Saint-Etienne-de-Rouvray, c’est l’ancienne usine cotonnière, “La COTO”, qui est acquise. Dans les faubourgs de Rouen, proche de la Seine et raccordable au réseau ferré, le site est idéal mais les aménagements seront retardés par la guerre et ils ne seront réalisés  qu’après 1945.

SAT Paul Gellos
◘ Paul Gellos (1897-1974)

• En août 1939,  la S.A.G.E.M., qui cherche à diversifier ses activités, prend une participation majoritaire dans la société S.A.T (Société d’application téléphonique). C’est Félix Verny, beau-père de Marcel Môme, qui en assume d’abord la présidence, avec André Hardy et Léon Parcé aux postes d’administrateurs. Félix Verny cédera son fauteuil à Marcel Môme en décembre  1940, ce dernier assumant pendant deux ans à la fois la présidence de la Sagem et  celle  de la SAT. En 1942, la présidence de la SAT sera confiée à Paul Gellos, avec Léon Parcé au poste de directeur. Toutefois, jusqu’en 1945, la société Grammont conservera  une participation importante dans le capital de la SAT, qui sera progressivement réduite.

Dans l’Allier, deux investissements sont réalisés, à la veille de la guerre . À Saint-Pourçain-sur-Sioule, la S.A.G.E.M. acquiert des locaux industriels  pour abriter des travaux de mécanique générale et  de charpente. En même temps, à Montluçon,  la S.A.G.E.M. prend  une part de plus en plus importante dans le capital et dans les activités de la Fonderie de Saint-Jean, située rue des Faucheroux (25).

Fonderie saint-Jean En tête 1941
◘ Les fonderies de Saint-Jean, sous le contrôle de la SAGEM en 1941

Sagem Fonderie

• L’entreprise a été fondée en 1921 par M. Blondin, lui aussi ingénieur des Arts et Métiers, issu de la promotion  Cluny 1917, comme Marcel Môme. La fonderie  finira par être rattachée entièrement à la S.A.G.E.M. en 1941. Pour couler des pièces diverses en fonte mécanique. Elle emploiera dans les années 1970 jusqu’à une soixantaine de personnes, avant sa fermeture décidée dans les années 1990.

La fondérie de Saint-Jean, fondée en 1921, passe sous le contrôle de la SAGEM en 1941
◘ Vue intérieure des ateliers de la fonderies de Saint-Jean

 1939-1945 : LA S.A.G.E.M.

DANS LA TOURMENTE DE LA GUERRE

Septembre 1939: mobilisation générale...À la SAGEM, aussi.

◘ DE LA DÉCLARATION DE GUERRE À L’ARMISTICE

• La déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, le 3 septembre 1939, entraîne de fait la mobilisation d’une partie des salariés, mais  « beaucoup de ceux qui sont en âge de porter les armes  restent à l’usine où leur contribution est jugée plus utile ». Argenteuil voit ainsi ses effectifs tomber  de 1.100 salariés en 1938 à seulement  600 salariés au début de  1940.

Une partie du personnel est transférée à l’usine de la Côte-Rouge qui, elle-même,  a perdu au moins 20% de ses effectifs.  Des dizaines d’ouvriers sont toutefois mobilisés sur place et dépendent à la fois de la S.A.G.E.M. et de l’autorité militaire. Ce sont des “affectés spéciaux” qui  ne  seront officiellement démobilisés qu’à partir d’août 1940.

◘ QUAND UN AFFECTÉ SPÉCIAL

REFUSE SON AFFECTATION…

• Bien que les cas semblent rares, il peut arriver que certains de ces affectés spéciaux astreints au travail en usine, dans le cadre de l’économie de guerre, comme en 1914, ne soient pas satisfaits de leur nouveau  statut. C’est ainsi que l’un d’eux, après avoir  refusé son affectation et les modalités de travail à l’usine de la Côte Rouge,  sera congédié par la direction et déféré devant l’autorité militaire. Cette dernière  ne prononcera toutefois  pas de condamnation. Il se retournera ensuite contre la direction de l’usine pour licenciement abusif mais n’obtiendra pas gain de cause devant les prud’hommes qui se déclareront  “incompétents”, un affecté spécial n’étant pas considéré comme un  salarié ordinaire (26).

◘ QUAND LA DIRECTION DE L’USINE REFUSE

DE FAIRE TRAVAILLER DES AFFECTÉS SPÉCIAUX…

Le cas inverse peut également exister, lorsque la direction de l’usine refus l’accès à des affectés spéciaux  délégués par l’autorité militaire. L’affaire paraît suffisamment grave pour que Marx Dormoy,  sénateur-maire de Montluçon et ancien ministre de l’intérieur du Front Populaire, s’en saisisse. Le 10 septembre 1939, une  semaine après la déclaration de guerre, il s’adresse directement au général Charles Chédeville,  commandant la XIIIè Région militaire, ainsi qu’au Président du Conseil en même temps que Ministre de la défense nationale et de la  guerre, Édouard Daladier. Il évoque le cas de deux ouvriers spécialisés“MM. Cussinet et Missioux, de Montluçon”,  qui lui “paraît réclamer une examen des plus sévères”.

Marx Dormoy (2)
◘ Une intervention directe de Marx Dormoy auprès des autorités militaires

• Ces deux ouvriers, se sont présentés à l’usine de la Côte Rouge, “munis de leurs fascicules de mobilisation leur ordonnant de rejoindre cet établissement”. Dans un premier temps, on a bien “accepté de les recevoir et les occuper” mais, quelques jours plus tard, par l’intermédiaire du concierge de l’usine, agissant sur ordre du directeur du site, André Alajouanine, on leur a refusé l’entrée dans les ateliers. Ce faisant, ce dernier reconnaissait obéir “à un ordre formel  de son siège social et de son directeur général, M. Môme. Et Marx Dormoy de préciser que “dans cette note lue par le concierge aux   intéressés, il était spécifié que non seulement on interdisait l’entrée aux deux ouvriers mobilisés mais on leur enjoignait encore de rester dans leurs foyers jusqu’à nouvelles instructions de l’autorité militaire”.

• L’ensemble des faits ayant été confirmé par la direction de l’usine, Marx Dormoy parle alors de décision illégale étant donné qu’il n’appartient pas  à la direction d’un établissement industriel de se substituer à l’autorité militaire” et que “au surplus personne n’a le droit de se refuser à obéir à un ordre de mobilisation”. Au passage, il rappelle que “la Sagem travaille exclusivement pour les besoins de la Défense nationale”, en ajoutant qu’elle  “manque de main d’œuvre et fait en ce moment effectuer des heures supplémentaires à son personnel”. Conclusion de l’élu :“Rien ne justifie la mesure prise par la direction (…). Il appartient à l’autorité militaire seule de prendre des décisions de cette nature”.

• Il reste à savoir pourquoi la direction de l’usine a refusé d’employer ces deux affectés spéciaux : “ Je sais bien, écrit Marx Dormoy, qu’on pourra objecter que les ouvriers dont il s’agit ont déjà travaillé dans l’usine en question (et) qu’ils ont été congédiés à la suite du mouvement de grève du 30 novembre dernier. Mais, ajoute-t-il,  je me permets d’observer que les circonstances que nous vivons aujourd’hui sont bien différentes de celles que nous avons vécues il y a quelques mois”. Bref, il s’agit “d’accomplir à tous les échelons son devoir dans une guerre qui a été imposée à notre pays”. Le Combat social (26 bis) qui reproduit la lettre de Marx Dormoy ajoute : “ Nous espérons qu’elle sera suivie d’effets et qu’on ne verra plus, au moment où toute les énergies sont requises pour le service de la nation, des employeurs se dresser contre la loi. Si les travailleurs ont des obligations auxquels ils ne songent point à se dérober, les autres catégories de citoyens en ont aussi. Il est inadmissible que pour satisfaire à des rancunes d’ordre intérieur certain patronat méconnaisse  à ce point le devoir national”.

La réponse du général Chédeville, commandant la XIIIè Région militaire, ne se fera guère attendre et, le 24 septembre, elle est publiée à la une du Combat Social. Ce dernier dit avoir reçu  “des instructions ministérielles précises visant les affectés spéciaux momentanément non utilisés (sic) dans leur établissement d’affectation,  cas dans lequel rentre le personnel que vous m’avez signalé”.  Finalement, ce sera aux inspecteurs départementaux du travail de régler  le problème, “de façon que les affectés en cause soient employés dans une autre usine jusqu’à ce que  l’établissement primitivement désigné ait la possibilité de les utiliser”. Il est vraisemblable que la direction de la Sagem soit intervenue directement auprès du ministère de la Défense ou des autorités militaires  pour obtenir gain de cause. Les deux ouvriers licenciés  après la grève de novembre 1938 ne seront donc pas réintégrés, fût-ce en temps de guerre.

22 juin 1940: l'Armistice et ses premières conséquences pour la SAGEM
◘ 22 juin 1940: l’Armistice et ses premières conséquences pour la SAGEM

Le château d'Argentières• Au printemps 1940, Marcel Môme décide de se porter acquéreur du château d’Argentières, situé sur la commune de Vaux, au cœur d’une propriété de 18 hectares. D’abord locataire des lieux, après signature d’un compromis de vente, la S.A.G.E.M. en deviendra officiellement propriétaire en septembre 1940. Proche de l’usine de la Côte-Rouge, il devrait permettre de recevoir les visiteurs et clients potentiels de passage à Montluçon. Ultérieurement, une fois la défaite consommée,  Argentières servira  de centre du dispositif SAGEM en zone libre, lorsque la France se retrouvera coupée en deux zones. Pour un aperçu de l’histoire du château, devenu propriété de la S.A.G.E.M., et des différentes utilisations au fil du temps, on pourra se reporter aux annexes, à la suite de cet article.

Léon Parcé
Léon Parcé, directeur de la SAT

• A la suite de la débâcle de mai-juin 1940 et de la signature de l’Armistice le 22 juin 1940, Montluçon se retrouve en zone libre, une situation qui va perdurer jusqu’au 11 novembre 1942, date de l’occupation totale du pays (novembre 1942 – Été 1944). L’usine d’Argenteuil et l’immeuble  de l’avenue d’Iéna, quant à eux, se retrouvent  au cœur de la zone occupée.

•  Dès  la fin du mois de mai 1940, les dirigeants de la SAT avaient décidé de replier l’entreprise  sur le site de la Côte Rouge, à Domérat,  où la SAGEM leur avait proposé d’accueillir ses  activités dans un des halls de son usine. Seule une petite partie du personnel était  restée à Paris. Il faudra attendre le retour de la paix pour que l’activité redémarre sur place, au cours du 2ème semestre  1940. Ajoutons que cette présence annoncée  comme “provisoire” durera en réalité plusieurs décennies. De fait, Argentières devient le siège de la S.A.G.E.M, avec transfert des archives et des personnels administratifs et comptables, ainsi que de la direction. 

◘ UNE NÉCESSITÉ IMPÉRIEUSE: TROUVER

DE NOUVELLES PRODUCTIONS 

Le Schéma du Gazogène Sagem
◘ Le Schéma du Gazogène Sagem

• La défaite de juin 1940 signifie, dans l’immédiat, l’Interruption de la fabrication du matériel militaire, dans l’attente du règlement des détails de la convention d’armistice. Il est donc urgent de reconvertir le site de la Côte-Rouge qui doit faire face à une période particulièrement  creuse. Jean Bornet raconte avoir travaillé avec toute son équipe à la pose de clôtures tout autour de l’usine, en attendant l’arrivée de nouvelles fabrications. D’autres équipes d’ouvriers sont envoyées au château d’Argentières pour  se faire débroussailleurs pour les uns, terrassiers pour le autres, tandis que l’on apporte un soin particulier à la remise en ordre de l’intérieur et à sa rénovation, fût-elle sommaire. On saisit alors  toutes les opportunités qui se présentent, comme la  fabrication de gazogènes, pour équiper les véhicules et faire face aux restrictions en carburants. C’est ce qui vaut à la S.A.G.E.M. de  figurer dans le Groupe IV de la liste des constructeurs de gazogènes publiée en 1943, parmi une centaine d’autres, dont Panhard, Peugeot, Renault ou Berliet.

L'entrée de l'usine après 1940, avec des bus équipés de gazogènes SAGEM
◘ L’entrée de l’usine au début des années  1940, avec des véhicules équipés de gazogènes SAGEM. Au premier plan, à droite: le garage à vélos, la plus grande partie du personnel venant à bicyclette. 

• D’autres fabrications viennent peu à peu compléter la charge de travail: des compresseurs pour gaz de ville, les premières machines à bois (raboteuses, dégauchisseuses), des machines pour fabriquer des chaussures familièrement baptisées « machines à godasses » (à la demande du Ministère de la production industrielle),  ou des appareils de métrologie, pour les mesures optiques. L’usine travaille aussi sur  des installations frigorifiques.

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◘ Un prototype de téléimprimeur (1944)

• L’administration des Postes et télécommunications  confie en 1942 à la S.A.G.E.M. l’étude et la mise au point d’un téléimprimeur, à partir des premiers travaux réalisés par un ingénieur des Arts et Métiers  Jean-Henri Estoup, qui avait été auparavant responsable des services sténographiques au Sénat. La Revue Sagem (n° 31 – juin 1976) est revenue sur l’épopée que constitua cette réalisation: “Dans le second semestre de 1942, M. Estoup, qui résidait à Paris, franchit plusieurs fois la ligne de démarcation pour venir à Montluçon, apporter ses conseils et ses directives (…). Mais, quelques mois plus tard, avec l’occupation totale de la France, la tâche devint très ardue. Tout manquait: on prenait  de la tôle d’acier “à ferrer les ânes” ,à la cote qu’on trouvait. Et on se cachait pour ne pas donner l’impression de concurrencer Siemens le constructeur de l’occupant”.

• En dépit des difficultés qui se sont accumulées, les deux premiers prototypes sont mis au point à la Côte-Rouge, en seulement deux ans, par Roger Jouvenel (1917-2010), un jeune  Montluçonnais, lui aussi Gadz’arts (promotion Cluny 1934). L’un est à bande, l’autre à chariot. Ils  fonctionnent dès 1944 entre la Poste de Montluçon et l’usine et  c’est sur un de ces appareils que sera reçu le message annonçant le débarquement en Normandie.

Sagem Jean Estoup 1975
◘ 1975: la Revue Sagem rend hommage à Jean-Henri Estoup

• Beaucoup plus anecdotique est le prototype de  vélo électrique testé dans la cour de l’usine par Raymond Bareille (1906-1983), un ingénieur recruté dès 1933 : “Les lourdes batteries posées sur le porte-bagages ont eu raison du véhicule et de son pilote sur l’allée gravillonnée de la cour de l’usine de Montluçon. L’opération connaît  tout de même un certains succès (avec) la scène du looping de l’homme et de la machine ” (27). Raymond Bareille devait poursuivre sa carrière à la Sagem jusqu’en 1972. Après avoir réalisé  les études sur l’équipement électrique des premiers instruments de navigation, il fut ensuite directeur du Département des composants. Il est décédé en 1983.

Un des halls de l'usine en 1942
◘ Un des halls de l’usine de la Côte Rouge en 1942

•  Le redémarrage des activités, majoritairement civiles, entraîne une croissance des effectifs de la Côte Rouge de l’ordre de 80% entre 1939 et 1941. Il est vrai que le personnel de la S.A.T. et une partie de celui d’Argenteuil repliés en zone libre y sont pour beaucoup. Il faut même mettre en place une formation accélérée pour du personnel recruté sans qualification (la méthode Carrare). Le château d’Argentières accueille à la fois des réfugiés et une partie du siège et des services administratifs. Après l’invasion de la zone sud, il sera réquisitionné par la Wehrmacht pour en faire un centre de repos pour ses soldats et de séjour pour les officiers allemands.

1941: la SAGEM recrute à nouveau
◘ 1941: la SAGEM recrute à nouveau (recto)

Le maintien d’Argenteuil sous le contrôle direct de l’Occupant rend nécessaire d’éviter le transfert des hommes et des matériels vers l’Allemagne. À Montluçon, l’usine dispose d’une latitude un peu plus grande, en raison  de sa présence en zone libre. Du fait de la proximité nouvelle des Ministères de tutelle,  à Vichy, l’Etat français  détache parfois du personnel auprès des industriels : la S.A.G.E.M.  héberge ainsi la section Instruments de navigation de la Marine. La France, à laquelle l’Armistice a permis de conserver sa flotte basée pour l’essentiel à Toulon, doit l’entretenir . La S.A.G.E.M. se remet donc à fabriquer  des équipements de compas, du type à sphère Anschutz, comme avant guerre, ou des pièces détachées pour compas Sperry. Les calculateurs de direction, des tables traçantes pour les sous-marins sortent à nouveau de la Côte-Rouge, sous le contrôle de l’ingénieur en chef Casellan, représentant permanent de la Marine.

Contrat sagem 1941
◘ 1941: au verso du contrat d’embauche, le règlement intérieur des ateliers

•  L’usine continue à recruter, en particulier de jeunes ingénieurs issus des Arts et métiers.  C’est le cas de Robert Labarre,  futur président directeur général de S.A.G.E.M. entre 1962 et 1987, qui est embauché à la Côte Rouge. Né en août 1922, il est le fils de Georges Labarre (1889-1941),  directeur du site de  Montluçon de la Société  Minière et Métallurgique du Périgord (SMMP) qui exploite les Hauts-Fourneaux. Après des études au lycée de Montluçon, il est sorti de Cluny avec le diplôme d’ingénieur des Arts et métiers. Il est recruté en 1943 par  André Merle,  pour être employé d’abord  comme  ajusteur, afin d’échapper au Service du travail obligatoire. Il rejoindra ensuite  Argenteuil en 1945 puis le siège  parisien en 1950. Entre temps, il  épousera en août 1945 Claudine Môme, la fille aînée  de Marcel Môme.

Sagem certificat de travail
Certificat de travail délivré en 1943 (l’année du S.T.O.) par André Alajouanine, directeur des usines Sagem, à un salarié cadre de l’usine de la Côte-Rouge

Sagem Certificat de travail erso

• L’occupation et les pénuries alimentaires qu’elle génère, pour cause de pillage économique de la France, ne font qu’accroître l’intérêt des ouvriers pour les jardins que l’entreprise a mis à leur disposition, face à l’usine: “Un certain nombre d’ouvriers issus des campagnes avaient le goût du travail de la terre. Mais un phénomène nouveau apparaît : la pénurie alimentaire. Avoir un jardin n’est plus un luxe mais un moyen de détente pour échapper à la monotonie du travail industriel et respirer le bon air, cela devient une nécessité vitale pour nourrir sa famille. La course aux jardins est générale”, écrivait Pierre Couderc  à propos de l’usine Dunlop. Des faits qui se vérifient également à  la SAGEM comme à l’usine  Saint-Jacques.

◘ 1942 – 1944: L’USINE DE LA CÔTE-ROUGE

SOUS L’OCCUPATION

rmée allemande pénètre en zone libre
◘ Novembre 1942: l’armée allemande pénètre en zone libre

• Après le 11 novembre 1942, l’usine de la Côte-Rouge désormais sous contrôle direct de l’occupant, devient un enjeu, tandis que la présence de Marcel Môme aux côtés d’André Alajouanine y est de plus en plus fréquente. Un officier ingénieur d’outre-Rhin y est installé à demeure pour s’assurer de la mise en œuvre des exigences allemandes en matière de productions et de livraisons. Selon Robert Labarre (28), il en résulta “un remarquable branle-bas de combat pour détruire, cacher dans les fermes des environs ou faire disparaître en quelques jours toutes les fabrications Marines ou autres non conformes au traité d’armistice. Pendant toute la période d’occupation, les études Marines se cantonnèrent à des appareils préludant les simulateurs de tir, des pilotes de direction et des appareils de relèvement de divers types. Et, ajoute Robert Labarre, lorsque la Commission de contrôle était signalée, tous les plans étaient camouflés et remplacés sur les planches par des plans d’outillage de matériels allemands“.

Les postes d'écoute fabriqués à la Côte-Rouge
◘ Un appareil d’écoute pour poste de guet fabriqué à la Côte-Rouge

• Une autre fabrication sensible est celle des postes d’écoutes, les détecteurs de son antiaérien, familièrement appelés “les grandes oreilles”  dont l’intégralité de la production part pour l’Allemagne. Les rigueurs de l’Occupation provoquées par le pillage de l’économie française n’épargnent pas l’usine qui doit aussi apprendre à  récupérer et à réutiliser  rebuts de fabrication et  chutes diverses.

◘ LE PERSONNEL DE LA SAGEM:

DE LA RELÈVE AU S.T.O. 

• Le vivier de personnel qualifié que constitue l’usine ne peut pas laisser insensible l’industrie allemande, à laquelle l’état nazi demande de plus en plus d’efforts de production. Le prolongement du conflit  rend aussi indispensable l’envoi au front d’un nombre croissant de  jeunes ouvriers allemands, dont  il faut assurer le replacement.

Pour inciter les ouvriers à partir pour l'Allemagne: la relève
◘ La Relève, pour inciter les ouvriers à partir pour l’Allemagne

• D’où la propagande officielle qui s’essaie à susciter des départs volontaires pour l’Allemagne dans le cadre de la Relève (29), instituée en juin 1942. En janvier de la même année, l’usine avait déjà reçu la visite de Louis Prugnat, délégué du Comité de propagande sociale du maréchal Pétain, chargé de vanter les mérites de la charte du travail. 

La Charte du Travail instaurée en 1941
◘ La Charte du Travail instaurée en 1941

• Celle-ci  avait abouti à la suppression des syndicats et à leur remplacement par un système corporatif. À l’opposition – affrontement patrons – salariés, devait succéder  une idyllique entente- coopération, dont les deux parties tireraient profit. C’est d’ailleurs ce que le maréchal Pétain avait martelé lors de son discours de Commentry, le 1er mai 1941. Au tout début du mois d’octobre 1942, c’est au tour de François Chasseigne (30), ancien membre du parti communiste, devenu directeur de la propagande ouvrière au ministère de l’Information, d’arpenter les halls de l’usine, après un premier passage par Montluçon en décembre 1941. Son but: faire comprendre aux ouvriers français tous les “avantages” de la relève, autant matériels, que sociaux ou simplement moraux. Il compte bien aussi en appeler au sens du devoir et à “l’esprit de sacrifice”, en particulier des jeunes ouvriers qui ont pu rester au milieu de leurs familles,  alors que leurs aînés, en captivité, se morfondent autre-Rhin. Des thèmes que la presse a alors abondamment relayés, faisant de l’ouvrier volontaire pour la relève “le plus précieux de nos ambassadeurs”...

• Après qu’il fut intervenu  à l’usine   Saint-Jacques, François Chasseigne arrive à la S.A.G.E.M. où l’accueil est  glacial. Le sous-préfet Maymat qui avait jugé son intervention   “inopportune et dangereuse” avait bien  tenté de le convaincre de ne pas aller à la Côte-Rouge et il avait refusé de l’accompagner. Son arrivée à l’usine est jugée comme une véritable provocation et il est empêché de prendre la parole par un concert de tôles qui résonnent à travers les ateliers.

Un accueil tumultueux pour François Chasseigne
◘ Un accueil tumultueux pour le propagandiste François Chasseigne

Georges Rougeron (31) note que “l’orateur heurta si violemment son auditoire ouvrier qu’il dut quitter la salle sous les huées, bousculé, frappé par nombre de personnes”. Une scène que confirme un témoin direct, André Blondelon (32) : “Il y eut des huées et des bruits de tôles pour couvrir sa voix et même des projectiles divers. Il reçut une gifle d’une ouvrière et partit en proférant des menaces”. En 1948, lors de la comparution de François Chasseigne devant la Haute cour de Justice, on pourra lire dans les colonnes du Centre Républicain les lignes suivantes : “Son activité, les Montluçonnais ont quelques raisons de s’en souvenir puisque venu à la S.A.G.E.M. prêcher les beautés du travail en Allemagne, il avait eu à subir de la part des ouvriers de cette usine un accueil méprisant suivi d’une conduite de Grenoble qui doit encore  compter dans ses souvenirs…Des centaines d’ouvriers de la S.A.G.E.M. pourraient témoigner contre lui”

• Tout autre est évidemment le compte-rendu qu’en donne, dès le lendemain,  la presse: elle  se contente, dans la plupart des cas, de reproduire le communiqué officiel de l’Office Français d’information – Havas, en notant la présence de 600 ouvriers à Saint-Jacques et de 2 000 à la Sagem. Quant au journal Le Centre, principal organe de presse montluçonnaise, il n’y consacrera guère plus que quelques lignes.

SAGEM La Croix 3 octobre 1942
La Croix (3 octobre 1942)…Aucune allusion aux incidents qui ont émaillé la visiteBnF Gallica)
La convocation de Marcel Hamelin, ouvrier célibataire, pour le STO
La convocation pour le STO  de Marcel Hammelin, ouvrier célibataire

•  L’échec de la relève et le faible nombre des départs volontaires vont conduire de nombreux ouvriers spécialisés au départ forcé puis au S.T.O. institué à partir du 16 février 1943. Dès l’automne 1942, des ouvriers brûlent leurs convocations dans la cour de l’usine, à la suite de la loi  qui décrétait ce qu’on a appelé “la seconde relève » et qui prévoyait « le recensement et l’affectation de la main d’œuvre à des travaux déterminés par le gouvernement”. Des ouvriers de la S.A.G.E.M. figurent dans le second  convoi de travailleurs forcés, celui du 6 janvier 1943 qui va donner lieu à la grande manifestation à la gare de Montluçon. Le mot d’ordre de ne pas partir a circulé dans l’usine où des tracts ont été fabriqués. Des inscriptions ont même  été peintes au goudron sur les murs de l’usine, comme à Dunlop ou au lycée de garçons. Plusieurs ouvriers, tel Marcel Hammelin, un jeune ajusteur de 22 ans, affecté à l’usine Chemische Werke de Hüls, au cœur du Reich, deviendront des réfractaires au S.T.O. et le passage dans la clandestinité les conduira à rejoindre la Résistance. D’autres ouvriers de la Côte Rouge feront partie des convois suivants (33).

◘ L’USINE DE LA CÔTE ROUGE :

UN FOYER DE RÉSISTANCE

 • Dans une usine où des foyers de résistance se sont créés, la chasse aux suspects a commencé très tôt, à l’initiative de l’Etat Français. Dès le 8 janvier 1942, la police de Vichy avait déjà arrêté une vingtaine de personnes parmi lesquels six ouvriers de la S.A.G.E.M., un  de Saint-Jacques et deux  ouvriers de Dunlop : “ La propagande communiste abandonnée pendant la guerre, hésitante pendant les premiers mois de l’Armistice, est réorganisée dans notre département. De la forme discrète et individualiste, elle est passée  à la forme publicitaire et générale” écrivait le commissaire spécial de Montluçon, Lelorrain, en novembre 1940.

• C’est à partir de mai 1943, que commence à circuler un journal clandestin, La Côte Rouge. (34). Trois mois après la capitulation de l’armée allemande à Stalingrad  qui marque un tournant décisif dans la guerre, la CGT clandestine compte bien faire basculer une partie du personnel vers la résistance.    Le tout  premier numéro qui s’affiche comme “Organe des ouvriers de la SAGEM”, propose aux ouvriers de se manifester lors du 1er mai 1943, en déposant un cahier de revendications et en constituant des comités d’unité syndicale pour coordonner les différentes actions à mener.  Dans le deuxième numéro, on ironise  sur la direction de l’usine qui a cherché, en vain, à identifier  les auteurs de la distribution du n°1. Le troisième numéro, porte fièrement le titre  “ Liberté”. À ces actions, il faut ajouter l’élaboration d’un “cahier de revendications” qui a été rédigé avec des apprentis de l’usine, avant de le faire passer à direction, le 1er mai 1944. La distribution de tracts se poursuit et elle  s’intensifie. L’un d’eux,  s’adresse directement “aux jeunes de la Côte-Rouge”. Sur un autre, on proclame haut et fort que le 1er mai 1944 marquera  le départ du 2ème  front qui “ chassera les boches de France”.

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◘ La Résistance dresse, mois après mois,  l’inventaire des livraisons de matériel exigées par l’Occupant

• Au delà des actions de propagande, l’urgence est aussi d’empêcher le départ de matériel pour le Reich. Comme Saint-Jacques ou Dunlop, la S.A.G.E.M. doit expédier une part croissante de ses productions en direction de l’Allemagne, dont du matériel sensible, tels que des projecteurs antiaériens ou des postes d’écoute, les fameuses “grandes oreilles”.  Faute de pouvoir empêcher les départs,  les sabotages se multiplient, sous des formes diverses : matériel de mauvaise qualité, se révélant défectueux à l’usage ou   tentatives de  destruction avant l’envoi en Allemagne.

•  Le 29 février 1944, René Petot, un électricien et résistant appartenant aux  MUR (Mouvements unis de la résistance) réussit à s’introduire dans l’atelier où sont  entreposés des détecteurs de sons anti-aériens, destinés à l’armée allemande. Son but: les saboter en déposant une  charge explosive à retardement sur chacun d’eux. Selon le rapport officiel, sur les cinq détecteurs quatre seront entièrement détruits, la dernière charge ayant pu être désamorcée. La réaction de la police allemande ne tarde pas:  elle se manifeste  dès le début de mars, par   l’arrestation de treize ouvriers. Ils sont d’abord incarcérés à la Caserne Richemond, pour les premiers interrogatoires, avant d’être transférés à la prison de la Malcoiffée, à Moulins, où ils sont soumis à la torture.  Parmi eux, figure un ajusteur – outilleur,  Ernest Huss,   qui fera ultérieurement une belle carrière   dans la chanson, sous le pseudonyme de  John William (35).

ERnest Huss, futur John William, déporté en 1944
◘ Ernest Huss, le futur chanteur John William, déporté en mars 1944

• Né en Côte-d’Ivoire en octobre 1922, il a suivi sa famille qui s’est installée en France en 1930 et il a commencé un apprentissage d’ajusteur-outilleur, dans une usine d’automobiles, en région parisienne. Après avoir poursuivi sa formation dans une école technique, spécialisée en dessin industriel, en mécanique, en électricité et en mathématiques, il a été embauché dans une usine d’outillage où il est resté durant deux ans. Sur  réquisition de l’Etat Français, il a dû accomplir un service rural dans une ferme de Charente, et il  a ensuite pu rejoindre  sa marraine, qui résidait  à Montluçon. Il a d’abord été recruté  comme ajusteur-outilleur à l’usine Dunlop. Suite à sa destruction par le bombardement de la RAF, il a pu retrouver un emploi à à la Côte-Rouge où on l’a affecté à la fabrication des détecteurs de son.

• À ce poste, il a été témoin des  sabotages. Ayant refusé de parler et d’en dénoncer les auteurs, il se retrouvera interné à Compiègne avant d’être déporté au camp de Neuengamme d’où il ne reviendra qu’en 1945. Dans ses mémoires, il  a évoqué  ce qu’avait été la suite de son arrestation:En ce triste mois de mars 1944, écrit-il, on nous débarqua à la prison dite de la Mal-Coiffée, face à la cathédrale de Moulins. On nous enferma tous dans la même cellule. Nous allions y passer des nuits agitées. En effet, chaque matin, de très bonne heure, la gestapo venait chercher sa ou ses victimes pour des interrogatoires que l’on savait terribles … Un matin ce fut mon tour. Ils n’avaient pas oublié que j’étais un des derniers à avoir travaillé sur les appareils piégés. Je subis un interrogatoire musclé. Je ne peux pas décrire le raffinement sadique des méthodes nazies. Si j’ai tenu, c’est en raison de ma foi. Elle me fut d’un grand secours… Je sortis de cette épreuve physiquement anéanti… J’étais révolté par la cruauté de ces hommes. Ils étaient nos ennemis. Je le savais, pour eux, nos vies ne comptaient pas“… Sur les 13 ouvriers arrêtés, trois seront finalement relâchés le 26 mars tandis qu’Ernest Huss partira en déportation avec les 9 autres. Son père Charles Huss écrira en vain  au sous-préfet de l’Allier pour demander sa libération. Le 21 mars 1944 il sera  déporté de Compiègne au camp de concentration de  Neuengamme où il arrivera  trois jours plus tard. Trois de ses compagnons d’infortune ne  survivront pas à l’enfer du camp et il ne seront plus que sept a rentrer vivants en  1945.

• Autre action à mentionner, la tentative de faire sauter le transformateur électrique qui alimentait l’usine. Deux bombes introduites par un ouvrier font d’importants dégâts aux machines principales, sans qu’un ouvrier soit  blessé, tout en obligeant à stopper provisoirement la production. Un dépôt de carburant et de produits inflammables est lui aussi détruit.

• Dans un rapport des renseignements généraux daté de juin 1944, on note que “ les sabotages, d’abord grossièrement accomplis, avec des moyens rudimentaires ont fini par gêner  considérablement la vie économique”. Outre l’interruption des transports ferroviaires et des liaisons téléphoniques, le rapport mentionne “les attentats contre les lignes de transport d’énergie (qui) ne présentaient qu’une gêne relative au début, (mais qui) maintenant réussissent à arrêter complètement la production d’une usine comme la S.A.G.E.M.”. La présence militaire allemande s’en trouve donc renforcée.

• Le 13 août 1944, à quelques jours de la libération de Montluçon, trois soldats allemands affectés à la surveillance des abords de l’usine sont enlevés  par un groupe de résistants issus du maquis FTP Jean-Pierre Timbaud. Ils seront vraisemblablement conduits vers la Creuse où l’on perd leur trace. C’est cet enlèvement qui vaudra au bourg de Domérat d’être encerclé le soir même par une colonne allemande, avec menace d’exécution de plusieurs otages alignés devant le mur de l’église. L’intervention du maire et du sous-préfet permettront d’éviter le pire, à quelques jours de la libération.

◘ 15-16 SEPTEMBRE 1943 : LA CÔTE-ROUGE

VICTIME “COLLATÉRALE” DU BOMBARDEMENT

DE L’USINE DUNLOP

Dunlop bombardé...La SAGEM également touchée
◘ Dunlop bombardé…La SAGEM également touchée
Une partie de l'usine encore en feu, le 16 septembre 1943
◘ Une partie de l’usine encore en feu, au matin du  16 septembre 1943

•   Quelques mois plus tôt, dans la nuit du 15 au 16 septembre 1943, la S.A.G.E.M. avait subi ses plus importants dégâts. Afin de stopper la production des pneumatiques  en partance pour l’Allemagne, le bombardement des usines Dunlop avait été organisé par la Royal Air Force  avec des moyens colossaux : 369 bombardiers, 5 appareils B 17 et plus de 1.000 tonnes de bombes déversées, entre  23 h 32 et  minuit. Dunlop est détruit à 80%/. Proximité oblige,  six bombes ont aussi touché la Côte-Rouge. Le hall 6, qui abritait depuis  1940 la S.A.T.  et le montage des postes d’écoute, se retrouve  entièrement dévasté. par les 6 bombes incendiaires qui y sont tombées.  Les photos prises dès le lendemain montrent l’ampleur des dommages. Il ne fait toutefois aucun doute que la S.A.G.E.M. ne faisait pas partie des objectifs  du bombardement de la R.A.F. car, si tel avait été la cas et compte tenu des moyens mis en œuvre, l’usine aurait subi le même sort que Dunlop (36).

Vues extérieures de l'usine après le bombardement
◘ Vues extérieure et intérieure du hall  6 de l’usine dévasté après le bombardement
Les ouvriers s'affairent au déblaiement
◘ Les équipes d’ouvriers affectées au  déblaiement

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SAT Responsable après le bombardement
◘ Les responsables de la SAT au milieu du hall 6 dévasté, au lendemain du bombardement

• Dès le lendemain, le Maréchal Pétain se rend à Montluçon et fait une étape rapide à la S.A.G.E.M, après être passé par la Chambre de commerce où a été dressée une chapelle ardente, et avant de se rendre à l’usine Dunlop.

Sagem visite Pétain
◘ 16 septembre 1943: le maréchal Pétain, en visite à la Côte-Rouge: le cortège officiel devant l’usine

• Il est accueilli à la Côte Rouge par Marcel Môme en personne et par André Alajouanine. Au total on dénombrera 57 morts, dont un ouvrier de la S.A.G.E.M., René Rondier. Plusieurs bombes non éclatées seront retrouvées par la suite. Ce bombardement fera indirectement une autre victime, le chef jardinier Constant Soumard, ainsi que treize blessés, le 18 juillet 1945 (37).

Une bombe non explosée dans la cour de la SAGEM
◘ Une bombe non explosée dans la cour de la SAGEM
Une bombe explose à la Sagem
◘ Une bombe explose à la Sagem, le 18 juillet 1945

• Ce jour-là, en nettoyant un terrain vague attenant à l’usine et en faisant brûler des herbes sèches, le feu devait gagner un dépôt de fagots, au dessous duquel avaient été dissimulées trois bombes (une de 500 kg et deux autres de 250 kg). A la suite de l’explosion de la plus grosse des bombes et de la déflagration, “les bâtiments de l’usine et les propriétés voisines ont subi quelques dégâts : vitres cassées, toitures endommagées”, note le rapport de police qui ajoute que “ces dégâts n’affectent en rien l’activité de l’usine. Cet accident a provoqué une certaine émotion à Montluçon et surtout parmi le personnel de l’usine”La deuxième bombe non éclatée a été projetée par la déflagration dans la propriété voisine, à cinquante mètres du cratère.

• L’enquête devait démontrer que ces bombes  avaient été placées là après désamorçage, sur ordre d’André Alajouanine, pour les soustraire à la vue des Allemands et, selon le rapport de l’artificier, “pour les vider ultérieurement ». Dans une autre déposition, le même déclarera que «  le directeur voulait, d’après ses dires, garder la bombe comme souvenir, après l’avoir fait vider à la vapeur”. André Alajouanine ayant été contraint de quitter l’usine à la Libération, l’information n’avait pas suivi. En fait, une seule de ces bombes était tombée dans l’enceinte de l’usine et les deux autres avaient été rapportées de Thizon et des Varennes.

1943: le château d'Argentières réquisitionné
◘ 1943: le château d’Argentières réquisitionné 

•  Cette même année 1943, le château d’Argentières se retrouve  réquisitionné par les autorités d’occupation, avec le mobilier et les objets qui s’y trouvent, ainsi que le personnel de service, à compter du 11 novembre 1943 et il le restera jusqu’au 15 mai 1944. Le but est d’en faire  un centre de repos pour les soldats de la Wehrmacht. L’ordre de réquisition (38) stipule  que “le parc et les prés autour du château seront à la disposition des autorités allemandes…que le régisseur – chef cuisinier et sa femme, deux femmes de chambre, une femme pour la cuisine et un chauffeur » seront mis à disposition et que « pour continuer le chauffage central, le charbon entreposé au château ne doit pas être enlevé (…). Aucun objet de quelque nature que ce soit, à part les affaires personnelles ne doit être emporté par les personnels travaillant au château ». Enfin, “toute la literie doit rester au château ainsi que les installations téléphoniques et les appareils électriques et lampes qui s’y trouvent”.  Dans l’inventaire méticuleux dressé par Me Paul Brun, on trouve l’état du cheptel : “ 2 porcs de 55 kg chacun, un porc malade, 18 gros lapins, 6 jeunes lapins, 5 oies, 20 poules, 30 poulets”, sans oublier “4 ruches pleines et une ruche vide”. Où il apparaît que la S.A.G.E.M. fut donc aussi un (très modeste) producteur de miel…

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L’Hôtel Bellevue, à Néris-les-Bains, siège provisoire de la Sagem (novembre 1943 – mai 1944), après la réquisition du château d’Argentières

• Le seul litige portera sur le contenu de la cave que les Allemands voulaient récupérer, mais qui n’est pas réquisitionnable, faute de figurer expressément dans l’ordre de réquisition.  La direction de l’entreprise doit déménager en toute hâte. Elle trouvera à se reloger à l’Hôtel Bellevue à Néris-les-Bains, qu’elle loue à compter du 17 novembre jusqu’à la reprise de la saison thermale, fixée au le 15 mai 1944. C’est Marcel  Pasquet, directeur technique de l’usine qui est chargé des négociations. 

Sur l’utilisation du château d’Argentières sous l’occupation, Armand Gourbeix et Louis Micheau apportent quelques explications dans leur livre Montluçon sous la botte allemande publié en 1945: “Durant cette période, c’est une moyenne de 70 soldats ou officiers qui y séjournèrent. Leur cure de repos ne dépassait pas 15 jours et un adjudant, un économe et deux infirmiers constituant le personnel sédentaire assurèrent en permanence le service avec l’aide d’une allemande (la veuve du général Von Bülow), d’un cuisinier français et de plusieurs femmes de chambre choisies parmi les moins farouches des postulantes (sic) qui se présentèrent au bureau de placement allemand où des propositions alléchantes leur étaient faites. Les pensionnaires se livraient à la pratique des sports, notamment du football dans les prairies voisines, en bordure de la route de Vaux, mais ceci ne devait pas les empêcher de sacrifier au culte d’Eros, en compagnie de servantes, plus habiles aux jeux de l’amour qu’au lavage de la vaisselle. Brusquement et sans raison apparente, ce centre de repos fut supprimé le 15 mai 1944 et ses pensionnaires, ainsi que le personnel quittèrent la région de Montluçon pour se rendre à Châtel-Guyon.. Quelques jours avant la libération du Bourbonnais, le château devait donner asile à une batterie allemande qui se repliait vers l’est. Les artilleurs parmi lesquels figuraient plusieurs anciens pensionnaires du château séjournèrent une nuit seulement à Argentières mais ce fut suffisant pour qu’ils mettent la main sur le stock de foin et de paille du concierge pour nourrir leurs chevaux”. 

LES DIFFICULTÉS DE L’APRÈS – GUERRE

(1944-1949)

1946 JUILLET SAGEM Hall Détruit
◘ Vue aérienne du site de la SAGEM (1946) avec le hall de la SAT dévasté en septembre 1943 et non encore restauré (© IGN)

◘ UN RETOUR À LA PAIX DIFFICILE

ENTRE REDÉMARRAGE ET ÉPURATION

Sagem cérémonie libération
◘ Après la Libération: une cérémonie dans la cour de la SAGEM en l’honneur des victimes de la guerre (fin 1944)

 •  La libération du territoire, au cours de l’été 1944, se traduit provisoirement par un maintien des commandes liées à la guerre qui se poursuit en Europe jusqu’au 8 mai 1945. Après cette date, la  résiliation des commandes militaires va rendre indispensable la reconversion vers des produits  qui ont été imaginés sous l’occupation mais qu’il va falloir mettre en production rapidement et dans le domaine civil. L’autre problème à régler dans l’immédiat est celui de la direction de l’usine en particulier et de l’entreprise S.A.G.E.M. en général : « On ne sait  (alors) plus très bien  qui commande, tant à la S.A.G.E.M. qu’ailleurs. Tous les chefs d’établissement sont révoqués ou arrêtés », écrira Robert Labarre (39).

L'installation des Comités de gestion
◘ L’installation des Comités de gestion décidée par le C.D.L…À la SAGEM aussi
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◘ Marcel Pasquet (1971)

• En fait, dans le  contexte difficile des jours qui suivent la libération, le Comité départemental de Libération a décidé d’installer dès la fin du mois d’août 1944 dans toutes les entreprises de plus de cent  salariés un Comité de gestion et de contrôle pour remplacer la direction: “Des chefs, des cadres d’entreprises, de par la partie visible de leur comportement s’étaient rendus impopulaires. On pouvait les soupçonner de chercher à entraver le cours nouveau et par là même porter atteinte à l‘effort de guerre. Les antécédents de certains n’autorisaient qu’une confiance limitée. Enfin frapper à la tête  était une des conditions de choc psychologique susceptible d’amener une remise en route de toute la production”, écrit Georges Rougeron, secrétaire du CDL,  qui parle non sans raison “d’expérience peu commune en France”. Certains y verront même une sorte tentative  de “soviétisation” de l’industrie. 

CDL Comités gestion Le centre 30 aout 1944
◘ Le Centre Républicain (30 août 1944) annonce la création des Comités de gestion

Chaque comité de gestion  est  composé de trois membres : un ouvrier représentant la CGT, un cadre ou technicien représentant l’UNITEC et un troisième qui “ aura le direction effective de l’entreprise et qui sera responsable devant les autres membres du Comité”. Il est prévu que ce puisse  être le directeur de l’entreprise, “à condition qu’il ne se soit pas compromis pendant l’Occupation”. Le Comité de gestion est lui même responsable devant un comité patriotique et devant le syndicat, c’est à dire la C.G.T..

• Dans Le Centre Républicain du 5 septembre 1944, on lit dans la rubrique « les usines »  que “Le comité de gestion et de contrôle des établissements SAGEM est composé de la façon suivante :  Pasquet Marcel, directeur technique, gérant responsable. Fougerat André (ingénieur opticien) représentant  l’UCIFC, membre. Bacq Georges, représentant de la CGT, membre”. En novembre 1944, le même André Fougerat prendra officiellement la direction de l’usine de la Côte-Rouge, un poste qu’il occupera jusqu’en 1948.  Quant à  Marcel Pasquet, ancien élève de l’école polytechnique, ingénieur de l’artillerie navale, entré à la Sagem en 1930, il accomplira une brillante carrière au sein de l’entreprise: il deviendra directeur technique de l’ensemble des usines, puis vice-président du conseil d’administration, sous l’autorité de Robert Labarre, avant d’être fait officier de la légion d’honneur et de prendre sa retraité en 1971. Un autre communiqué du Centre Républicain mentionne le cas de la S.A.T. avec la nomination de  Léon Parcé, directeur technique, comme gérant responsable.

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◘ 25 août 1944: Les Milices Patriotiques (groupe de la Sagem) défilent dans les rues de Montluçon libéré

La nouvelle organisation mise en place par le C.D.L. est loin de susciter l’unanimité : “L’opposition éclate entre d’une part les cadres de la S.A.G.E.M. et de la S.A.T. repliée à Montluçon et, d’autre part, le Comité de gestion. Pour se défendre et empêcher la rupture de l’unité des sociétés, et en accord avec la direction, les cadres se regroupent et jugent que le seul moyen de se défendre est d’adhérer à la C.G.T”., écrit Robert Labarre (40). C’est André Marchand (1917-2005) , un jeune Gadz’art originaire de La Chapelaude, entré à la Côte-Rouge en 1941, comme dessinateur d’exécution,  qui va devenir secrétaire des ingénieurs et cadres C.G.T. de la S.A.G.E.M. et de la S.A.T., avant d’occuper des responsabilités au plan départemental puis national.

André Alajouanine, interné provisoirement au camp de Tronçais
◘ André Alajouanine, interné provisoirement au camp de Tronçais

• À la Côte-Rouge, c’est l’heure de l’Épuration. André Alajouanine  a été  relevé de ses fonctions de directeur de l’usine à la fin d’août 1944. Après son arrestation par les milices patriotiques et un passage par l’Hôtel de France, siège de la Police  situé face à l’hôtel de ville de Montluçon,  il se retrouve interné provisoirement au Centre de séjour surveillé de Tronçais, plus communément appelé le “camp de Tronçais”, en même temps que d’autres directeurs d’usines montluçonnaises  comme Alexandre Meiller des Fers Creux, Jean Pétavy de Dunlop ou Vitteaux de l’usine Saint-Jacques (41). Dans un camp qui échappe provisoirement à tout contrôle et à toute autorité légale, certains auraient même parlé alors (conditionnel de rigueur)  de le fusiller… Des faits que rien ne permet toutefois de vérifier et qui peuvent sembler très exagérés. .

• Selon Jean Bornet (42), il faudra faire intervenir in-extremis l’administrateur de l’usine pour le faire sortir du camp de Tronçais. En fait, rapporte le même témoin, “ses relations avec l’occupant étaient restées distantes et les autorités allemandes trouvaient qu’il n’en faisait pas assez, tandis qu’une partie du personnel trouvait qu’il en faisait de trop ”.  Quant à Marcel Môme, il doit se cacher pendant quelque temps dans la propriété d’un employé. Finalement, André Alajouanine sera relâché et rappelé à Paris, en novembre 1944, auprès de Marcel Môme. Il achèvera sa carrière à la fin des années 1950, comme directeur des usines du groupe.

• Pendant ce temps, un Comité d’Épuration s’est installé à la Côte-Rouge et  des dizaines de membres du personnel et de l’encadrement doivent comparaître devant lui. Dans la plupart des cas, les dossiers seront classés sans suite, faute de charges, autres que celles d’avoir continué à travailler sous l’Occupation. Pour être partis travailler volontairement en Allemagne, quelques salariés comparaîtront toutefois devant les chambres civiques instaurées à la libération, avec parfois à la clé des condamnations à des peines d’indignité nationale, qui bénéficieront dans les années suivantes de mesures d’amnistie.

Sans titre
◘ Quand l’Épuration provoque des remous, y compris au sein du syndicat CGT (Le Centre républicain, 30 septembre 1944)

Le déroulement de l’Épuration, surtout dans les premières semaines, peut aussi conduire à des remous, y compris au sein du syndicat CGT. Le 20 septembre 1944, trois membres du Syndicat des employés, techniciens et agents de maîtrise de la SAGEM et de la SAT décident de provoquer une réunion des syndiqués, fixée au  lendemain. Il s’agit de Roger Godard, chef chronométreur, de Jean Bornet, responsable des plannings, et de Jean-Baptiste Michel, contremaître. Tous les trois souhaitent l’installation d’un « groupement de défense des employés pour tenter d’intervenir contradictoirement auprès du Comité de gérance des usines SAGEM, en faveur des sanctionnés éventuels, par décision du Comité d’épuration« . Un Comité d’épuration dont ils estiment  qu’il instruit uniquement à charge. Mis au courant de cette initiative, le Conseil syndical provisoire décide de répliquer immédiatement. Dès le 21 septembre il prononce l’exclusion du syndicat et pour une durée d’un an de Roger Godard et de Jean Bornet, « estimant qu’ils ont gravement contrevenu à la discipline syndicale qui exige de chacun de ses membres les respect des lois républicaines, en tentant de constituer en dehors de son autorité un groupement illégal, portant ainsi atteinte à l’intérêt collectif que seuls sont autorisés à défendre les syndicats corporatifs légalement constitués« .  Quant à Jean-Baptiste  Michel, il s’en tirera avec un  « blâme rendu public« . Une décision qui sera annoncée dans le journal Le centre républicain, quelques jours plus tard.

•  Plusieurs  cadres seront  mutés en région parisienne. Quelques-uns sont révoqués, parfois internés provisoirement. On cite l’exemple d’un salarié, probablement cadre (43), arrêté par les F.T.P. en août 1944, incarcéré  au camp de Tronçais pendant quelques semaines puis transféré à Moulins. Il ne sera libéré  qu’en  avril 1945, sans qu’il y ait eu jugement. Le comité d’entreprise s’étant opposé à sa réintégration, et même à sa présence dans cette ville, où il avait retrouvé du travail, la S.A.G.E.M. lui avait proposé une embauche à Argenteuil, ce qu’il avait refusé, d’où son licenciement. C’est ce qui le conduira à demander réparation du préjudice subi auprès de la Direction. Hormis ces quelques cas, au début de 1945, les choses rentrent dans l’ordre,  lorsque le C.D.L. voit son pouvoir de plus en plus réduit  par la reprise en main préfectorale, sous l’autorité du Gouvernement provisoire de la république française.

SAGEM Sortie usine
◘ La sortie des personnels,  après guerre

• Dans le même temps, la capitulation de l’Allemagne nazie, le 8 mai 1945, permet le retour au pays de membres du personnel qui ont été soit prisonniers depuis 1940, soit déportés, soit requis par le S.T.O. C’est pour permettre aux plus affaiblis d’entre eux de retrouver leur force que le château d‘Argentières devient un Centre de soin et de repos. Une vocation que le site gardera jusqu’en 1962, en accueillant les personnels des différentes usines et du siège dont l’état  le nécessite. Ils pourront s’y refaire une santé. Transport, séjour et soins sont pris en charge par la S.A.G.E.M. et la durée du séjour est fixée à trois semaines. 

◘ UN RETOUR À LA PAIX SYNONYME

DE   RECONVERSION DIFFICILE

Un hall complet destiné aux machines à chaussure
• Un hall complet destiné aux machines à chaussures, à la Côte Rouge

•  Une fois ces problèmes réglés, l’autre priorité est de trouver de nouveaux marchés pour maintenir l’activité et le personnel. On ira provisoirement jusqu’à fabriquer des chargeurs pour les fusils mitrailleurs. L’entreprise produit aussi des téléphones de campagnes pour l’armée, ou des  machines pour la Compagnie des Signaux, destinées à la  fabrication des câbles.

•  Un marché civil qui semble porteur et pour lequel l’usine de Montluçon a acquis de l’expérience, c’est celui des  machines à fabriquer les chaussures, vite surnommées « machines à godasses » par le personnel. Commencée pendant la guerre, leur production donne à la S.A.G.E.M une avance certaine sur ses concurrents. La totalité du montage des machines est assurée dans les halls de la Côte Rouge. Dès 1945, à la première Foire de Paris d’après guerre, l’entreprise est capable d’exposer une gamme complète de machines.  Le marché va s’avérer porteur jusqu’en 1948, avant de stagner, puis de connaître une reprise avec l’entrée  sur le marché américain en 1953, pour finalement disparaître dans les années 1960. C’est l’existence de ce marché outre-Atlantique  qui a conduit la S.A.G.E.M.  à créer une filiale américaine, Sagem-Corp, qui devait survivre  bien après la disparition de l’activité machines à chaussures. 

Un exemple de production civile, après guerre
• Un exemple de production civile, après guerre: les machines destinées  à la fabrication des chaussures

• Une autre spécialité constitue un appoint d’activités : la fabrication de machines à bois, de machines combinées à 5 opérations, de machines outils (fraiseuses) auxquelles il faut ajouter toute une gamme d’appareils de métrologie et d’optique qui a démarré avec l’ingénieur André Fougerat, “un des meilleurs spécialistes  français de l’optique” selon le témoignage de Jean Bornet. Enfin, les compresseurs et installations frigorifiques S.A.G.E.M. équipent aussi bien  les navires de la marine marchande…que des patinoires. Pourtant, ces fabrications irrégulières en quantité ne peuvent constituer la charge principale de travail.

De nouvelles gammes de produits civils
◘ De nouvelles gammes de produits civils

• C’est sur d’autres marchés que va se jouer la pérennité de l’entreprise. Sur le principe de l’autonomie de gestion, la S.A.G.E.M. a réorganisé ses activités en quatre départements : la télécommunication, le froid, les machines à chaussures et la Marine. Dans les années qui suivent la guerre,  cette dernière activité reste concentrée à Montluçon, sous la direction d’André Marchand, tandis qu’Argenteuil remet à niveau ses équipements. Malheureusement, la recherche coûte cher pour des résultats aléatoires et “en 1947, la Marine qui nous a fait travailler pour la patrie n’a toujours pas réglé la facture”, écrit Robert Labarre.

La gamme des machines à bois
◘ La gamme des machines à bois, une  autre nouveauté SAGEM

Le domaine qui semble beaucoup plus porteur est celui des télécommunications, d’autant que la S.A.G.E.M. a pris une participation majoritaire dans la S.A.T. en 1939 et que l’usine de la Côte Rouge l’a hébergée depuis 1940. C’est d’ailleurs le hall de la S.A.T. qui a le plus souffert du bombardement de septembre 1943. Elle fabrique des matériels de transmission, des répéteurs, des condensateurs  tout en poursuivant l’équipement des centraux téléphoniques en plein essor.

LEBEDINSKY, HENRY, CAZAUX piliers SAT Montuçon 1945
◘ Myron Lebedensky, Louis Henry et André Cazaux, dirigeants de la SAT  installée à Montluçon (1945)

• Le retour à la paix et le redémarrage de l’économie génèrent aussi d’énormes besoins en charbon. Là encore, les ingénieurs de la S.A.G.E.M. vont y apporter leur contribution avec, dès 1948, la fabrication des toutes premières machines destinées à l’extraction du charbon, d’abord sous licence Anderson, avant que l’entreprise ne  soit capable de construire ses propres machines. Pour diriger et développer ce nouveau département Mines, Marcel Môme  fait appel à son gendre, Robert Labarre.

En tête Sagem 1946
◘ En Tête d’un certificat de travail, daté du 28 février 1946

•La fonderie de Saint-Jean se développe aussi avec l’installation d’un premier four électrique pour la fusion de pièces d’acier destinées au matériel de mine. Un deuxième four sera installé en 1954 puis un cubilot moderne d’une capacité de 3,5 tonnes à l’heure. Dans les années 1970, plus de 70 personnes y coulent des pièces qui vont de quelques dizaines de grammes à plus de 4 tonnes pour les pièces  en fonte.

◘ 1949 : LA S.A.G.E.M. 

AU BORD DU GOUFFRE 

•   Pourtant la situation financière apparaît  fragilisée, avec une division globale du chiffre d’affaires par deux, à un moment où il faut soutenir de coûteux projets de développement et de recherches, dans deux directions : le matériel de mines et les téléimprimeurs.

350-machine-a-projeter-et-mesurerLes augmentations de capital ou l’introduction en bourse de la S.A.T. en 1946 ne suffisent plus et la situation de la trésorerie est devenue critique. En 1949, la S.A.G.E.M traverse une très grave crise financière. Face à des concurrents qui misent peut-être davantage sur le prix que sur la qualité de la production, les machines à chaussures se vendent moins bien tout comme les machines à bois. La direction laisse même entendre que les coûts de fabrication excéderaient les prix de vente des machines S.A.G.E.M. Au début du mois de mai, les journaux commencent à évoquer des suppressions importantes d’emplois qui toucheraient 25% des personnels non productifs, au siège et sur l’ensemble des sites, ainsi que  17% des effectifs liés à la production, entre Argenteuil, Saint-Étienne-de-Rouvray et Montluçon.

• Après quelques atermoiements, la crise que traverse l’entreprise débouche, en 1950, sur une importante vague de suppressions d’emplois qui n’épargne pas l’usine de la Côte-Rouge: les 200 licenciements prononcés viennent s’ajouter à 400 départs et font passer les effectifs globaux de 3.000 à 2.400 salariés.  Le malaise est  profond car c’est la première vague de licenciement de cette ampleur, même si chaque renvoi est assorti d’une promesse de priorité de réembauche, en cas de redémarrage des activités. Il  débouche sur des grèves  à la fois longues et dures (de février à mars 1950). Le contexte syndical s’est lui même durci, avec la scission de la C.G.T en décembre  1947 pour donner naissance à F.O. (Force Ouvrière) en avril 1948. F.O. drainera un nombre important d’anciens syndiqués de la C.G.T. et attirera des non-syndiqués. La rivalité  entre la C.G.T. et F.O. va désormais marquer les luttes syndicales autant que les élections professionnelles. Chez les cadres, une recomposition du paysage syndical s’est aussi amorcée : cette même année, la grande majorité des cadres choisissent de quitter la C.G.T. pour rejoindre la C.G.C. ou Confédération générale des Cadres.

SAGEM Mai 1949
Mai 1949 (Le Centre républicain): “200 salariés menacés de perdre leur emploi”

•  Les difficultés touchent d’autres entreprises du bassin : à l’usine Dunlop, le personnel va observer entre décembre 1949 et janvier 1950 une grève perlée de 57 jours. À la S.A.G.E.M., dans la métallurgie, comme chez Pinguely ou à Saint-Jacques, les grèves vont durer 5 semaines, avec la mise en place, comme en 1936,  de piquets de grève. La Côte-Rouge connaît même des affrontements physiques entre grévistes et non-grévistes tentant de forcer les piquets de grève ou de pénétrer dans l’usine par des voies détournées. Le 10 mars 1950, le commissaire central de Montluçon  rend compte des événements au procureur de la République (44) : “La situation est la même pour ces trois usines : un piquet de grève, composé de quelques ouvriers se tient continuellement derrière l’entrée principale dont la porte est fermée, déclarant obéir à un ordre du comité de grève et ne pouvoir quitter les lieux que sur un nouvel ordre de ce même comité. Il n’y a eu jusqu’à ce jour aucune entrave sérieuse à la liberté du travail, étant donné que les ouvriers qui désirent travailler n’ont pas insisté pour pénétrer dans les établissements occupés. Il ne m’est pas possible d’intervenir avec des forces de Police à l’encontre des piquets de grèves, dans l’intérieur des usines, sans qu’un jugement d’expulsion soit rendu ». Le syndicat des cadres de la métallurgie va d’ailleurs porter plainte, début mars, « pour entrave à la liberté du travail contre plusieurs inconnus. En effet, tous les membres de notre syndicat désireux de travailler en ont été empêchés par les piquets de grève, se trouvant aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, et ce aux différentes heures de prise du travail”. Le Directeur de l’usine lui-même, M. David, se plaint auprès du commissaire central que “ des ouvriers de notre usine se sont installés dans le pavillon des gardes, à l’intérieur de nos bâtiments industriels, où ils occupent la salle d’attente et une autre pièce. Ces ouvriers constituent un soi disant piquet de grève ”.

André FOUGERAT, directeur de l'usine (au centre, avec des lunettes)
◘ André FOUGERAT, ingénieur spécialiste de l’optique, directeur de l’usine de 1945 à 1948 (au centre, avec des lunettes)

 ◘ VERS L’ÉCLOSION

DE NOUVEAUX PROJETS PORTEURS

Deux projets vont finalement aboutir  et contribuer à  sauver l’entreprise : d’abord la fabrication en grandes séries des haveuses puis celle des téléimprimeurs. Dans la décennie 1950-1960, la durée du travail peut à nouveau dépasser largement les quarante heures.

Les haveuses, un marché porteur
◘ Les haveuses, un nouveau marché porteur

Le matériel de mines et les haveuses  concernent directement l’usine de la Côte Rouge. Les mines ont été remises en activité, depuis la fameuse “bataille du charbon” lancée après la Libération, et les mines de la Sarre ont été placées sous administration française, avec la volonté de mécaniser l’abattage. La technologie est déjà bien maîtrisée par des firmes anglaises ou allemandes mais le gouvernement préfère une solution française : la fabrication de haveuses sous licence  britannique en France. Une opportunité que va saisir la S.A.G.E.M. qui, tout en possédant le savoir-faire mécanique et bientôt hydraulique, a déjà l’expérience de la production sous licence, avec des équipements militaires produits avant guerre. Les premières machines seront livrées aux différentes mines des Charbonnages de France, dès 1948, tandis que l’entreprise lorgne également du côté des mines de fer.

Un hall entier dédié au montage des haveuses
◘ Un hall entier dédié au montage des haveuses à l’usine de la Côte Rouge

• Les fabrications sont réalisées en grande partie dans les halls de montage de la Côte-Rouge et le programme de développement est confié à Robert Labarre, qui connaît bien l’usine pour y avoir commencé sa carrière pendant la guerre. Divers perfectionnements sont progressivement introduits : des moteurs plus puissants, l’introduction de l’hydraulique et la régulation de la vitesse de taille. A propos de l’hydraulique, Jean Bornet se rappelait que des ingénieurs Citroën sont venus à Montluçon pour développer leur savoir faire, au moment où la firme aux chevrons élaborait le projet de la future DS. Tandis que la fabrication  se poursuit sous licence, le  fabricant britannique Anderson Boyes ne cache pas ses inquiétudes dès lors que  “l’’élève devient meilleur que le maître”

• Finalement la S.A.G.E.M. décide de reprendre à son compte la fabrication et le développement de ces produits, d’autant qu’après le passage à vide des années 1949-1950, la société a retrouvé sa capacité d’investir. La fabrication en série des haveuses va désormais assurer un volume de travail important et pour plusieurs décennies. Au delà du charbon, les mines de fer de Lorraine et les mines de potasses constituent d’autres débouchés non négligeables. Dans les années 1970, plus de 120 haveuses sortent des ateliers de la Côte-Rouge dont 95 partent à l’export.

De nouveaux modèles de haveuses, plus performantes, au début des années 1960
◘ La Speedmatic,  nouveau modèle de haveuse, plus performante, au début des années 1960

La Speedmatic S 16, mise au point sous la responsabilité de Robert Labarre, permet de passer d’une capacité de taille de 1m/mn à 6m/mn. C’est le tout  premier modèle “100% S.A.G.E.M”. Ces haveuses représenteront jusqu’à  90% du parc français et 25% du chiffre d’affaires global de l’entreprise,  avec un rebond de l’activité qui suivra les chocs pétroliers. L’exportation se révèle également fructueuse et l’on parlera de “contrat du siècle”, lorsque  52 haveuses sont commandées par la République Populaire de Chine en 1978.

L'atelier des haveuses en 1978
◘ L’atelier des haveuses en 1978. Direction les mines de charbon chinoises

• Ce sera ensuite la mise au point de la Panda, dont le prototype sort en 1984. Dans les mines de la Sarre, la machine livrée en 1988 affiche une capacité d’extraction de  2.500 à 3.000 T par jour.  En 1991, la presse évoquera  la livraison d’une toute nouvelle machine aux mines de la Sarre : 52 tonnes pour une puissance de 500 kW. Les mêmes journaux parlent alors  des exploits réalisés par une autre haveuse en exploitation dans le bassin lorrain : 18.000 tonnes de charbon en 24 heures…De quoi faire pâlir de jalousie le mineur  Stakhanov et ses exploits…du moins pour la propagande stalinienne.

Un téléimprimeur SAGEM modèle 1952
◘ Un téléimprimeur SAGEM modèle 1952

• Les téléimprimeurs représentent l’autre marché porteur : les prototypes de 1944, mis au point à Montluçon, ont été perfectionnés et les recherches se sont orientées vers l’impression pleine page, au lieu du ruban papier,  avec un réseau de télex à créer. Dès 1949, la S.A.G.E.M. est capable de livrer un téléimprimeur mécanique construit en série. Il sera adopté à la fois par l’administration des P.T.T. et par le ministère de la Défense.

Le plan Monnet, premier plan économique français lancé en 1946,  prévoyait l’installation de 13.000 télex en dix ans, ce qui exacerbe la concurrence anglaise, allemande et italienne. Le démarrage est pourtant lent avec seulement trente-deux abonnés privés au télex en 1947. Les plus grosses commandes viennent encore de l’Armée de l’air ou de la Marine. Si la fabrication occupe cinq cents  personnes à Argenteuil, un nombre important de pièces sont fabriquées localement et la Côte-Rouge profite donc de l’essor de la nouvelle technologie, le tout dans un contexte de concurrence  et de croissance forte.

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◘  ◘ Un téléimprimeur S.A.G.E.M., modèle 1966

• À la fin des années 1950, l’apparition des transistors  permettra de remplacer les cames et embrayages des téléscripteurs  par des dispositifs électroniques, préludes à un nouveau développement important dans les années  1970-1980. En 1962, une nouvelle fois, la S.A.G.E.M. a innové avec la mise au point du tout premier téléimprimeur électronique, à l’échelle mondiale.  Pour les appareils à usage militaire, un accord de licence et d’échanges de techniques a été conclu avec Kleinschmidt une filiale de  l’Américain Smith Corona Marchant. 

•   Le retour des commandes de la marine nationale en 1947 et des armées, avec une montée en puissance au cours des années 1950 fait que l’État représentera jusqu’à la moitié de la charge de travail, en 1952.  

Système optique d'appontage
◘ Système optique d’appontage

L’optique d’appontage, les gyrocompas, les systèmes de guidage constituent une part essentielle de la production. Le grand programme Marine lancé par l’Etat, avec la construction  d’escorteurs, sans compter les équipements pour dragueurs et patrouilleurs constituent une formidable opportunité : “ Jusqu’en 1956, jamais la S.A.G.E.M. ne sortit autant d’équipements de compas, de traceurs de route, de variateurs de vitesse ou de garde cap ” (45).  Dans le contexte de guerre froide, les embauches dans certaines ateliers dits sensibles ne peuvent alors être effectuées qu’avec l’accord de la Direction de la surveillance du territoire (D.S.T.) à laquelle les dossiers de candidatures doivent être transmis. 

Sortie usine sagem
La sortie de l’usine au milieu des années 1960

Au seuil des années 1960, la S.A.G.E.M. semble sortie de ses difficultés et elle peut envisager sereinement une reprise de sa croissance. C’est à ce moment-là que disparaît brutalement le père fondateur, Marcel Môme. Le journal Centre Matin salue “ses larges compétences, son dynamisme et sa grande capacité de travail qui l’avaient conduit à la création de la S.A.G.E.M.” Après avoir rappelé “son naturel simple et affable”, le même journal souligne son attachement à la région montluçonnaise. C’est désormais son gendre, Robert Labarre, un gadz’art qui a fait ses premières armes à l’usine de la Côte-Rouge sous l’Occupation, qui va lui succéder et tenir les rênes de l’entreprise jusqu’en 1987.

Décès marcel Môme Le Centre 3 mars 1962
Centre-Matin (3 mars 1962) salue la mémoire du fondateur

◘ L’ÉVOLUTION DES PERSONNELS 

ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL

•  Finalement, alors que  la situation de la S.A.G.E.M. semblait compromise au début des années 1950, l’entreprise a pu  opérer un redressement spectaculaire au cours de la décennie. Sur l’ensemble des sites, les effectifs sont passés de 2.400 salariés en 1949-50 à 4.200 à la fin des années 1950, pour le G3S qui regroupe la Compagnie des Signaux, la S.A.G.E.M. et la S.A.T., toujours sous la direction de Marcel Môme, le fondateur, jusqu’à son décès le 2 mars 1962, puis de Robert Labarre entre 1962 et 1987. Sur place les effectifs  de l’usine de la Côte Rouge sont à leur apogée : ils fluctuent alors dans les années 1960 et 1980 entre 2.200 à 2.400 emplois (2.289 en 1968…2.409 en 1970 et 2.278 en 1981, dont 426 sont des Domératois, soit 20% des effectifs. Quant aux horaires, ils oscillent encore couramment entre 42 à 50 heures.

• L’ÉVOLUTION DU SITE DE LA S.A.G.E.M. (1951-1966) 

Côte Rouge 1951
◘ La Côte-Rouge en 1951 (IGN). Le parking automobile n’existe pas encore…
Vue aérienne de l'usine au milieu des années 1950
◘ Vue aérienne de l’usine au milieu des années 1950: le parking   se développe « timidement« , en face de l’usine. Un septième hall a été ajouté pour abriter les fabrications de la SAT.
Côte Rouge 1955
◘ L’emprise de l’usine en 1955, avec ses 6 halls et une importante réserve foncière pour de futurs agrandissements. En haut à gauche: les bâtiments de la “cantine”  de la Sagem 
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◘ Une autre vue du site de la Sagem en 1957
Usine Sagem et plan 1966
◘ Vue aérienne et plan de l’usine en 1966: 46 000 m2 de bâtiments sur une emprise totale de  plus de 40 hectares
Côte Rouge 1962
◘ La Côte-Rouge en 1962 (IGN)

• L’IMPORTANCE DE L’APPRENTISSAGE

• Durant cette période, l’usine mise sur la formation d’une partie de ses ouvriers, via l’apprentissage. L’expérience, qui a commencé dès 1937,  perdurera jusqu’en 1962-1965, avec la toute dernière promotion. Chacune compte entre une douzaine et une vingtaine  de garçons, tous âgés d’une quinzaine d’années, qui passent un concours, avec au programme des matières générales. Tous titulaires du certificat d’études primaires,  ils reçoivent en trois ans une formation qui les prépare au C.A.P. ou certificat d’aptitude professionnelle. À l’issue de l’examen, un classement est établi: ceux qui figurent dans le premier tiers seront ajusteurs, ceux du  tiers suivant deviendront tourneurs, tandis que les autres seront fraiseurs. En tout, en un peu plus d’un quart de siècle, ils seront plus de 500 à avoir emprunté  cette voie de l’apprentissage, faisant ensuite, pour la plupart, carrière dans la maison qui les a formés.

Le Centre juin 1947 apprentis Sagem
◘  Le Centre républicain (juin 1947) publie la liste des futurs apprentis
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▲ La formation des apprentis de la SAGEM: de la formation théorique à la formation pratique en atelier ▼

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• Nombre d’entre eux sont fils d’ouvriers de la S.A.G.E.M. L’usine leur alloue une  bourse d’études dont le montant annuel allait en 1962 de 348 F, la première année,  à 672 F, la dernière année,  ce qui représenterait entre 530 € et 980 € d’aujourd’hui. Le tout est complété par une prime de classement “ établie en fonction du nombre de points acquis au delà de 100 à chaque classement trimestriel”.

Sagem apprentis à l'étau - Copie
▲  Les apprentis au contact des machines ▼

Sagem apprentis en formation

• Les cours sont assurés par des personnels de la Côte-Rouge, dans un local spécial situé dans l’enceinte de l’usine, avec quelques intervenants extérieurs pour les cours plus théoriques. À noter pour l’anecdote, qu’il y avait même  des cours de…jardinage.

Sagem équipe sportive
◘ Un autre aspect de la formation des apprentis: le sport

• À l’issue de la première année, et selon le classement, l’apprenti qui a suivi des cours de tournage, de fraisage et d’ajustage, passe une épreuve d’ajustage et selon le rang de classement peut choisir entre les trois spécialités. L’examen final se déroule dans les locaux de l’E.N.E.T. (École nationale de l’enseignement technique) et sous contrôle de l’Education Nationale…

L'Ecole Nationale d el'Enseignement Technique, inaugurée en 1955: un nouveau vivier pour la SAGEM
◘ L’Ecole Nationale de l’Enseignement Technique (E.N.E.T.), inaugurée en 1955: un nouveau vivier pour la SAGEM
◘ L'atelier de mécanique d el'ENET en 1968
◘ L’atelier de mécanique de l’E.N.E.T. en 1968
8 La salle d'électronique en 1968 à l'E.N.E.T.
◘ La salle d’électronique en 1968 à l’E.N.E.T.

• C’est ensuite le début d’une carrière avec ses étapes depuis l’OP, P1, P1 bis, P2, P2 bis, P3… L’usine recrute aussi directement des titulaires du Certificat d’aptitude professionnel. C’est ainsi que pour ses ateliers de bobinage, on embauche des “jeunes  manœuvres adaptées” nanties d’une formation de couturière, dont l’habileté et la dextérité manuelle sont  appréciées. Quant au personnel qualifié, il continue à être  recruté auprès de l’Ecole Pratique, devenue Ecole nationale de l’enseignement technique, transférée en 1955 sur le site de l’actuel lycée Paul-Constans. La pépinière des ingénieurs des Arts et métiers est toujours largement exploitée, mais la pratique de “ l’usinage” avec  “La notion de partir du bas pour se former”» évoquée par Jean Bornet a été progressivement abandonnée.

Un personnel féminin de plus en plus nombreux
◘ L’atelier de bobinage: un personnel féminin de plus en plus nombreux, « apprécié pour son habileté« 

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L’atelier de bobinage et de montage sous loupe binoculaire (1984) (Collection Guy Pireyre)

• CONDITIONS DE TRAVAIL ET SALAIRES

•   Que stipulent les  contrats de travail, dans les décennies 1950-1960 ? “Dès qu’un ouvrier aura été embauché, un jeton de pointage lui sera attribué. Ce jeton lui servira à pointer”. L’usine, et les alentours vivent au rythme des sirènes de la Côte-Rouge : “ Les heures d’entrée réglementaires sont annoncées par trois coups de sirène. Le premier à l’ouverture des portes 15 minutes avant la prise du travail. La deuxième, à la fermeture des portes, 5 minutes avant la prise du travail. Une troisième pour annoncer la prise du travail. À ce moment-là l’ouvrier doit être à sa place de travail ”

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• Pour les éventuels retardataires, il est précisé que “Une deuxième  ouverture a lieu 15 minutes après l’heure juste, le matin seulement. Les retardataires sont autorisés à entrer en perdant une demi-heure de la durée normale du travail…La cessation du travail est annoncée par un coup de sirène à l’heure juste…Aucun préparatif de départ n’est toléré avant l’heure de cessation du travail ». Au chapitre Disposition générale, on relève qu’il « est interdit d’entrer dans les ateliers en état d’ivresseDe manquer de respect au personnel dirigeant ou surveillant…De faire des souscriptions ou collectes dans les locaux de l’usine…De faire acte de propagande politique sous toutes ses formes (discours, distribution de tracts, signature de pétitions”.

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◘ Une main d’œuvre féminine de plus en plus nombreuse

Les années 1950  et 1960 ont vu l’arrivée en force des femmes, employées notamment dans les ateliers de bobinage. Mais c’est avec l’essor de la téléphonie, que les besoins en main d’œuvre féminine vont encore s’accroître. Recherchées pour leur précision, en même temps que pour  leur dextérité, elles sont plus de 350 à être recrutées à la fin des années 1960. Beaucoup n’ont pas de formation spécifique mais elles viennent de l’industrie textile locale qui commence à être à la peine. C’est le cas de la chemiserie Rousseau, qui fermera au début des années 1980, après avoir à plusieurs reprises “adapté” ses effectifs, ou encore du Comptoir de Confection et Bonneterie, mais aussi de Mavest et d’Hermel. On peut estimer que les femmes représentent au moins un tiers des effectifs lorsque l’usine de la Côte Rouge connaît son apogée, avec 2 500 emplois.

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• En ce qui concerne les salaires, la S.A.G.E.M a la réputation jusque dans les années 70-80 de bien payer son personnel. En tout cas, nettement mieux que l’usine Dunlop et surtout que la Chemiserie Rousseau où le niveau de salaire est l’un des plus bas du bassin montluçonnais. En 1947, un ouvrier (46) qui a été embauché pendant la guerre touche 19.000 F l’équivalent d’environ 1 050 € d’aujourd’hui. Devenu contremaître, quelques années plus tard  il arrive à 79.000 F en 1955 soit 1.600 €.   En 1961, après le passage aux “nouveaux francs”,  le même perçoit 1 335  F soit presque 2 100 €   d’aujourd’hui. Si l’on y ajoute une politique sociale maison qui apporte d’autres avantages, on comprend mieux le pouvoir d’attraction qu’exerce la Côte-Rouge, même si tout est loin d’être parfait.

• UN PERSONNEL FIDÈLE À LA CÔTE-ROUGE

Sagem action de 100 francs 1981• La participation et la possibilité pour les salariés de devenir actionnaires de leur propre  entrepris, qui se mettront en place avec les années 1970, seront deux autres moyens de fidéliser le personnel.  Le turn-over  est donc peu important et l’entrée à la S.A.G.E.M. constitue pour beaucoup le point de départ d’une carrière complète. Nombre d’ouvriers, techniciens ou cadres de la Côte-Rouge partis à la retraite dans les années 1970, 1980 ou 1990 y auront accompli tout leur parcours professionnel. À partir de 1970, la Côte-Rouge tourne une page de son histoire et voit progressivement le départ à la retraite de la génération des “personnels historiques”, ceux qui étaient là dès la fondation en 1933. C’est le cas, par exemple, de Jean Bornet, un des témoins rencontrés lors de la préparation de cet historique: entré à la S.A.G.E.M en 1925  comme jeune ouvrier “à l’étau » , avant de rejoindre la Côte-Rouge en 1934, il en part au tout début des années 1970 comme “Chef du personnel”.

• Du côté de la direction, après l’intermède de la Libération et du comité de gestion, l’usine voit passer à sa tête des hommes souvent issus de ses propres équipes de directeurs ou d’ingénieurs : Marcel Pasquet (1944-1945), déjà nommé, André Fougerat, (1945-1948), Aimé David (1948-1959), René Missioux (1959-1968), avant Raymond Guillemain (1968-1972), Edmond Pirard (1972-1973), auxquels succéderont André Cheville (1973-1976), Jacques Goin (1976-1993) et Jean-Paul Jainsky (1993-1998).  Certains resteront en poste une dizaine d’années, voire plus, d’autres seront plutôt des “papes de transition”, avant que l’usine ne devienne, à partir de la fin des années 1990, une courte étape dans une trajectoire de carrière au sein du groupe (48). On retrouvera en annexes quelques éléments biographiques sur ces différents directeurs de la Côte-Rouge.

• LA GRANDE “FAMILLE” S.A.G.E.M:

MYTHE  OU RÉALITÉ?

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◘ La cérémonie de remise de la « montre en or » pour les salariés de la Côte-Rouge, en 1969.
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◘ La montre en or attribuée à un salarié ayant travaillé à la Côte-Rouge, entre 1941 et 1971 (Coll. D. Delouche)

• La Revue S.A.G.E.M. publiée à partir de décembre 1968 à destination du personnel des différentes usines se fait régulièrement l’écho de ces fins de carrières, tout comme elle ne manque pas de mentionner les naissances, mariages et décès, voire les remises de distinctions maison, comme la fameuse “montre en or” remise à tout membre du personnel totalisant 30 années de présence continue dans la maison (47).

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◘ L’étang des Landes, à Lussat, lieu de prédilection des pêcheurs 
La revue SAGEM, un liens entre les générations de personnels et les différents sites
◘ La Revue SAGEM, un lien entre les générations de personnels et les différents sites

• Même avec près de 10.000 salariés, le groupe a gardé des réflexes d’entreprise à dimension “familiale”, ce que d’aucuns qualifieront de “paternalisme”. Jusque dans les  années 1980, il n’était pas rare que deux générations  cohabitent au sein de l’usine: le père cooptait ou parrainait son fils ou sa fille, créant un phénomène de “familles SAGEM”. Il est indéniable que même si   l’appartenance au sérail ne permettait pas tout,  elle n’en était pas moins un atout solide lors de l’embauche. Ce qu’Alain Gourbet résume ainsi: “Je ne veux pas dire qu’à l’époque on entrait de père en fils, mais pas loin. La SAGEM était quand même une entreprise assez paternaliste”.

• Localement, ces liens sont encore renforcés par les actions du comité d’établissement qui développe une politique de loisirs. L’étang des Landes, à Lussat, près de Gouzon, devient le lieux de prédilection  des pêcheurs S.A.G.E.M et le cadre d’une fête annuelle qui voit défiler quelques vedettes de la chanson jusque dans les années 1970-80. L’arbre de Noël, les spectacles du Groupe artistique S.A.G.E.M., fondé en 1942 et qui donne ses représentations  sur la scène du théâtre municipal de Montluçon, ou l’Amicale des anciens apprentis de la S.A.G.E.M., à l’initiative de nombreuses activités, contribuent au maintien d’un lien social fort et d’une indéniable “ identité S.A.G.E.M ”. 

• Cette amicale des anciens apprentis a été créée en 1961 par Paul Brousse (1921-2009), qui était contrôleur. Né en 1921, il avait seulement 13 ans lorsqu’il avait  été recruté comme apprenti en 1934, alors que l’usine venait tout juste d’ouvrir. En 1937, il avait décroché son CAP de tourneur sur métaux, point de départ d’une carrière accomplie  intégralement à l’usine de la Côte-Rouge.  À l’origine, l’objectif de l’Amicale allait bien  au delà de la simple convivialité. Il s’agissait aussi de faire en sorte que “les apprentis soient respectés par leur direction”. Ce que  René Charrière, président de l’Amicale, expliquait ainsi dans les colonnes de l’hebdomadaire La Semaine de l’Allier (20 mai 2021) : “Avant la création, les gens qui venaient de l’extérieur prenaient les postes les plus importants. Il fallait montrer à la direction  qu’on existait. À partir de sa création, on a tous  évolué”. (47 bis)

• Toutes  ces structures sont portées par quelques “bonnes volontés” qui s’y investissent parfois sur une longue période. C’est notamment le cas du groupe artistique présidé pendant un quart de siècle par Maurice Frugier, qui décide, en 1981, de tirer sa révérence, ou de l’Amicale des anciens apprentis dont le fondateur, Paul Brousse, a assumé la présidence pendant plusieurs décennies. .

La répétition de Georges Dandin, une des première pièces jouées par le groupe artistique, dans les années 1940
La répétition de Georges Dandin, une des première pièces jouées par le groupe artistique, dans les années 1940

• La pratique du sport, notamment le football, l’athlétisme, la natation et le tennis, en attendant le golf, au sein de clubs “maison”, y participe aussi. C’est le 9 mai 1940, à la veille de la grande offensive allemande à l’ouest, qu’avait été fondée l’Amicale sportive montluçonnaise ou A.S.M., destinée à fédérer toutes les activités sportives pratiquées à la Côte Rouge. À l’origine, l’amicale était affiliée aux fédérations françaises de basket-ball, de boules, de football, de natation, de ping-pong, et de tennis.

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◘ L’équipe minime de basket de l’ASM (1943-1944)

• Au fil du temps, d’autres sections ont vu le jour, telles que le tir à l’arc et le cyclotourisme, ainsi que le rappelait la Revue Sagem en mars 1981.  Pour permettre leur développement dans de bonnes conditions, des travaux d’aménagement avec stade, vestiaires, courts de tennis et club house ont été  réalisés sur les terrains situés face à l’usine. À partir de 1980, la Sagem organise  même des Olympiades qui permettent aux sportifs des clubs des différents sites de l’entreprise de s’affronter sportivement, tous les deux ans.

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◘ Des médailles  conçues par le peintre Jean Bougret

• Après Saint-Étienne-du-Rouvray et Argenteuil, c’est Montluçon qui  aura  la mission d’accueillir la IVè édition des Olympiades, le 25 juin 1988. Elles donneront lieu, comme les précédentes,  à  un cahier spécial, abondamment illustré, distribué en tiré à part avec la revue Sagem: “ Si loin de Paris et des autres centres Sagem, nous nous demandions qui ferait l’effort de nous rendre visite.  Quelle ne fut pas notre surprise d’enregistrer 650 inscriptions, sans compter les Montluçonnais”, peut-on lire sous le titre “Olympiades bourbonnaises”. On y apprend aussi que “quelque 150 Montluçonnais s’étaient mobilisés  pour proposer 22 disciplines sportives et artistiques”, depuis le volley-ball, les boules, le tennis ou la course à pied, jusqu’à l’équitation, la natation, le ball-trap, en passant par le tir à l’arc, la planche à voile, le ski nautique et même…la pêche à la ligne Une touche artistique était apportée par  la peinture, la philatélie et la photographie. On ne s’étonnera pas que les disciplines les plus fréquentées aient été  le tennis, le football, le cyclotourisme, la pêche à la ligne et les boules.

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◘ La remise de la coupe Robert Labarre par…Robert Labarre en personne, à l’issue des IVè Olympiades SAGEM, à Montluçon

• Autre signe de l’engouement pur ces Olympiades, la revue Sagem précise que le grand repas servi au Centre municipal Albert-Poncet réunissait pas moins de 840 convives. Côté palmarès, c’est Montluçon qui arrive largement en tête avec 78 médailles, sur un total de 155,  dont 27 d’or, 26 d’argent et 25 de bronze. Il faut toutefois préciser que la Côte Rouge avait mobilisé 370 participants, soir trois fois et demi plus qu’Argenteuil. Parmi toutes ces récompenses figurait la coupe Robert Labarre, remise par le Président de la Sagem en personne, qui renouait ainsi avec Montluçon où avait débuté sa carrière.

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◘ Une fête du “Comité champêtre” de l’usine de la Côte-Rouge, à Vallon-en-Sully, le 18 juillet 1971
1973: le groupe artistique de la SAGEM en représentation
1973: le groupe artistique de la SAGEM en représentation, au théâtre municipal de Montluçon
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◘ Naissances, mariages, décès, départs en retraite…Rien n’échappe à la revue SAGEM
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◘ L’heure de la sortie, à la Côte-Rouge (1966): de plus en plus d’automobiles mais aussi 4 bus spécialement affrétés

UN SURVOL DE L’HISTOIRE

DE  LA CÔTE-ROUGE

DANS  LES  ANNÉES 1960 – 2000

Publicité SAGEM, avec la liste des différents établissements, à la fin des années 1970
◘ Publicité SAGEM, insérée dans le Bulletin Municipal de Domérat,  avec la liste des différents établissements, à la fin des années 1970

◘ LES MUTATIONS DE L’USINE

• Les années 1960 marquent le début d’une période de mutations  importantes pour le groupe et pour l’usine de la Côte-Rouge, à la fois dans l’organisation du travail, dans les locaux qui vont connaître d’importantes transformations et dans la gamme des fabrications. C’est  la montée en puissance des systèmes de navigation à inertie pour l’aéronautique, mais aussi pour les sous-marins, sans oublier les systèmes de guidage et de pilotage dans le domaine spatial. Ce faisant, l’usine devient tributaire pour une part de plus en  importante des budgets de la Défense. Elle maintient donc en parallèle une grande variété de productions qui doit lui donner de la souplesse face aux variations des commandes de l’état.

1969: La SAGEM présente ses produits à la Foire-Exposition de Montluçon, quai Liuis Blanc
◘ 1969: La SAGEM présente ses produits à la Foire-Exposition de Montluçon, qui se tient alors quai Louis-Blanc

• Selon  René Bourgougnon et Michel Desnoyers, “Les différentes productions de la S.A.G..E..M.  frappent par leur grand nombre et par la diversité des techniques qu’elles mettent en œuvre. Cette situation qui va à l’encontre de la tendance contemporaine à la spécialisation est voulue délibérément pour compenser les variations de conjoncture de par la variété des produits proposés sur le marché, et pour conserver la maîtrise d’œuvre dans la fabrication de produits complexes qui font appel simultanément à plusieurs techniques” (49).

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◘ Les fabrication de  l’usine de la Côte-Rouge en 1975, mises en images par la Revue SAGEM.

• Une description de l’usine à la fin des années 1970, dans la Revue S.A.G.E.M. souligne les transformations perceptibles dans les locaux et l’on n’hésite pas à parler “ d’usine des contrastes” : “En pénétrant dans les bâtiments, nous retrouvons immédiatement l’atmosphère 1930 avec les escaliers étroits, les fenêtres à petits carreaux, les milliers de vitres enchâssées, dans un réseau serré de profilés et puis brutalement, au hasard d’un couloir  des zones en décor de science fiction, avec des hommes en blanc, des salles dépoussiérées, climatisées, bourrées de matériel électronique. Si les bâtiments gardent de l’extérieur leurs aspects anciens, le cœur manifestement vit au rythme d’aujourd’hui, à la recherche d’une perpétuelle jeunesse”.

◘ L'arrivée de nouvelles machines en 1974
◘ L’arrivée de nouvelles machines en 1974

• Un peu plus loin, le même visiteur évoque  un autre contraste, celui des productions : “ Si le matériel produit est bien toujours de technologie récente, la diversité des fabrications réalisées étonne. Ainsi, en avril 1979,  une équipe d’un peu plus de 200 personnes a collaboré à la sortie de haveuses pour la Chine, d’une tête de havage pour la Lorraine, de lots de pièces de rechange. L’ensemble représente 125 tonnes de matériel….Dans le même temps, une équipe d’importance équivalente dans le groupe aérospatial a réalisé  en gyros secs, gyros libres, gyros flottants, gyros à suspension accordée, plates-formes et système de guidage ou de navigation une production pesant moins de 340 kg”.

◘ L'atelier de fabrication des centrales de cap
◘ L’atelier de fabrication des centrales de cap et de verticales

• En 1975, dans  une évocation des différentes usines, la même revue d’entreprise mentionne pour la Côte-Rouge une surface totale de 40 ha, avec 3,8 ha couverts et 2.400 salariés. Dans la gamme des fabrications, elle cite les fabrications de série, les senseurs inertiels, les gyromètres et accéléromètres, les plates-formes gyroscopiques, les plates-formes inertielles, les composants pour télécommunication, les équipements frigorifiques, les équipements pour les mines (les haveuses), les fraiseuses et appareils de métrologie ou les centres d’usinage à commandes numériques, sans oublier les machines tournantes.

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◘ La haveuse Sirius, en partance pour l’exposition de Detroit, aux États-Unis (1976)
◘ L'usine de la Côte Rouge, résumée par la Revue SAGEM (1975)
◘ L’usine de la Côte Rouge, résumée par le texte et l’image dans la Revue SAGEM (1975)

◘ LES ÉVÉNEMENTS DE MAI 1968…

À LA S.A.G.E.M. AUSSI 

• Dans la chronique de l’histoire de la Côte-Rouge, deux autres temps forts, l’un social, l’autre climatique,  vont venir perturber ce qui semblait être redevenu  « un long fleuve tranquille »…

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Le quotidien montluçonnais Centre Matin (13 mai 1968)

• C’est d’abord les “événements de mai 1968 ” qui touchent l’usine comme toutes les autres du bassin montluçonnais et permet de renouer avec l’ambiance de 1936 et de 1950.  Un gigantesque meeting suivi d’un défilé a réuni au moins 5.000 personnes, le 13 mai, entre l’Édifice communal et la sous-préfecture, à l’appel de tous les syndicats, pour protester contre la répression policière à Paris dans la nuit du 10 au 11 mai.

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◘ Centre- Matin (21 mai 1968)
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◘ 13 mai 1968: Des milliers de manifestants, toutes catégories et toutes origines confondues  remontent le boulevard de Courtais
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◘ Centre Matin (22 mai 1968)
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◘ Centre Matin (27 mai 1968)

• Le mouvement de grève s’est ensuite propagé à compter du 20 mai, d’abord lancé par les cheminots et les salariés de l’usine Dunlop. À compter du 21-22 mai, la Côte-Rouge est elle aussi en grève, avec l’installation de piquets de grève et l’occupation de l’usine. Des étudiants des universités clermontoises en grève viennent apporter leur soutien aux grévistes de la S.A.G.E.M.

◘ Mai 1968 à la Côte Rouge...Comme en 1936
◘ Mai 1968 à la Côte Rouge, l’usine est occupée…Comme en 1936
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◘ Un des sit-in quotidiens, pendant la grève, sur le terrain de sport, en face de l’usine
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▲ Des grévistes occupant l’usine▼

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Le personnel gréviste avec les familles s’organise en reprenant le modèle de 1936. On se  restaure à la cantine de l’usine où une caisse de solidarité a été mise en place. Le 25 mai, 15 à  25.000 Montluçonnais descendent dans la rue  pour manifester “dans le calme et la dignité leur désir d’une politique sociale rénovée”  écrit le quotidien local Centre Matin. Le 30 mai, une troisième démonstration de masse aura lieu.  Entre temps, depuis le 26 mai,  des consultations  des salariés ont été décidées, dans toutes les entreprises du bassin montluçonnais, suite aux accord de Grenelle. Dans la plupart des cas, il est décidé de poursuivre le mouvement de grève  pour aller plus loin que  ce que stipulent les accords de Grenelle.

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L’équipe de la cantine pour assurer  le ravitaillement des grévistes…comme en 1936 

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• Finalement le travail reprendra les 5 et 6 juin, alors que la grève continue encore quelques jours chez Dunlop, chez Zélant-Gazuit et dans l’enseignement. La veille, à l’usine de la Côte-Rouge, ouvriers et employés  se sont prononcés largement pour la reprise du travail, avec 1 360 voix pour, 639 contre et 13 votes nuls.

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◘ Vers une reprise générale du travail (Centre Matin  – 7 juin 1968)

• Il est vrai que  les gains salariaux sont plus que significatifs : 5% à 8% d’augmentation sont actés dès le  1er juin, auxquels s’ajouteront encore  4%, au  1er octobre. Il est aussi prévu qu’une partie des journées de grèves sera payée, à commencer par la Pentecôte et l’Ascension qui tombaient au milieu du conflit social. Enfin, la direction de l’usine s’engage à reconnaître officiellement l’existence de sections syndicales au sein de l’entreprise, ce qu’elle n’avait jamais fait auparavant. Un autre  grand mouvement social touchera les ouvriers professionnels, au début des années 70, avec un long conflit qui s’étalera sur près d’un mois, pour des revendications salariales.

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◘ Centre Matin (28 mai 1968): un hommage à René Missioux, directeur de la Côte-Rouge de 1959 à 1968

• Durant ces trois semaines de crise sociale, l’histoire de l’usine de la Côte-rouge a été également marquée par la disparition de son directeur, René Missioux, emporté par la maladie. Ingénieur des Arts et métiers, il avait pu, comme le rappelait Centre Matin, se perfectionner en passant par les différents ateliers, comme le voulait alors l’usage. Le quotidien ajoute  que « tout promettait qu’il allait y poursuivre une brillante carrière”.

◘ LA  “TORNADE” DU 18 AOÛT 1971

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Après  les événements de mai 1968, , c’est “une tornade” non plus sociale mais bien climatique, qui s’abat sur la Côte-Rouge, trois ans plus tard, en même temps que  sur tout le bassin montluçonnais. Accompagnée d’un orage de grêle d’une extrême violence, elle se déchaîne le 18 août 1971, vers 21 h 00. Compte tenu de son architecture et des matériaux utilisés, l’usine va subir des dommages considérables : la moitié des toitures en tuiles, la totalité de celles en  Fibrociment, ainsi que les verrières des sheds  se retrouvent détruites. Les deux photographies (ci-dessus et ci-dessous) publiées par la Revue Sagem (septembre 1971) en attestent. Il faut dire que la Côte-Rouge s’est retrouvée au cœur de la tornade, là où elle a atteint son paroxysme. Ce n »est pas un cas unique puisque la plupart des usines montluçonnaises ont subi, elles aussi, d’importants dégâts, notamment l’usine Dunlop. 

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• Pour les anciens de l’usine, le spectacle de désolation qui règne  au matin du 19 août, rappellera celui de septembre  1943, avec les dégâts collatéraux qu’avait occasionnés à l’un des bâtiments de la  Sagem le bombardement de l’usine Dunlop par la RAF. Mais, cette fois-ci, c’est la totalité de l’usine qui a été touchée: les ateliers sont inondés, les machines baignent dans l’eau, tandis que les débris de verre ou de tuiles jonchent le sol des différents halls. Les laboratoires et les bureaux n’ont pas été épargnés. Pourtant, comme dans les autres usines, la mobilisation des membres  du personnel, des ouvriers aux cadres, dont certains sont revenus d’eux mêmes de congés, va jouer à plein et permettre une remise en activité rapide.

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18 août 1971: À quelques kilomètres de la SAGEM, l’usine Dunlop, elle aussi  dévastée par la tornade 

• Dans la Revue Sagem, en septembre 1971, on pourra ainsi lire que “malgré l’importance des dégâts, l’ensemble du personnel a pu reprendre normalement le travail à la date prévue. Ceci a été rendu possible grâce uniquement à la présence de volontaires qui spontanément se sont mis à disposition des responsables de l’usine. Pendant dix jours, ils ont effectué avec abnégation et efficience, un travail pénible et parfois périlleux. Ce sont eux qui ont permis qu’aucun de leurs camarades ne soit mis en chômage et c’est pour cette raison que la reconnaissance de tous leur est acquise” (50). A la fin de l’année, les dernières traces du cataclysme auront été effacées du paysage de l’usine, à défaut de l’être des  mémoires. L’usine peut alors  reprendre son essor, avec l’ouverture à de nouvelles technologies.

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Raymond Guillemain (à gauche), directeur de 1968 à 1972, et son éphémère successeur, Edmond Pirard (à droite), directeur de 1972 à 1973

◘  DE  L’OPTIQUE

À L’OPTRONIQUE

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◘ 1981: la SAGEM pousse les murs avec la construction d’un nouvel atelier de 5 000 m2 dédié à l’optique

L’optique, déjà présente depuis plusieurs décennies, monte en puissance à l’usine de Montluçon.

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◘ Thierry Méténier M.O.F. (optique) en 1994

• L’entreprise a acquis une telle expérience  dans ce domaine  qu’elle réussit à compter  parmi ses employés 5 meilleurs ouvriers de France (M.O.F.) en catégorie optique, entre 1982 et 1994.  La S.A.G.E.M étant son propre fournisseur, elle dispose d’un atelier spécialisé : le débitage, la mise en forme, le rodage, le polissage, les retouches, les traitements  sous vide, tout est réalisé sur place  Au début des années 1980, de nouveaux ateliers voient le jour sur 5.000 m2 pour accueillir plus de 300 salariés supplémentaires. Baptisé le Hall 5000, c’est l’atelier dédié à l’optronique, un néologisme né du mariage entre optique et électronique. Il abrite aussi des activités  des “machines tournantes” et de la marine. 341-fabrL’ensemble est  qualifié de “ville nouvelle, tout de verre et de vert vêtu (près de laquelle) on aperçoit une tour de guet celle où les périscopes, en position debout, font leurs premières armes”. On est loin des premiers périscopes et la Revue S.A.G.E.M.  rappelle que  “l’optronique, c’est plus que de l’optique marié à de l’électronique. C’est de la gyroscopie, de la mécanique fine et même de l’hydraulique, puisque la manœuvre de ces périscopes comme celle des pièces d’artillerie met en œuvre des puissances non négligeables. A Montluçon, la station de mâtage condensée de sous-marins est donc équipée d’une centrale hydraulique, avec ses pompes, vérins, vannes et canalisations d’huile sous pression ”.

 ◘ La Côte-Rouge s'agrandit et s'ouvre à de nouvelles productions
◘ La Côte-Rouge s’agrandit et s’ouvre à de nouvelles productions

• Dans le même temps, le matériel de mines poursuit sa montée en puissance, comme on l’a déjà vu, tandis que l’arrivée de la télévision cryptée suscite l’intérêt du groupe qui fait son entrée sur le créneau de l’électronique de grande série. En 1992, la fabrication des cartes Syster C+, qui avait été confiée à l’usine de Fougères,  est rapatriée à Montluçon

◘ 1982: on agrandit encore...
◘ 1982: on agrandit encore…
◘ 1974: l'extension de l'activité téléphonie
◘ 1974: l’extension de l’activité téléphonie

• Les années 1980, c’est aussi le moment où, sous la direction de Jacques Goin,  l‘usine pense  à “se refaire une beauté”, avec le bardage des façades des vieux ateliers et le  remplacement de l’antique portail roulant, après un demi siècle de bons et loyaux services. On songe aussi à aménager un hall d’entrée pour recevoir de manière un peu moins spartiate clients et  visiteurs qui, auparavant, sitôt le seuil franchi pénétraient directement  dans les ateliers. Une véritable “cure de jouvence”, comme se plaît à le souligner la revue maison. Autant d’événements somme toute bien secondaires, mais chargés d’une symbolique forte pour celles et ceux qui ont débuté leur carrière à la Côte-Rouge, quelques décennies plus tôt.

Sagem Changement portail usine 1980
◘  “Un événement marquant  de l’histoire de l’usine…”, selon la revue Sagem (1980)
Sagem Nouvelle entrée 1986
◘ Avant…Après…(Revue Sagem – 1986)
Sagem Cure de jouvence usine 1985
◘ “ Les bâtiments semblaient avoir pris un coup de vieux”…(Extrait de la Revue Sagem (1985)

• C’est peut-être aussi avec un léger pincement au cœur que ces mêmes “anciens”’ avaient vu disparaître en septembre 1975  “le Lézard vert”. Il s’agissait du bus appartenant à l’entreprise qui assurait depuis 1954 le transport d’une partie du personnel en direction de Montluçon.“Facile à reconnaître avec son toit vert égyptien et son corps vert de mer” (dixit La Revue Sagem), on ne pouvait le confondre avec les cars bleus de l’usine Dunlop qui, eux, sillonnaient les campagnes environnantes pour y  faire monter ou descendre les ouvriers.

Sagem fin du bus lézard vert 1978 septembre
Exit, le bon vieux Lézard vert…

• La décennie 1980 marque aussi le cinquantenaire de l’usine de la Côte-Rouge. Un anniversaire qui sera fêté en octobre 1983 avec la discrétion qui sied à l’entreprise, et seulement “en famille”. Pour la première fois de son histoire, la Côte-Rouge ouvre ses portes aux familles des salariés, accueillant  conjoint(e)s et enfants.  De quoi leur faire découvrir l’univers de travail de leurs parents…et peut-être même faire naître quelques vocations. Le succès est au rendez-vous puisque, ce jour-là, selon la Revue Sagem, “plus de 7 100 personnes  sont venues constater l’évolution de l’établissement de Montluçon”, dépassant largement les objectifs initiaux.

Sagem Visite 50 ans Côte Rouge
◘ Succès total pour les premières Portes ouvertes de l’usine, le 8 octobre 1983

LES ANNÉES 1990-2000 :

VERS UNE DÉCRUE DES EFFECTIFS

• Au seuil des années 1990, la S.A.G.E.M fait le choix de remodeler son antique logo d’origine. Plus qu’un changement d’apparence, il s’agit de montrer que l’entreprise est entrée dans une nouvelle ère. SagemLes générations du personnel recruté avant guerre ou immédiatement après guerre ont progressivement disparu de la Côte-Rouge et chaque numéro de la revue Sagem  publie les longues listes des départs à la retraite. Si le personnel a changé, il en est de même pour les produits qui vont sortir de l’usine, avec une orientation de plus en plus marquée vers des produits grand public.

Sagem ligne fabrication fax
◘ La ligne de fabrication des fax

Les cartes pour décodeurs, la téléphonie et les fax, voire les téléviseurs se glissent aux côtés des fabrications destinées à la Défense: « Ces activités, écrit Alain Gourbet,  lancent le site dans la course de la productivité et les moyens mis en œuvre pour fabriquer ces nouvelles technologies sont nouveaux pour Montluçon : des lignes d’insertion automatiques des composants électroniques sur les cartes sont installées. Les années 90 sont également marquées par des activités d’optronique et de viseurs. Fort de son expertise en mécanique, le site de Montluçon va développer une ligne d’assemblage d’injecteurs pour l’automobile qui sera transférée en 2000 sur le site de Sainte Florine ”.(50 bis)

Les effectifs de l’usine, qui avaient connu une nouvelle croissance dans les années 60, vont commencer à décroître dans les années 70 : “Les départs à la retraite ne sont plus compensés en général et on élève le niveau de recrutement mais on réduit le nombre d’embauche. 1 BTS remplace 3 ou 4 ouvriers professionnels. On peut imaginer que les effectifs tomberont peu à peu autour de 1.000 ”,  pronostiquait  le géographe Pierre Couderc au début des années 1980 (51).

• L’apprentissage, qui avait été une voie de formation importante pour les ouvriers professionnels et d’où nombre de contremaîtres ou chef d’équipes étaient issus, a disparu avec la dernière promotion recrutée en 1962.   De fait les 2.349 salariés des années 1970, ne sont plus que 2.278 en 1981 et 2.100 fin 1986, le personnel féminin représentant un tiers des effectifs de la Côte-Rouge. Le quotidien La Montagne se voulait alors rassurant en écrivant que “S.A.G.E.M. par son effectif est la première entreprise de l’agglomération” tout en louant sa grande diversité de productions. Les salariés ne seront plus que  1.420 en octobre 1990, 1.280 en janvier 1992 et seulement 1.100 en 1995. En parallèle, les effectifs en intérim pour ajuster la main d’œuvre aux besoins , vont commencer à croître. 

◘ 1966: les effectifs, sur tous les sites, continuaient à croître
◘ 1966: les effectifs, sur tous les sites, continuaient à croître. Montluçon figurait alors en deuxième position, avec 2 300 salariés, juste derrière Argenteuil, qui en comptait 2 450. .

• Mais l’étiage n’est pas encore atteint : la revue spécialisée l’Usine Nouvelle ne mentionne plus que  975 salariés en 1997. Entre temps l’usine de la Côte Rouge a connu une nouvelle  vague de suppressions d’emplois, en conjuguant départs volontaires,  retraites anticipées et  licenciements. Entre juillet 1987 et décembre 1988, 300 salariés de 55 ans et plus, avaient déjà  quitté la Côte-Rouge, dans le cadre d’un dispositif spécial.  Les préretraités, bénéficiant d’une allocation complémentaire versée par l’entreprise, avaient alors la possibilité de quitter l’usine prématurément tout en conservant   l’essentiel de leurs revenus.

• Outre les départs en retraite “normaux”, des incitations financières avaient également été instaurées pour susciter de nouveaux départs “ volontaires”.  Le montant de la prime, négocié au cas par cas, était fonction à la fois de l’ancienneté dans l’entreprise et du projet de reconversion. Pour ceux qui restaient,  étaient annoncées des réductions de la durée du travail, ramenée à 37 h le 13 février 1989, avec réduction proportionnelle des salaires.

Sagem géoportail
Le site de Sagem-Safran aujourd’hui (© Géoportail)

• Du côté de la direction, trois grandes justifications étaient alors  mises en avant: l’évolution des technologies, les gains de productivité et surtout la chute des commandes militaires qui avaient représenté, certaines années,  jusqu’à la moitié des activités de l’usine. Mais le pire restait encore à venir. Avec la réorganisation  en 6 départements de la division navigation, défense, on parlait à nouveau d’une “nécessaire mise en adéquation des effectifs ”…ce qui se traduisait encore par 197 licenciements dans la cadre d’un troisième plan, lequel avait été précédé par deux autres, avec respectivement 267 suppressions en 1986 et 212 encore en 1988.

IGN Global 20 juin 1998
La Sagem (à droite) en 1998. En face de l’usine, les installations sportives (football, tennis), le parking et les jardins ouvriers encore exploités. À noter, l’urbanisation qui rattrape la Sagem avec la construction du lotissement pavillonnaire du Cros, dans les années 1970-1980. (© IGN)

EN GUISE DE CONCLUSION…

FORCÉMENT PROVISOIRE

La suite de l’histoire, relève davantage de l’actualité…et on pourra se reporter selon la formule consacrée, à son quotidien ou à son hebdomadaire économique préféré. On peut toutefois retenir quelques grandes lignes directrice de l’évolution récente de l’entreprise (52)

• Le retour à la croissance des effectifs, avec 1 200 salariés en C.D.I. au début de 2018 (dont 70 avaient été embauchés en CDI en 2017), est indéniable. Avec un volant d’une centaine d’intérimaires, l’ex-S.AG.E.M. est devenu le premier employeur privé du département de l’Allier…même si l’on peut remarquer que  les effectifs ont été divisés par deux par rapport à la grande époque des années 1970. (53)  Autre fait notable: le profond  renouvellement – rajeunissement du personnel : la moitié des effectifs de l’usine avait moins de 5 ans d’ancienneté en 2006. Il faut y ajouter un recours plus ou moins  important à l’intérim comme volant de souplesse. C’est la désormais fameuse “variable d’ajustement” qui représentait 7 à 8% des effectifs au début de 2018.. L’intérim peut d’ailleurs devenir parfois  une voie d’accès au personnel de l’entreprise.

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◘ Le site initial de la Sagem (en haut à droite) et le nouveau site Coriolis (en haut, à gauche), en 2012 (©J-P Perrin)

• L’élévation du niveau de recrutement est une autre évidence: la technicité des opérations de fabrication, qui avait déjà fait disparaître l’apprentissage,  a rendu obsolète le recrutement de titulaires des Brevets d’enseignement professionnel. Le Brevet de technicien supérieur est alors devenue la norme minimale. L’entreprise est d’ailleurs très présente sur les différents salons et forums consacrés à l’orientation. En mettant en avant ses produits les plus “spectaculaires”, comme les drones, y compris dans la presse régionale, elle vise à séduire des jeunes en quête de formation et/ou en interrogation sur leur avenir. C’est cette même politique qui a conduit, en janvier 2005, la direction de l’usine montluçonnaise à proposer une visite complète du site, ateliers de fabrication des  drones et pyrotechnie compris, à des enseignants du bassin montluçonnais, en charge de l’orientation.

• La montée en puissance de nouvelles fabrications, dont une partie importante en liaison avec la Défense : les drones, la pyrotechnie sont porteurs et ont conduit à des extensions récentes de l’usine de la Côte Rouge, avec le nouveau site Coriolis qui a été bâti sur les terrains des anciens jardins ouvriers. Ces investissements matériels et immobiliers considérables confirment  la volonté de pérenniser le site de la Côte-Rouge  et de se projeter dans l’avenir. Le poids des commandes militaires est un point fort qui peut aussi , comme on l’a vu par le passé, se muer en un point faible: dans  la décennie 1985-1995, la baisse importante des commandes de l’État avait créé de sérieuses difficultés, la Défense représentant alors  la moitié de l’activité.

Sagem fabrication drones
◘ L’assemblage des drones, dans les  nouveaux ateliers

• Une plus grande mobilité du personnel de direction et de nombre de jeunes ingénieurs : les directeurs ne restent plus en poste aussi longtemps qu’auparavant. Diriger l’usine de la Côte Rouge n’est plus une véritable fin en soi, mais plutôt  une voie de promotion, un tremplin  vers des fonctions plus importantes. Du côté du personnel, beaucoup ne songent plus forcément à  “ faire carrière ” à la S.A.G.E.M, tout au moins à la Côte Rouge… D’autant que le niveau des salaires semble avoir  perdu une part de son  attractivité. C’est ce qui explique que périodiquement on puisse assister comme en décembre 2005, à des mouvement de grève pour des revendications salariales  alors que, paradoxalement,  les réductions massives d’effectifs n’avaient pas suscité une aussi  forte mobilisation : “En colère contre la stagnation des salaires”, titrait alors La Montagne (54) A cette date, selon les sources syndicales, 661 salariés sur 1.320 percevaient moins de 1,3 fois le SMIC.

La fin des Gadz’arts assumant systématiquement  la direction de l’usine, ce qui était la règle depuis son ouverture en 1933-1934, est un autre tournant majeur. Pascal Rullion, éphémère directeur en 2007-2008 est le dernier ingénieur des Arts et Métiers à la tête de l’usine. Désormais, on recrute des directeurs  dont la spécialité est la gestion des ressources humaines. C’est le cas de l’actuel directeur, Cyril Bouytaud, comme de son prédécesseur, Patrick Bayle-Dronne. Un changement bien plus que symbolique et qui ne doit rien au hasard… 

• La dernière interrogation porte sur la question de l’identité même de la SAGEM, dans le groupe Safran qui a vu le jour en 2005, à la suite de la fusion de la S.A.G.E.M.  avec la Snecma. Ce qu’on a longtemps appelé « l’esprit S.A.G.E.M », dans les familles qui s’affairaient sur le site de la Côte Rouge, n’est plus qu’un lointain  souvenir. Tout comme l’acronyme S.A.G.E.M. qui tend à s’évaporer dans l’organigramme du groupe, au fil des réorganisations et des cession. C’est ainsi que Sagem Défense Sécurité a pris en 2016  le nom de  Safran Electronics & Defense.  Encore quelques années et il se pourrait bien que le nom même de S.A.G.E.M. ne se retrouve dans le grand mémorial des marques prestigieuses disparues. (55)

© Jean-Paul PERRIN
contact: allier-infos@sfr.fr

ANNEXES, DOCUMENTS ET NOTES

I- LES DIRECTEURS DE L’USINE DE  LA CÔTE-ROUGE

Parmi les notices biographiques figurant ci-dessous, certaines sont peu développées faute d’éléments d’information et/ou de photographies. Si les lecteurs de ces notices possèdent des éléments complémentaires ou s’ils remarquent des erreurs, qu’ils n’hésitent pas à nous contacter (allier-infos@sfr.fr)

DE 1933 À 1993

1933-1944 :

André ALAJOUANINE (1899-1967)

299 - ANDRE ALAJOUANINEAndré Alajouanine est né le 15 mars 1899, à Lapeyrouse (Puy-de-Dôme), où son père était employé des chemins de fer. Après des études techniques, il entre au lendemain de la grande guerre à la Compagnie des Signaux et d’entreprise électriques, installée  à Riom. L’entreprise a été fondée par Félix Verny, beau-père de Marcel Môme, qui y a fait lui-même ses premières armes, à sa sortie de l’école des Arts et métiers. Il y est employé comme contremaître tourneur.  Lorsque Marcel Môme décide de fonder sa propre entreprise, avenue de Clichy, à Paris, il entraîne avec lui quelques Auvergnats parmi lesquels se trouve  André Alajouanine. C’est lui qui a la charge de diriger ce tout premier atelier qui ne compte,  à ses débuts, qu’une vingtaine de salariés. Lorsque la Sagem s’installe à Argenteuil, dans les locaux d’un ancien marchand de bois, André Alajouanine en reste le directeur.

 • En 1933, il est envoyé à Montluçon pour y superviser l’installation de la nouvelle usine de la Côte-Rouge, à Domérat, et en assurer la mise en service au fur et mesure de l’achèvement des constructions (1933-1934). De l’automne 1933 jusqu’à la fin du mois d’août 1944, il est directeur de l’usine de la Côte Rouge, se forgeant une image de fermeté, face aux revendications du personnel. C’est sous sa direction que le site bourbonnais  traverse les grands conflits sociaux de juin et août 1936, de juillet 1937 et du 30 novembre 1938.  Dans sa première décennie d’existence,  l’usine connaît un essor important, autant dans ses effectifs que dans ses productions. C’est également lui qui aura la tâche d’accueillir au début de la seconde guerre mondiale le personnel et le matériel de la SAT, replié à Montluçon.

Alajouanine obsèques• Après novembre 1942, suite à l’invasion de la zone libre, André Alajouanine doit composer avec l’armée d’occupation qui délègue à la Côte Rouge une petite équipe comprenant notamment un ingénieur militaire, comme à l’usine Dunlop ou à l’usine Saint-Jacques. Autre temps fort de sa direction : le bombardement de septembre 1943 qui détruit une grande partie du hall qui abritait la SAT. À la libération, il est arrêté au début de septembre 1944. Il séjourne brièvement au Centre de séjour surveillé de Tronçais, avant d’être relâché à la mi-septembre.  Il est ensuite appelé par Marcel Môme, au siège de la Sagem, avenue d’Iéna, à Paris où il occupera les fonctions de directeur des usines, jusqu’à la fin des années 1950 (1957 selon certains témoignages). À la retraite, il revient en Creuse, où il a acquis le château de Viersat et où son fils, Guy Alajouanine, à lui-même créé une entreprise, à Chambon-sur-Voueize.  Décédé le 16 janvier 1967, à Chambon-sur-Voueize, André Alajouanine a été inhumé au cimetière de Lapeyrouse, sa commune natale.

1944-1945 :

Marcel PASQUET (1896-1978)

• À la fin du mois d’août 1944, Le Comité départemental de libération installe  un Comité de gestion composé de 3 membres du personnel : Georges Bacq (CGT – représentant des ouvriers), André Fougerat (UCIFC – représentant des  personnels d’encadrement)  et Marcel Pasquet. C’est lui qui occupe la fonction provisoire de gérant de l’usine.

Numérisation_20191122 (7)Marcel Pasquet, né à Issoudun le 15  septembre 1896, a été reçu au concours de l’École  Polytechnique en 1916, mais il n’y a fait son entrée qu’après guerre. Entre temps, il a pris part à la Grande guerre, où sa conduite lui a valu la Croix de guerre 14-18. Après Polytechnique et l’École supérieure d’électricité, il est devenu ingénieur de l’artillerie navale, passant une année à l’arsenal de Toulon, avant de rejoindre le laboratoire central de l’armement à Paris. C’est là qu’il a rencontré Marcel Môme qui l’a recruté dans la toute jeune Sagem, en 1930. Il y entre en tant que  directeur technique, apportant ainsi son expérience de l’armement dans la marine et plus particulièrement celle des conduites de tir. Grâce à lui, la Sagem peut développer ses premiers conjugateurs, ses gyroscopes, ses liaisons synchros et bien d’autres nouveautés à orientation militaire.

• Après plusieurs années passées à l’usine de la Côte Rouge, c’est lui qui occupe les fonctions de Gérant, au sein du Comité de gestion mis en place par le Comité  départemental de libération, à la suite de l’éviction d’André Alajouanine. Il assure de la sorte la liaison entre l’ancienne et la nouvelle direction, sur fond de période troublée. En 1945,  il est appelé au siège parisien, aux côtés de Marcel Môme, devenant un des artisans de l’indispensable reconversion des activités de la Sagem. Officier de la légion d’honneur, il termine sa carrière en 1975, en tant que vice-président du conseil d’administration (1965-1975), après avoir été aussi administrateur de la Société anonyme de télécommunication (SAT) et de la Compagnie des Signaux et d’entreprises électriques (CSEE). Marcel Pasquet est décédé le 22 juin 1978, à Paris.

1945-1948 :

André FOUGERAT (1903-1986)

André Fougerat, né à Palaiseau, le 31 décembre 1903, était un ingénieur et mathématicien, spécialiste de l’optique,  un domaine dans lequel il excellait. Il a accompli une partie de sa carrière au sein de l’usine de la Côte-Rouge.  Il a été membre de l’éphémère  Comité de gestion mis en place, à la fin d’août 1944, en tant que représentant des cadres (UCIFC). Ces comités avaient été créés  à l’initiative du Comité départemental de libération de l’Allier, dans le but d’administrer l’usine, alors que l’ancienne direction avait été écartée. C’est en 1945 qu’il a accédé à la direction du site de la Côte-Rouge,  un poste auquel il était, semble-t-il, peu préparé.

• On raconte qu’il pouvait alors régner  un certain relâchement dans les ateliers. Selon un témoignage, il arrivait que lorsqu’il faisait le tour des ateliers, en entrouvrant timidement  les portes et en passant la tête, il déclarait à l’assistance : “Mettez-vous au travail, quelqu’un pourrait passer ! ”… Après cette parenthèse montluçonnaise, André Fougerat  a poursuivi sa carrière dans les services centraux de la Sagem.Il est décédé le 8 janvier 1986, à Paris.

1948-1959 :

Aimé DAVID

Aimé David, surnommé “Le Petit Chapeau”,  était ingénieur des arts et métiers. Il avait débuté sa carrière à la Compagnie des Signaux et d’entreprises électriques (CSEE), avant d’entrer à la Sagem en 1940. Après avoir été directeur de l’usine de Saint-Étienne-du-Rouvray puis de celle  de Montluçon (1948-1959), il a travaillé au siège parisien, en tant qu’attaché à la direction centrale.

1959-1968 :

René MISSIOUX (1923-1968)

1968 28 Mai décès MISSIOUX - Copie René Missioux, né à Montluçon en 1923,  a fait ses études à l’École pratique qui fonctionnait dans les locaux du Lycée de garçons. Il a ensuite intégré l’école des Arts et métiers de Cluny (1940-1943) dont il est sorti  ingénieur. Il est alors entré à l’usine de la Côte Rouge, où il  a complété sa formation en passant par  les différents ateliers, selon les usages qui étaient en cours.

• C’est en 1959 qu’il a accédé au poste de directeur de l’usine,  “une entreprise à laquelle il était particulièrement attaché  et où tout promettait qu’il allait y poursuivre une brillante carrière”  peut-on lire dans la nécrologie que lui a consacré le journal Centre Matin (28 mai 1968). Et le même  journal d’ajouter : “Il laisse à tous ses amis le souvenir d’un homme à l’abord agréable, intègre, consciencieux, et à tous ses collaborateurs et au personnel, dont il connaissait bien les problèmes pour les avoir touchés de près, celui d’un directeur humain, conscient de ses responsabilités et des impératifs de sa tâche”. René Missioux est décédé à la fin du mois de mai 1968, après “quelques mois  d’une implacable maladie

1968-1972 :

Raymond GUILLEMAIN (1909-1973) 

Sagem Guillemain Pirard septembre 1972• Né à Montluçon, le 17 août 1909, Raymond Guillemain, ingénieur des Arts et Métiers, venant de la SAT annexée à la SAGEM,   a assuré la  transition après le décès brutal de son prédécesseur, René Missioux.

• En congé de fin d’activités depuis  le 30 septembre 1972, il est décédé accidentellement, à Clermont-Ferrand,  le 2 septembre 1973.

1972-1973 :

Edmond PIRARD (1920-1973)

Sagem Edmond Pirard - CopieEdmond Pirard, né en 1920,  avait commencé sa carrière à l’usine Sagem d’Argenteuil en 1936 en tant qu’apprenti avant de devenir ouvrier fraiseur. Il devait rester dans cette usine  jusqu’en mai 1959, après avoir occupé différents postes et gravi les échelons. C’est le 1er juin 1959 qu’il a été muté à l’usine de la Côte Rouge où il a été successivement chef des ateliers, sous-directeur puis directeur adjoint, aux côté de Raymond Guillemain, auquel il a succédé le 1er octobre 1972. Décédé brutalement, le 3 février 1973, il n’aura occupé le poste de directeur que durant quatre mois.

1973-1976 :

André CHEVILLE (1920-1998)

Sagem 1975 - CopieAndré Cheville, né à Montluçon, le 16 décembre 1920, était ingénieur Arts et Métiers, comme la plupart de ses prédécesseurs. Il  a été un “directeur de transition”. Un ancien de la Sagem nous a confié qu’il avait été placé là “à contre-emploi”, en attendant que son successeur “ mûrisse” un peu. Et le même témoin de préciser que “à cette époque, un directeur se devait d’avoir un minimum de « bouteille”Après son départ de Montluçon, il a poursuivi sa carrière, à la direction générale du siège parisien. Il est décédé à Fréjus (Var), le 19 avril 1998.

1976-1993 :

Jacques GOIN

1988- J GOINJacques Goin, né en  1932 et   ingénieur Arts et Métiers, a été nommé directeur en 1976. Il était alors assisté de Paul Chène, sous-directeur. Ayant été  maintenu à la direction de l’usine jusqu’à l’âge de la retraite, il est le dernier des directeurs de la Côte Rouge a être resté en poste sur une aussi longue période (17 ans). Selon un “ancien” de la S.A.G.E.M. qui a travaillé sous son autorité, “par sa longévité à la direction,  par sa personnalité, par son autorité indiscutée – et peu discutable – il aura certainement été celui qui a laissé la plus significative empreinte sur le site de Montluçon, notamment par les transformations et les agrandissements des locaux qu’il a conduits”

DE 1993 À NOS JOURS

• Après le départ de Jacques Goin, ses successeurs ne restent en poste que sur des périodes plus  courtes  (entre 1 an pour Pascal Rullion et  6 ans pour Jean-Paul Jainsky). Il semble bien que la direction de la Côte Rouge soit devenue davantage une étape obligée dans une trajectoire de carrière, soit au sein de la S.A.G.E.M. puis  du groupe Safran, soit à l’extérieur. Pour la première fois en presque un siècle, c’est une femme, Ka Youa Chassagne,  qui a accédé à la direction du site en avril 2021. Autre fait notable: depuis 2008, les directeurs  de l’usine ne sont plus des ingénieurs des Arts et Métiers, comme ce fut le cas pendant 70 ans, mais des spécialistes en ressources humaines. 

1993-1998 :

Jean-Paul JAINSKY 

JP JAINSKI• Né en 1951, Jean-Paul Jainsky  est ingénieur des arts et Métiers. Il est  entré à la SAT (Société anonyme de télécommunications) en 1975,  en charge de la sous-traitance, avant de rejoindre l’usine de Poitiers en 1988, comme responsable de la production. C’est en 1993 qu’il a intégré la Sagem en tant que coordinateur industriel de la division électronique. Il est ensuite devenu directeur des usines de Poitiers et de Montluçon, un poste qu’il a occupé jusqu’en 1999. Homme au  caractère bien trempé, il lui arrivait de pousser parfois des “coups de gueule”, qui lui avaient valu le surnom de “Eagle IV” (à prononcer à l’anglaise), nous a confié un ancien de l’usine.  Après son départ de Montluçon, il a été nommé directeur de l’activité sécurité, puis  promu, en 2002, directeur de la division sécurité. En 2005, lors de la création de Sagem Défense Sécurité, il a accédé aux fonctions de directeur général adjoint de la division sécurité de Sagem Défense Sécurité, puis à celles de  directeur de la Division Sécurité, avant d’être nommé, en 2007,  PDG de Sagem Sécurité (devenue ensuite Morpho). En 2013, au sein de la direction des Relations européennes et internationales de Safran (précédemment direction générale internationale), il a été nommé directeur auprès du directeur général des Relations européennes et internationales, en charge des nouveaux projets transverses, notamment en Afrique.

1998-2001 :

Bernard ERNOT

Bernard Ernot• Né en 1947, Bernard Ernot a une formation d’ingénieur et de contrôleur de gestion et il est   diplômé de l’Institut de contrôle de gestion (ICG). Il a fait  pratiquement toute sa carrière dans le groupe Sagem. Il a été ingénieur de production à la SAT à Lannion de 1972 à 1984, directeur et contrôleur de gestion de la SAT Lannion et Dinan de 1996 à 1998. De 1998 à 2001, il a dirigé l’usine de la Côte-Rouge et il a  achevé sa carrière en 2009 en qualité de président de Silec Câbles, basée à Montereau-Fault-Yonne. Élu conseiller municipal à Perros-Guirec en 2008, il a  démissionné en 2012, avant de se représenter en 2014, année où il a été élu adjoint au maire de Perros-Guirec, en charge  de la gestion et des finances.

2001-2005 :

Alain CHALANDRE

• Avant de diriger l’usine de Montluçon, entre 2001 et 2005, Alain Chalandre avait été ingénieur d’études  à l’usine S.A.G.E.M. de  Pontoise. Il avait ensuite été  nommé en 1995 adjoint au directeur du département aéronautique, chargé des programmes. 

2005-2007:

Louis MARTIN.

 Louis Martin était entré à la S.A.G.E.M. au début des années 1970, en tant que technicien supérieur. C’est en suivant des cours du soir qu’il était devenu ingénieur du Conservatoire des Arts et métiers, ce qui constituait un bel exemple de promotion interne. Il a occupé différents poste d’ingénieur au sein de l’entreprise, avant de faire un passage de seulement deux ans  à la direction de l’usine de la Côte -Rouge. C’est au siège de l’entreprise qu’il a terminé sa carrière.

2007-2008 :

Pascal RULLION

• Jeune ingénieur Arts et Métiers (1983-1987), Pascal Rullion  est entré à la S.A.G.E.M. en 1987 . Il y a occupé différents postes d’ingénieur, notamment à l’étude des machines tournantes. Il a ensuite succédé brièvement à Louis Martin. Il a démissionné de son poste de directeur de l’usine en 2008 pour rejoindre la ville de Montluçon, son nouvel employeur, en tant que directeur général  des services techniques. Depuis  mars 2021, il es Responsable  Transition écologique et énergétique de la communauté d’agglomération Montluçon-Communauté. 

2008-2013 :

Patrick BAYLE-DRONNE

Bayle dronne• L’arrivée de Patrick Bayle-Dronne à la direction de l’usine S.A.G.E.M., un poste qu’il a occupé entre juin 2007 et février 2013, marque une rupture avec la liste des directeurs précédents qui avaient  une formation d’ingénieur des Arts et Métiers. Pour la première fois, c’est un spécialiste des ressources humaines et du management qui se  retrouve aux commandes.  Après des études de droit des affaires puis des études à l’ESCP-EAP (direction et management stratégique), il a d’abord  été responsable administratif régional de la société d’affichage J-C Decaux, de 1990 à 1995. Il a ensuite occupé les fonctions de responsable des ressources humaines et financières dans un groupe chimique de 1995 à 2003. Il a rejoint le groupe Michelin, en tant que responsable du personnel de 2004 à 2007. À l’issue des cinq années passées à la tête de l’usine de la Côte Rouge (2008-2013),  il est devenu directeur adjoint des ressources humaines du groupe Safran, avant de poursuivre sa carrière en tant que DRH d’ArianeGroup Le Haillan. 

 2013 – 2021 :

Cyril BOUYTAUD

Sagem C Bouytaud• Titulaire d’un DESS Gestion des ressources humaines et de l’emploi – administration du personnel général (1998 – Université de Grenoble), Cyril Bouytaud  est également diplômé de l’INSEAD. Il a débuté sa carrière professionnelle comme responsable du service paie du groupe Ugitech à Ugine (1999-2001). Il a été ensuite successivement  Responsable du personnel puis Responsable des ressources humaines chez Valéo, à Issoire et à Reilly (2001-2008), Directeur des ressources humaines  de  F.C.I. Besançon SA  (2008-2011) et chef d’établissement chez ADI Industrie dans la région de Brive-la-Gaillarde (2012-2013). Il est devenu directeur  du site Safran Electronics & Defense de la Côte-Rouge en avril 2013. 

◘ Depuis  avril 2021

Ka Youa CHASSAGNE

• Directrice du site Safran Electronics &  Defense de Domérat depuis avril 2021, Ka Youa Chassagne  est la toute première femme à accéder à cette fonction. Comme ses deux prédécesseurs, elle a une formation tournée vers les ressources humaines. Après des études à l’École supérieure de commerce de Clermont-Ferrand (1987-1988), et une formation à l’INSEEC (1989-1992), elle a débuté sa carrière professionnelle comme responsable commerciale de la société ESYS-Montenay à Brive-la-Gaillarde, de novembre 1992 à avril 1995. Elle a été ensuite responsable  des agences Manpower de Montluçon et de Commentry (mai 1995- juin 2008) avant de rejoindre le groupe Safran Electronics &  Defense en juin 2008, en tant que  responsable développement Ressources humaines. Elle a succédé à Cyril Bouytaud en avril 2021.

II-LES P-DG DE LA S.A.G.E.M. DE 1925 À 2001

• En près de quatre-vingts ans, entre 1925 et 2001, la S.A.G.E.M. n’a connu que trois présidents-directeurs généraux: Marcel Môme, le fondateur (de 1925 à 1962), puis ses deux gendres, Robert Labarre (de 1962 à 1987) et Pierre Faurre (de 1987 à 2001). Les deux premiers étant ingénieurs des Arts et Métiers, le troisième étant sorti major  de l’École Polytechnique. On trouvera ci-dessous leurs notices biographiques extraites des différentes éditions du Who’s who in France.

• Marcel MÔME

(1899-1962)

297-marcel-mome◘ MÔME (Marcel): Industriel. le 11 janvier 1899, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Fils de Pierre Môme et de Madame, née Marie Dufour. Marié le 2 juin 1924, avec Mademoiselle Claudine Masson-Verny. Carrière: Président directeur général de la Société d’Applications Générales d’Électricité et de Mécanique (S.A.G.E.M.), de la Compagnie des Signaux  et d’entreprises électriques. Administrateur de la Société anonyme de Télécommunications. Décoration: Chevalier de la légion d’honneur. (Who’s who in France – édition 1961-1962)

►  La biographie détaillée de Marcel Môme, rédigée par Edmond de Andréa, figure dans la Galerie des grands ingénieurs des Arts et métiers sur le site Patrimoine.Gadz.org.

• Robert LABARRE

(1925-1999)

Numérisation_20200216 (6)◘ LABARRE (Robert): Ingénieur.  Né le 27 août 1922 à Morialmé (Belgique), il est décédé à Neuilly-sur-Seine le 21 mai 1999. Fils de Georges Labarre,  ingénieur, et de Madame, née Simone Guillot. Veuf de Madame, née Claudine Môme (2 enfants : Georges, Claude). Remarié le 1er septembre 1990  à Madame Léone Martin. Études : Lycée de Montluçon, École nationale supérieure d’ingénieurs des Arts et métiers de Cluny. Diplôme : Ingénieur. Carrière : à la Société d’Applications Générales  d’Électricité et de Mécanique (S.A.G.E.M.) (depuis 1943) : ingénieur à l’usine de Montluçon (1943), à l’usine d’Argenteuil (1945), au siège social (1950). Directeur général adjoint (1959). Président-directeur général (1962-1987). Président d’honneur (1987) de cette société. Administrateur (1960) puis vice-président (depuis 1975) de la Compagnie des Signaux et d’Entreprises Électriques. Administrateur (1961) puis vice-président de la Société anonyme de télécommunications.  Vice-président depuis 1985 de la société Coficem. Administrateur de la société  3S cadres (depuis 1978), la société G3S Infodif devenue  Sagem Sat Service (1978-1995), de la Société industrielle de liaisons électriques (Silec) (depuis 1982) et de la société Sagem International. Décoration : Officier de la Légion d’honneur. Sport : tennis.(Who’s who in France – édition 1992)

• Pierre Lucien Marie FAURRE

(1942-2001)

Pierre faurre◘ FAURRE (Pierre Lucien Marie): Ingénieur. Président de sociétés. Membre de l’Institut. Né le 15 janvier 1942 à Paris (16è). Fils de Lucien Faurre, ingénieur  militaire général, et de Madame, née Anne Damé. Mariage le 24 juillet 1962 avec Mademoiselle Pierrette Môme (2 enfants : Pierre, Sylvie). Études : Lycée Buffon et Louis-le-Grand. Faculté des sciences et École nationale supérieure des Mines de Paris. Université de  Stanford. Diplômes : Ancien élève de l’École polytechnique, ingénieur au corps des Mines,  Docteur es-sciences. Philosophy doctorate in electrical engeenering de l’université de Stanford. Carrière : Directeur adjoint du centre d’automatique de l’école nationale supérieure des Mines de Paris (1967-1972). Directeur de recherche à  l’institut de recherche d’informatique et d’automatique (Inria) (1969-1972). Secrétaire général (1972-1983), Directeur général (1983), Président-Directeur général (depuis 1987) de la Société d’applications générales  d’électricité et de Mécanique (Sagem SA). Président-Directeur général de la SA des Télécommunications (Sat) (1988-1989). Président-Directeur général (1978-1983) de G3S Infodif, devenue Sagem-Sat Service. Administrateur de la Compagnie de Saint-Gobain (depuis 1988), de Radio Classique depuis 1993, de la Compagnie de Suez, devenue  Suez – Lyonnaise des eaux (depuis  1994), de CFC Daum (depuis 1995), de Pernod-Ricard (depuis 1999). Membre de l’Institut (Académie des sciences) depuis 1984. Membre du Comité académique des applications de la science (Cadas) depuis 1984,  Président de la  commission consultative  des services de télécommunications (depuis 1991). Maître de conférences (1970-1982), Professeur (1982-1993), Président du conseil d’administration  (depuis 1993) de l’École polytechnique. Œuvres : Navigation inertielle optimale et filtrage statistique (1971), Éléments d’automatique (1974, 1984), Opérateurs positifs rationnels (1975), Analyses numériques : notes d’optimisation (1988). Nombreux articles et notes diverses dans le domaine de l’automatique.  Décorations : Officier de la légion d’honneur et de l’ordre national du Mérite. Distinctions: Prix Laplace (1962), Prix Adrien Constantin de Magny (1979), de l’Académie  des sciences, Prix Science et défense (1984). (Who’s who in France – édition 2002)

► Pierre Faurre  a fait l’objet d’un long article d’hommage que l’on pourra consulter sur le site annales.org.

III – UN SURVOL DE L’HISTOIRE

DU CHÂTEAU D’ARGENTIÈRES

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ET DE SON UTILISATION PAR LA SAGEM

• Le  château d’Argentières, propriété de la S.A.G.E.M. depuis septembre 1940, est situé sur la commune de Vaux, au cœur d’une propriété de 18 hectares, comprenant parc, jardins et prés. Il s’agit en réalité  d’une  gentilhommière de style Louis XIII. Son premier propriétaire fut Alexis de Chabre (1821-1890) qui en avait fait sa résidence,  en alternance  avec Montluçon. Les travaux de construction, lancés par lui en 1860, sous le règne de Napoléon III, ont probablement été  achevés en 1866. À cette époque, la propriété s’étend sur 90 ha. 

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Une brochure riche en informations

• Avec ses briques rouges, ses  fenêtres à meneaux et sa tour ronde à lanternon, l’édifice  n’est pas sans rappeler le style architectural de Viollet Le Duc, grand “restaurateur” du patrimoine sous le Second Empire. En 1882, Alexis de Chabre qui n’avait pas de descendant, décida de vendre l’ensemble à Paul Marie Gaston Prudhomme de la Pérelle. Né en 1844, à Domérat, il a été officier dans l’armée et il a commandé une compagnie mobile envoyé en Algérie, à la fin du Second Empire. Le château fait alors l’objet  de nombreux embellissements avec la pose de vitraux réalisés par Joseph Alfred Ponsin, maître verrier qui signe de ses initiales, Pap. C’est à cette époque qu’a été construite la chapelle, éclairée par une baie de style  gothique. Pour les vitraux, on a fait appel à un autre maître-verrier réputé, Pierre Edgard Guibouret (1864-1916).

• Après être passé entre les mains de Sébastien Louis  Bozon, entre 1906 et 1919, le château, ses dépendances et les 18 ha de  terres restant sont acquis par Antoine Thorinaud en 1919. Né à Domérat,  en 1846,  il est devenu libraire et imprimeur  à Montluçon et c’est lui qui possède, depuis 1905,  la Librairie des écoles, sise avenue de la Gare. En même temps, il publie  quelques manuels scolaires, destinés à l’enseignement primaire, et il imprime des cahiers d’écoliers. C’est la plus importante librairie de Montluçon, à l’époque. À partir de 1920, l’activité d’imprimerie  a été cédée à  Louis Eyboulet, qui la conservera jusqu’en 1950.  

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Le château, au début du XXè siècle

• La décision d’acquisition par la S.A.G.E.M.  a été  été prise très rapidement. Au ébut du printemps 1940,  Marcel Môme, qui a été informé du projet de vente du château, est  venu  spécialement de Paris, en compagnie de  Paul Gellos, directeur administratif et financier. Après la visite des lieux, un compromis de vente  a été  signé le jour même, à l’étude  d’un notaire d’Aubusson, qui a été chargé de la vente.  En attendant que la vente devienne effective, la S.A.G.E.M. a  été autorisée  à en disposer, en tant que locataire. L’acte de vente définitif ne sera signé qu’à la fin du mois de septembre 1940.

• Dans l’esprit de Marcel Môme, il s’agissait d’abord  de disposer d’un lieu qui permettrait de recevoir dignement les visiteurs et clients potentiels, de passage à Montluçon. La défaite de mai-juin 1940, l’exode et le repli de l’entreprise vont faire  d’Argentières le centre du dispositif S.A.G.E.M. en zone libre, lorsque la France se retrouvera coupée en deux zones, à la suite de l’armistice du 22 juin 1940.

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Dans les semaines qui suivent la défaite, faute de commandes suffisantes, l’usine de la Côte-Rouge, qui entend bien conserver ses salariés, dépêche sur place des équipes qui vont assurer le débroussaillage pour les uns, des travaux d’entretien et de terrassement pour les autres, voire de clôture. Un soin particulier est apporté à la rénovation de l’intérieur du château.

• À la fin de 1940, l’usine de la Côte-Rouge et le château d’Argentières se trouvant désormais  en zone libre, après y avoir  transféré une grande partie des archives de l’entreprise, on décide  d’y installer  le siège social. La SAT s’étant repliée sur le site de la Côte Rouge, le château est également mis à contribution pour héberger  des réfugiés du siège parisien. Argentières  abrite donc désormais la direction, ainsi que les services administratifs et comptables. 

• Pour  pallier les pénuries alimentaires, les jardins et terres attenant au château sont mis à contribution : cultures de légumes, élevage de volailles et de lapins, voire de porcs, permettent d’améliorer l‘ordinaire. Jusqu’au 11 novembre 1942, date de l’invasion de la zone libre par les troupes allemandes, Argentières constitue encore un havre de paix.

• Un an plus tard, le 5 novembre 1943, un ordre de réquisition émanant des armées d’occupation frappe Argentières. Il concerne aussi bien le château et les terres que l’ensemble du mobilier et des objets qui s’y trouvent. Le personnel de service et d’entretien  se retrouve lui aussi réquisitionné, à compter du 11 novembre 1943. L’ordre stipule  que “le parc et les prés autour du château seront à la disposition des autorités allemandes…que le régisseur – chef cuisinier et sa femme, deux femmes de chambre, une femme pour la cuisine et un chauffeur ” seront mis à disposition et que “ pour continuer le chauffage central, le charbon entreposé au château ne doit pas être enlevé (…). Aucun objet de quelque nature que ce soit, à part les affaires personnelles ne doit être emporté par les personnels travaillant au château”. Enfin, “toute la literie doit rester au château ainsi que les installations téléphoniques et les appareils électriques et lampes qui s’y trouvent”

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• À travers  l’inventaire méticuleux dressé le 12 novembre 1943 par Maître Paul Brun, un avoué montluçonnais dépêché sur place, on découvre le détail du cheptel : “ 2 porcs de 55 kg chacun, un porc malade, 18 gros lapins, 6 jeunes lapins, 5 oies, 20 poules, 30 poulets”, auxquels il faut ajouter  “4 ruches pleines et une ruche vide”.   L’unique  litige portera sur le contenu de la cave que les Allemands auraient voulu récupérer, mais faute de figurer expressément sur  l’ordre de réquisition, le contenu de la cave  se révèle non réquisitionable. Dans l’obligation de quitter le château, la direction doit alors déménager en toute hâte et c’est à l’hôtel Bellevue, à Néris-les-Bains, que le siège est transféré, à compter du 17 novembre et jusqu’à la réouverture de la saison thermale, fixée au 15 mai 1944.

• Dans la deuxième quinzaine de novembre 1943 et jusqu’au 15 mai  1944, Argentières voit arriver de nouveaux hôtes en uniformes: “Durant cette période, c’est une moyenne de 70 soldats ou officiers qui y séjournèrent, écrivent Armand Gourbeix et Louis Micheau dans leur livre Montluçon sous la botte allemande (1945). Leur cure de repos ne dépassait pas 15 jours et un adjudant, un économe et deux infirmiers constituant le personnel sédentaire assurèrent en permanence le service avec l’aide d’une allemande (la veuve du général Von Bulow), d’un cuisinier français et de plusieurs femmes de chambre choisies parmi les moins farouches des postulantes (sic) qui se présentèrent au bureau de placement allemand où des propositions alléchantes leur étaient faites. Les pensionnaires se livraient à la pratique des sports, notamment du football dans les prairies voisines, en bordure de la route de Vaux, mais ceci ne devait pas les empêcher de sacrifier au culte d’Eros, en compagnie de servantes, plus habiles aux jeux de l’amour qu’au lavage de la vaisselle. Brusquement et sans raison apparente, ce centre de repos fut supprimé le 15 mai 1944 et ses pensionnaires, ainsi que le personnel quittèrent la région de Montluçon pour se rendre à Châtel-Guyon.. Quelques jours avant la libération du Bourbonnais, le château devait donner asile à une batterie allemande qui se repliait vers l’est. Les artilleurs parmi lesquels figuraient plusieurs anciens pensionnaires du château séjournèrent une nuit seulement à Argentières mais ce fut suffisant pour qu’ils mettent la main sur le stock de foin et de paille du concierge pour nourrir leurs chevaux ”. 

• Après le débarquement, le 6 juin 1944, suivi de la libération du territoire, Argentières reçoit de nouveaux pensionnaires. Le château devient un centre de repos à part entière et, après divers aménagements, il accueille d’abord d’anciens déportés ou prisonniers de guerre, ainsi que des   des ouvriers revenant du STO. Ce seront ensuite des membres du  personnel en convalescence, provenant des différentes usines et du siège de  de la S.A.G.E.M. Durant trois semaines, ils peuvent se refaire une santé. Cette vocation de maison de repos s’est prolongée jusqu’au début des années 1960.

• Dans un article “maison”, publié dans les années qui suivent la guerre, la S.A.G.E.M. vante les qualités de cette “maison de repos” en la qualifiant de “l’une des plus belles réalisations de l’entreprise”. Et le rédacteur  de préciser: “ Affectée au repos du personnel déficient (sic), cette maison reçoit mensuellement dix personnes de l’usine d’Argenteuil, six de l’usine de Montluçon, et des membres du personnel du siège et de Saint-Étienne de Rouvray, le cas échéant. Ces personnes sont désignées par les docteurs de nos services médicaux. Le déplacement est payé. Le séjour qui s’effectue dans un cadre agréable est  entièrement gratuit et les bénéficiaires touchent leur salaire sur la base hebdomadaire de quarante heures, pendant les trois semaines que dure cette cure de repos”. La conclusion est dans la même tonalité que le reste de l’article: “C’est avec joie que nous revoyons nos camarades revenir du château bien reposés, ayant repris du poids, le moral meilleur et aptes à reprendre leur travail”.

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Le château transformé en centre de repos

• À partir de 1962, le château d’Argentières retrouve ce qui était sa vocation première : accueillir des hôtes et servir  de lieu de réceptions. Ces hôtes sont d’abord des délégations de clients potentiels, venus de toute la France mais aussi, bientôt, des quatre coins du monde. De nombreuses  photos prises sur l’escalier qui conduit au hall d’entrée en témoignent. Après visite de l’usine de la Côte-Rouge, c’est autour d’une bonne table, qu’ils se retrouvent et que se discutent des contrats éventuels. Les cuisines qui ont été réaménagées et le  personnel qui y est affecté sont garants de la qualité des repas servis.

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Des délégations en visite à la S.A.G.E.M.

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• .On prend aussi l’habitude d’y recevoir les salariés pour des remises de médailles du travail, quand il ne s’agit pas de la fameuse “montre en or” destinée à récompenser la fidélité des personnels à leur entreprise. La Revue Sagem, au moins jusqu’au milieu des années 1980, rend régulièrement compte de ces cérémonies.

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Remise de médailles en décembre 1975 en présence d’André Cheville (1er rang – 2è à droite), directeur de l’usine (1973-1976)
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Une autre cérémonie de remise de médailles du travail à Argentières
Site argentière
Les prés, le parc et le château vus par Google Earth (2018)

Savoir plus Plusieurs informations figurant dans cet articles sont extraites de la brochure intitulée Le château d’Argentières. Elle a été rédigée par Jacques Darvogne et Sophie Maurer et elle comporte de nombreuses illustrations en couleur de l’extérieur et de l’intérieur du château.

• LE CHÂTEAU D’ARGENTIÈRES,

VU PAR LA JOURNALISTE  ANNE NIVAT

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Extrait du livre de la journaliste Anne Nivat, Dans quelle France on vit (éditions Fayard, 2017)

IV- UN PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

EN  VISITE À LA CÔTE ROUGE

Le 9 février 2017, alors que son mandat de président de la république était en voie d’achèvement et qu’il avait annoncé qu’il n’en briguerait pas un second, François Hollande a fait un détour par l’Allier. Une journée au cours de laquelle il a pu visiter notamment le nouveau site Coriolis, implanté par Safran, là où les générations précédentes d’ouvriers S.A.G.E.M. avaient pu cultiver leurs jardins-ouvriers, mis en place dès l’ouverture de l’usine en 1933-1934. Si l’on excepte le bref passage  du maréchal Pétain, en septembre 1943, le lendemain du bombardement de l’usine Dunlop, c’est le seul chef d’état qui soit  venu à la Côte-Rouge  en plus de 80 ans. Ni le général de Gaulle en 1959, ni François Mitterrand en 1984, lors de leurs venue à Montluçon ne s’y étaient rendus.

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◘ 9 février 2017: pour la première fois depuis  septembre 1943, la Côte-Rouge reçoit la visite d’un chef de l’État, en l’occurrence François Hollande
◘ François Hollande, au milieu du personnel de l'atelier visité
François Hollande, au milieu du personnel de l’atelier visité (© La Montagne Centre France)

• Si les présidents de la république se sont faits rares, l’usine a pu voir passer quelques ministres, le plus souvent en charge de la Défense, comme Hervé Morin en juillet 2010 ou Jean-Yves Le Drian,  en avril 2016.

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◘ Hervé Morin en visite à la Sagem (juillet 2010)
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◘ Jean-Yves Le Drian (avril 2016) (© La Montagne)

• “Le ministre de la Défense a officialisé à Montluçon la vente de quatorze drones tactiques de Sagem à l’État français. Des emplois sont à la clé”… (► Lire la suite de l’article dans La Montagne – 9 avril 2016)

IV- UN FILM INSTITUTIONNEL RÉALISÉ PAR SAFRAN

SAGEM – Groupe SAFRAN, 80 ANS D’ÉPOPÉE

INDUSTRIELLE À MONTLUÇON

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tous les « anciens » de la S.A.G.E.M. que j’ai pu rencontrer et qui ont bien voulu répondre à mes interrogations en évoquant leurs souvenirs, tout en mettant à ma disposition de nombreux documents. Je salue plus particulièrement la mémoire de deux interlocuteurs, aujourd’hui disparus: M. Jean Bornet, « mémoire vivante » de la toute première équipe de la S.A.G.E.M., et M. Serge Flautre dont les documents, remarques  et informations précises m’ont permis d’étayer ce travail. Mes remerciements vont également à  Maiître Maurice Brun qui m’a communiqué divers documents juridiques extraits de ses archives personnelles.  La collection de la Revue SAGEM a été également une très riche source d’informations et de documents, ainsi que  le livre “Sagem, 60 ans à tire d’aile”, publié en 1985 à l’occasion des 60 ans de l’entreprise.

Après la première mise en ligne de cet article, des “anciens” de la Sagem nous ont aussi apporté de précieux  renseignements et des compléments d’information, en particulier MM. Pierre Dumont,  Jacques Charlat, Alain Gourbet. Qu’ils en soient remerciés. N’hésitez pas à nous faire part de vos remarques, à nous apporter des précisions ou des  corrections…Elles seront les bienvenues (allier-infos@sfr.fr)

La plupart des journaux locaux cités, tels que Le Centre ou Le Combat social ont été numérisés et sont consultables sur le site des Archives départementales de l’Allier. À propos du journal Le Centre, rappelons que c’était alors un quotidien « du soir » qui sortait des presses en fin d’après midi mais était daté du lendemain. Quant aux journaux nationaux cités, ils sont eux aussi consultables sur le site de la BnF (Gallica presse)

Sagem vue globale site actuel

NOTES

sagem coriolis

(1) Sur la vie et la carrière de Marcel Môme (1899-1962), on pourra se reporter à l’édition 1961-1962 du Who’s Who in France (éd. Jacques Laffitte). Sa notice biographique a été reproduite dans l’annexe Le site de l’Ecole des Arts et Métiers (patrimoine.gadz.org)  propose dans sa rubrique Grandes Figures Gadz’arts un portrait de Marcel Môme rédigé par Edmond de Andréa. Enfin, l’album souvenir publié en 1985, La S.A.G.E.M. , 60 ans à tire d’aile  revient sur les étapes de sa carrière.

(2) Claudine Môme, l’aînée de ses filles, épousera en 1945 Robert Labarre (1922-1999), ingénieur des Arts et Métiers,  qui succédera à son beau-père au fauteuil de P-DG  de la S.A.G.E.M (1962-1987). Quant à Pierrette Môme, la cadette, elle épousera en 1962 Pierre-Lucien-Marie Faurre (1942-2001), un brillant polytechnicien, membre de l’Institut. Entré à la S.A.G.E.M. en 1972, comme secrétaire général, il a été à l’origine du programme de  rachat d’une partie du capital de  l’entreprise par les salariés. Devenu directeur général en 1983, il a succédé à son beau-frère, Robert Labarre, aux fonctions de P-DG en 1987. C’est sous sa direction que les activités de l’entreprise ont été orientées  de l’électromécanique vers l’électronique, avec le développement des composants électroniques pour la défense, le fax et le téléphone mobile.  Avec lui s’est achevé le cycle de la direction de l’entreprise confiée à des membres de la famille du fondateur. Comme pour Marcel Môme, leurs notices biographiques respectives, extraites du dictionnaire biographique  Who’s Who in France ont été reproduites dans l’annexe II.

(3) Personnage discret, loin des médias, Marcel Môme qui avait  fait passer le groupe de 25 à…10.000 salariés, avait été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1952, avant d’être promu officier en 1961. Il est inhumé à Saint-Cloud.

(4) Entretien avec Jean Bornet, mars 2005.

(5) Grandes figures Gadz’arts : Marcel Môme (site Patrimoine.gadz.org).

(6) Extrait de S.A.G.E.M. (1925-1985), soixante ans à tire d’ailes (ouvrage maison, partiellement hagiographique, publié par la S.A.G.E.M. à destination des personnels et retraités).

(7) S.A.G.E.M. (1925-1985), ouvrage cité.

(8) Grandes figures Gadz’arts , ouvrage cité.

(9) Citée dans Grandes figures Gadz’arts

(10) S.A.G.E.M. (1925-1985), ouvrage cité

(11) L’Ecole Pratique à fonctionné dans les locaux du lycée de garçons (actuel collège Jules-Ferry), à partir de 1898, avec l’ouverture d’un Cours préparatoire aux Arts et Métiers. En 1954, elle a rejoint le site de l’E.N.E.T. officiellement inauguré en 1955, devenu depuis le Lycée Paul-Constans. L’établissement possède toujours des sections préparant aux Arts et Métiers. Sur les origines, l’histoire et le devenir de cette école, on pourra consulter avec profit le livre d’Annie Desnoyers, publié en janvier 2017: “Cent ans d’enseignement technique à Montluçon (1850-1955) », publié par l’Association des anciennes et des anciens élèves des lycées de Montluçon

(12) Information communiquée par M. Serge Flautre, selon lequel un film aurait peut-être  même été tourné sur le chantier. Qu’est-il devenu ?…

(13) C’est le choix de ces  matériaux qui vaudra à l’usine de subir d’importants dégâts lors du violent orage de grêle survenu le 18 août 1971.

(14) S.A.G.E.M. (1925-1985), ouvrage cité.

(15) Antoine Môme, oncle de Marcel Môme,  était né à Deux-Chaises (Allier), le 31 juillet 1884. Il est décédé à Rouen en 1973.

(16) Bernard Marchand, Domérat, banlieue montluçonnaise ? (mémoire de maîtrise de géographie, Université de Clermont-Ferrand, 1971, inédit)

(17) ) Entretien avec Jean Bornet, mars 2005

(18) Grandes figures gadz’arts , ouvrage cité

(19) Ont été également élus députés : au premier tour, Isidore Thivrier, et au deuxième tour, René Boudet, Camille Planche, Paul Rives et Jean Barbier, tous issus de la S.F.I.O.

(20) S.A.G.E.M. (1925-1985), ouvrage cité.

(21) Interview publiée dans Bourbonnais hebdo, n° spécial consacré au cinquantenaire du Front Populaire dans l’Allier (1985).

(21 bis) Si quelque lecteur lisant ces lignes détenait des photographies sur cette période des grèves à l’usine S.A.G.E.M. de la Côte Rouge, qu’il n’hésite pas à nous contacter ( allier-infos@sfr.fr)

(22) Pierre Couderc, Dunlop – Montluçon, 75 ans d’histoire partagée (Imprimerie Gerbert, Aurillac, 1994). Voir également sur les grèves de 1936: Marcel Légoutière, Un siècle de luttes sociales en Bourbonnais (éd. Union départementale des syndicats C.G.T. de l’Allier, 1976).

(23) Archives personnelles de Me Maurice Brun

(24) S.A.G.E.M. (1925-1985), ouvrage cité

(25) La fonderie a été rasée peu de temps après sa fermeture. Son emplacement est aujourd’hui occupé par un dépôt-vente d’automobiles, rue des Faucheroux.

(26) Information communiquée par Me Maurice Brun, dont le père, avoué de justice, intervint dans cette affaire.

(26 bis) Lettre publiée à la une du Combat social, organe hebdomadaire de la SFIO à Montluçon (17 septembre 1939), sous la titre “La loi doit être la même pour tous”. La réponse du général Chédeville figure sous le même titre mais sans commentaire, dans le numéro suivant (24 septembre 1939).

(27) S.A.G.E.M. (1925-1985), ouvrage cité

(28) Discours prononcé le 3 mai 1984, à l’occasion du départ en retraite d’André Marchand (Site Internet de l’Amicale des  anciens du siège social de la S.A.G.E.M.)

(29) Les accords signés entre l’Etat Français et le Reich prévoyaient la libération d’un prisonnier de guerre français pour trois départs de volontaires en Allemagne.

(30) François Chasseigne (1902-1977) sera condamné à dix ans de travaux forcés par la haute cour de justice puis amnistié en 1951. Il terminera sa carrière comme attaché à la direction de l’entreprise Ford France.

(31) Georges Rougeron, Quand Vichy était capitale (1940-1944) (éd. Horvath, 1981).

(32) Témoignage extrait de Notes sur l’histoire de Domérat, ouvrage inédit. La scène nous a été confirmée par plusieurs anciens de l’usine.

(33) Le cas de Marcel Hammelin est évoqué par Jean et Suzanne Bidault dans La manifestation du 6 janvier 1943. La résistance. Montluçon sous l’Occupation (publication de l’A.N.A.C.R., 1983). Voir également la synthèse d’André Touret dans  Montluçon 1940-1944 : La mémoire retrouvée (éd. Créer, 2001). On pourra aussi  se reporter au témoignage de Raymond Bonnichon, recueilli par le journaliste Guillaume Bellavoine. Âgé de 19 ans, il  était alors ouvrier à l’usine de la Côte-Rouge : “ Un résistant se souvient du 6 janvier 1943 à Montluçon où la foule s’était opposée au départ d’un train pour l’Allemagne (À lire sur le site du journal La Montagne)

(34) Georges Rougeron, Quand Vichy était capitale (1940-1944), ouvrage cité.

(35) Ernest Huss – John William a été fait chevalier de la légion d’honneur par le président de la République, Jacques Chirac, en 2004. Dans une émission de Thierry Ardisson, il avait raconté son parcours, depuis son enfance en côte d’Ivoire jusqu’à son entrée dans la carrière de chanteur, via son passage par l’usine de la Côte-Rouge et sa déportation à Neuengamme (Visionner la séquence à partir de 4 mn 05).

• Sur les actions de sabotages dans la fabrication du matériel « sensible« ,  commises au sein de l’entreprise, on pourra aussi se reporter au témoignage de Raymond Bonnichon, recueilli par France 3. Fils d’un restaurateur chez qui se tenaient des réunions de résistants, il était ouvrier à la Côte Rouge, avant d’être requis pour le travail obligatoire en Allemagne.

(36) Les détails de l’opération ont été minutieusement reconstitués par Claude   Grimaud dans son livre Objectif Dunlop (éd. des Cahiers Bourbonnais, 1993).

(37) Archives personnelles de Me Maurice Brun

(38) Archives personnelles de Me Maurice Brun. Jeune étudiant en Droit, il avait alors accompagné son père au château d’Argentières,  sur les lieux de l’inventaire.

(39) Discours prononcé le 3 mai 1984

(40) Discours prononcé le 3 mai 1984

(41) Sur l’histoire du camp de Tronçais, qui a donné lieu à une abondante littérature, on pourra consulter Jean-Paul Perrin:  L’épuration en région montluçonnaise (sur ce blog). Un chapitre est spécialement consacré au camp de Tronçais et aux exactions qui y furent commises.

Alajouanine obsèques(42) Alexandre Meiller (né en 1896) et Jean Petavy (1875-1945) étaient titulaires de la Francisque, une décoration instituée en novembre 1941. C’était « un insigne constituant un témoignage de  fidélité au maréchal de France, chef de l’Etat ». Ni Marcel Môme, ni André Alajouanine n’en ont été titulaires.  André Alajouanine est décédé le 16 janvier 1967 à Chambon-sur-Voueize (Creuse) où il résidait alors. On ne trouve aucun article  nécrologique dans la presse locale. Seul l’avis d’obsèques (voir ci-contre) publié par sa famille dans le journal Centre Matin (18 janvier 1967) mentionne qu’il était “ancien directeur d’usines Sagem”. Rien de plus.

(43) Information communiquée par Me Maurice Brun.

(44) Archives personnelles de Me Maurice Brun

(45) Discours prononcé par Robert Labarre, le 3 mai 1984

(46) Documents transmis par Andrée Rouffet-Pinon, dont le père travailla à la Côte-Rouge entre les années 1940 et le début des années 1960.

Numérisation_20191122 (10)(47) La Revue Sagem, dont le premier numéro est sorti à la fin  de 1968,informait aussi bien les actifs que les retraités sur l’évolution des sites de l’entreprise et sur les produits fabriqués, ainsi que sur les activités associatives au sein des différents comités d’entreprises. Elle contribuait ainsi à maintenir un lien entre les salariés, les retraités et les différentes usines, en donnant des nouvelles de la « famille S.A.G.E.M »…Depuis les années 1990, elle n’est plus adressée qu’aux seuls actifs, ce que nombre de retraités déplorent, et elle s’est recentrée sur des articles concernant les produits. Exit le lien « familial » qu’elle constituait.

(47 bis) Jean-Baptiste Carton:  “Un peu d’histoire: quand les apprentis faisaient vivre l’esprit SAGEM” (La Semaine de l’Allier, n° 841 – 20 mai 2021). Dans ce même article,  Alain Gourbet qui a fait carrière à la SAGEM entre 1982 et 2019, considère que “les nouvelles générations n’ont aujourd’hui plus  ce sentiment d’attachement à une entreprise comme pouvaient l’avoir les anciens. Une grande majorité des personnes embauchées aujourd’hui viennent d’autres régions”.

(48) Parmi les belles promotions  on peut mentionner à titre d’exemple celle de Jean-Paul Jainsky, directeur de la Côte-Rouge  de 1993 à 1998. On pourra retrouver son parcours dans la notice biographique qui lui est consacrée (annexe I – Les directeurs de l’usine) .

(49) René Bourgougnon, Michel Desnoyers : Montluçon au siècle de l’industrie (éd. du Koala, 1986)

(50) Ce dévouement du personnel pour permettre un redémarrage rapide des activités a été également observé dans la quasi-totalité des industries montluçonnaises.

(50 bis)  Alain Gourbet, Histoire de la Sagem, publiée dans le Bulletin du Cercle d’archéologie de Montluçon (n°27 – décembre 2015). L’auteur a accompli toute sa carrière au sein de l’entreprise.

(51) Le déclin industriel de l’agglomération montluçonnaise (1968-1981). Article de Pierre Couderc, dans Notre Bourbonnais – Etudes bourbonnaises , bulletin de la S.B.E.L. (n°225, 2è trimestre 1983). Voir également Sagem et Manurhin : vers de nouvelles suppressions d’emplois (La lettre de l‘Allier, n°34, été 1989).

(52) Pour en savoir plus sur l’évolution récente du site de la Côte Rouge, voici ce qu’écrit Alain Gourbet dans l’article qu’il a consacré à l’histoire de la S.A.G.EM (Cf note 50 bis):   “2003 : construction du bâtiment destiné à l’assemblage des avions sans pilote.  La Sagem qui dispose d’une importante expertise dans le domaine de la navigation et de l’observation se lance dans l’intégration d’un système avion complet. 2003 : construction de la Zone pyrotechnique pour l’Armement Air-Sol Modulaire (AASM).   Mai 2005: la Sagem fusionne avec la Snecma pour former le Groupe Safran. Avec Safran, la Sagem va se doter d’une dimension internationale plus importante, le périmètre de l’usine de Montluçon va se modifier pour se recentrer sur un cœur de métier: les centrales inertielles. Les activités des viseurs et périscopes sont transférées à Dijon et l’activité électronique rejoint Poitiers puis Fougères, plusieurs centaines de personnes se reconvertissent sur les nouvelles fabrications de gyroscopes et de systèmes inertiels.

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Le site Coriolis (© Gicat.com)

2011Construction du bâtiment Coriolis : Sur une surface de 19 000 m², avec plus de 6 000 m² de salles blanches, ce nouvel outil de travail de premier rang mondial destiné à soutenir la production dans les meilleures conditions des senseurs du XXIè siècle (…). Peu d’entreprises peuvent être fières de présenter un panel de fabrication aussi large et varié : Du micro avec les usinages au 3XL avec les haveuses de mines ou les périscopes. De l’optique à l’électronique en passant par les machines-outils ou le froid industriel. De la production pour la défense aux applications grand public. Aussi on pourrait résumer par : Sagem à Montluçon, c’est 80 ans d’épopée industrielle”.

(53)  “Safran Montluçon, premier employeur privé de l’Allier, embauche en 2018” (article de Guillaume Bellavoine publié par La Montagne): “Premier employeur privé de l’Allier, le site Safran de Montluçon présente un beau dynamisme après plusieurs années de doute. Soixante-dix embauches en contrat à durée indéterminée ont été réalisées en 2017, et une trentaine devraient l’être cette année”….(Lire la suite de l’article)

(54) La Montagne, édition de Montluçon (7 décembre 2005). Voir également, dans le même journal (26 mars 2015), l’article de Guillaume Bellavoine: “Les salariés de la Sagem en grève...Quelque quatre cents salariés du site de la Sagem de Domérat ont arrêté le travail, ce jeudi matin, entre 10 heures et 11 heures, pour demander une meilleure augmentation de leur rémunération”… (►Lire la suite de l’article)

(55) Le groupe Safran a mis en place  un Musée Safran qui, outre des visites,  offre de nombreuses ressources numériques  (textes, images, fabrications et produits divers) sur l’histoire de la SAGEM et des entreprises constituant le groupe Safran. On y trouve aussi une partie de la collection de la  Revue SAGEM, une source d’informations incontournable pour qui s’intéresse à l’histoire de SAGEM. 

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► Consulter le site du Musée Safran

• À signaler également le site de l’Association Souvenir de la SAT qui comporte de nombreuses informations sur l’histoire de la société SAT et sa présence dans les locaux de la Côte Rouge, à partir de 1940.

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► Consulter les site de l’association Souvenir de la SAT

2 commentaires

  1. Bonjour, je viens de lire l’histoire de la Sagem. Mon grand-père, André Merle, ami de Marcel Mome depuis leurs études aux arts et métiers a suivi cette formidable aventure familiale. Père du téléimprimeur, il a terminé directeur des usines. Il était très proches et amis de ses gendres, Robert Labarre puis de Pierre Faure… Nous les avons souvent reçu en vacances, en famille…Je suis surpris que vous ne parliez pas de lui car il fut l’un des proches tout au long de sa carrière. Il est mort en 2002 et j’ai gardé de nombreux documents passionnants. N’hésitez pas à me contacter par mail. Docteur André-jean Fraudet

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  2. Bonsoir Monsieur,
    Félicitations pour votre remarquable histoire de SAGEM à Domérat. La précision et la documentation de cette étude sont en tous point parfaites.
    SAGEM aujourd’hui fondue dans SAFRAN existe toujours et se développe grâce à ses compétences acquises au fil des décennies.
    Encore bravo.
    Cordialement.
    Jean Claude DUFLOUX
    Président de l’Association des Amis du Musée Safran.
    06 73 89 74 16

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