PAGES D’HISTOIRE: MARX DORMOY(1888-1941) II-1940-1941: SA DESTITUTION, SON ARRESTATION, SON ASSASSINAT ET SES CONSÉQUENCES

 

Jean-Paul PERRIN

allier-infos@sfr.fr

MARX DORMOY (1888-1941)

 

DEUXIÈME PARTIE

DE LA DÉFAITE DE JUIN 1940

À L’ASSASSINAT DE MARX DORMOY

(1940-1941)

 

I – DE LA DÉFAITE DE JUIN 1940

À LA DESTITUTION DE MARX DORMOY

(JUIN  1940 – SEPTEMBRE  1940)

 

1-  MARX DORMOY
  FACE À LA DÉFAITE  (MAI-JUIN 1940)

Combat social mars 1939 cabinet reynaud (2)• Redevenu secrétaire de la fédération socialiste de l’Allier en 1939, l’ancien ministre de l’Intérieur de Léon Blum reste une personnalité importante  sur l’échiquier politique, au point que Paul Reynaud lui propose de faire partie du gouvernement qu’il compose, le 21 mars 1940. Après la démission d’Édouard Daladier auquel ont été refusés les pleins pouvoirs, Paul Reynaud entend constituer un gouvernement de large union. Si des membres du parti socialiste, à l’image de Georges Monnet ou d’Albert Rivière, ont accepté d’y faire leur entrée, Marx Dormoy a repoussé la proposition qui lui était  faite de redevenir ministre, deux ans après son départ du ministère de l’Intérieur.   Dans ce gouvernement, il   aurait pu siéger aux côtés du sénateur bourbonnais Lucien Lamoureux (ministre des finances) mais aussi du maréchal Pétain, nommé ministre d’état et vice-président du Conseil, à partir du 18 mai 1940.

• Après plus de huit longs mois d’une « drôle de guerre », les événements vont finir par se précipiter, avec le début de  la grande offensive allemande à l’ouest, lancée le 10 mai 1940.Campagne-de-france-portefolioH (2)  Six jours après le début de cette percée, Marx Dormoy fait parvenir depuis Montluçon un message à Léon Blum qui s’est rendu à Londres, dans le but d’inciter l’Angleterre à un effort de guerre accru. Tout en lui conseillant de rentrer au plus vite, il lui propose de faire le nécessaire pour que sa belle-fille et sa petite-fille   quittent Paris au plus vite, afin de se réfugier à Montluçon, alors que son fils, Robert Blum, a été mobilisé dans l’est. 

• Un mois plus tard, la Belgique et les Pays-Bas sont totalement envahis et les troupes allemandes se retrouvent aux portes de Paris. La guerre tourne alors au désastre pour la France. Devant la menace qui se précise chaque jour davantage, l’exode a commencé depuis plusieurs semaines.  Le 9 juin, dans la soirée, Léon Blum qui a appris que le gouvernement était parti s’installer à Tours, s’est résolu à quitter Paris pour trouver refuge auprès de Marx Dormoy à Montluçon où il est arrivé, le lendemain matin. C’est l’architecte Gilbert Talbourdeau fils, proche de Marx Dormoy,  qui a accepté de mettre à sa disposition sa maison de l’avenue de Néris.  Il y retrouve sa belle-fille et sa petite-fille mais,  ne souhaitant pas s’attarder à Montluçon, il finit par convaincre Marx Dormoy de retourner à Paris. C’est là, pense-t-il,  que va  se jouer le sort du pays et de la guerre. Sans doute aussi éprouve-t-il une « irrésistible envie »  de regagner la capitale, d’autant plus qu’on lui a laissé entendre  que plusieurs ministres (Guerre, Marine et Air) y étaient encore, ce qui pouvait laisser penser que Paul Reynaud en personne s’y trouvait également. Dans son livre La chute de Paris  – 14 juin 1940, l’historien américain Herbert Lottman ajoute que « le fait de fuir l’avait mis mal à l’aise et il souhaitait être actif ».

hZ qdefault (2)• À contre courant des populations civiles qui s’enfuient massivement en direction du sud, Marx Dormoy et Léon Blum  doivent accomplir un parcours de plus de 300 kilomètres, semé d’embûches. Sur leur trajet, l’armée reste présente, entre les soldats qui minent le pont sur la Loire à Sully et les barrages routiers que Léon Blum et Marx Dormoy doivent  franchir. La route traversant la forêt de fontainebleau étant bloquée, il leur faut faire un détour par Melun  pour finalement entrer par l’est dans un Paris aux rues désertes, aux volets clos et aux boutiques barricadées. Ils peuvent apercevoir les derniers Parisiens sur le départ qui s’affairent  à charger automobiles et motos. On est alors le 11 juin 1940 et lors du procès du maréchal Pétain, le 27 juillet 1945, Léon Blum déclarera en revenant sur cet épisode que « toute idée de résistance était  définitivement abandonnée ».

• Léon Blum, toujours accompagné de Marx Dormoy, se rend chez une amie, rue de Varenne. De là, il essaie de joindre la présidence du conseil, puis le  ministère de la guerre  et, enfin, celui de l’Intérieur. À chaque fois le téléphone sonne dans le vide mais Marx Dormoy parvient à joindre le préfet Roger Langeron. Ce dernier leur apprend qu’il partage désormais  la responsabilité de la capitale, avec le préfet de la Seine, Achille Villey, et le gouverneur militaire de paris, le général Pierre Hering. Au cours du déjeuner, pris dans un restaurant de la rue Boissy-d’Anglas, Langeron leur avoue avoir des difficultés à connaître la situation militaire réelle.  S’il semble toujours convaincu  que le principe de la défense de Paris sera bien  maintenu,  cela ne l’empêche pas de se  demander où se trouve alors la défense. En face, Léon Blum se montre dubitatif quant à la volonté réelle du gouvernement de défendre Paris “pierre par pierre”, comme l’avait laissé entendre Paul Reynaud.

Z MD (2)

L’ambassadeur William Bullitt, le préfet Roger Langeron et le général Pierre Hering

Tout en les mettant en garde contre les dangers qu’ils courent, le préfet Langeron suggère aux deux hommes de se rendre aux Invalides pour y rencontrer le général Hering. Chemin faisant, ils s’arrêtent à l’ambassade des États-Unis pour s’y entretenir avec l’ambassadeur William Bullitt, avec lequel Léon Blum avait noué des liens, dès son installation à Paris. Ce dernier leur explique  qu’il s’attend à l’arrivée des troupes allemandes, d’un jour à l’autre, tout en ajoutant qu’il restera dans la capitale, aussi longtemps que nécessaire, pour assurer, au mieux, le sort des ressortissants américains. Arrivés aux invalides, Léon Blum et Marx Dormoy  trouvent un général Hering sur le point de quitter son poste  de gouverneur militaire  pour prendre le commandement d’une armée qui aura en charge de défendre Paris, au nord-ouest.  Il leur explique  que la doctrine officielle n’a pas changé et qu’il n’a reçu du gouvernement  ni ordre d’évacuation, ni consignes pour préparer le départ de la garnison. Au passage, il leur avoue  que les communications avec le  grand quartier général sont devenues  aussi rares que difficiles.

• Léon Blum et son ancien ministre de l’Intérieur quittent alors les Invalides pour  se rendre à la Chambre des députés, totalement désertée et barricadée. Un employé de la questure leur apprend que le secrétariat s’est replié sur la Loire, à Vouvray. Quittant quelques instants Léon Blum, Marx Dormoy se rend dans le quartier de Belleville pour y chercher la mère d’un de ses collaborateurs à la maire de Montluçon. A contario de ce qu’il a pu voir depuis son entrée dans la capitale, il constate que Belleville est resté un quartier vivant et que se habitants, eux,  ne l’ont pas déserté.

• Le gouvernement, les ministères et  les parlementaires ayant déjà quitté Paris, il ne sert donc plus à rien d’y rester.  Léon Blum et Marx Dormoy quittent alors  la ville  dans l’après-midi du 12 juin et ils  sont de retour à Montluçon, le lendemain, 13 juin. On est à la veille de l’entrée des troupes allemandes dans un Paris désormais déclaré « ville ouverte », après que le général Hering eut donné l’ordre du repli de ses troupes au sud de la Loire.

• C’est désormais vers Bordeaux, devenu provisoirement l’épicentre de la vie politique, que les regards se tournent  C’est donc là qu’il faut être et, dans la nuit du 14 au 15 juin, Marx Dormoy y accompagne Léon Blum « afin de prendre contact avec les ministres socialistes et ceux des membres du gouvernement hostiles à la défection que laissaient entrevoir certains propos d’hommes politiques et de militaires », écrit Georges Rougeron, dans ses Mémoires d’autre temps. Durant trois jours, les deux hommes s’installent à la préfecture, là où Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, a établi son cabinet: « C’était le centre vivant de la volonté de résistance », dira Léon Blum en 1945.

• Le  gouvernement, toujours dirigé par Paul Reynaud, est en proie à un âpre débat, entre les partisans de la poursuite des combats et ceux qui considèrent qu’il n’y a de salut que dans la conclusion d’un armistice. Marx Dormoy, tout comme Léon Blum, ne cache pas son  hostilité à cette dernière hypothèse qui aboutirait vraisemblablement à l’obligation pour la France de livrer à l’Allemagne nazie les réfugiés politiques allemands. Il tente même en vain d’arracher à Adrien Marquet, maire de Bordeaux et ministre d’état, la promesse de tout faire pour sauvegarder les socialistes allemands en exil. C’est pourtant la défection  qui va l’emporter le 17 juin, après  la nomination du Maréchal Pétain à la présidence du conseil et la demande d’armistice aussitôt présentée. Marx Dormoy décide alors d’accompagner Léon Blum à Clermont-Ferrand, où une partie de la presse parisienne a trouvé refuge, afin de solliciter l’autorisation de faire reparaître le journal Le Populaire, l’organe de la SFIO. La réponse sera négative.

Bombardement juin 1940
◘ Après le bombardement du 19 juin 1940: 84 victimes recensées et d’importants dégâts matériels

• Tandis que l’avancée des troupes allemandes se poursuit, Marx Dormoy qui a quitté provisoirement  Léon Blum, est de retour à Montluçon le 18 juin 1940. Si l’on en croit  Georges Rougeron, qui est alors son secrétaire, Marx Dormoy aurait ce jour-là entendu l’appel lancé depuis Londres par le Général de Gaulle, grâce au poste de radio installé dans son bureau de la mairie:  » Cette voix au timbre et aux intonations étranges d’une prophétie passionnée nous avait profondément remués ». Et Georges Rougeron de poursuivre:  » Qu’est-ce que l’on fait? Marx Dormoy, très vite avait opté pour demeurer (à Montluçon) en vue d’être à même de rendre le maximum de services à sa ville et prendre part à la suite des choses ».

• Le lendemain, un autre événement  dramatique va venir rappeler aux Montluçonnais que la guerre n’est pas encore  terminée. Ce jour-là, en fin de matinée, alors que le marché de la Ville-Gozet avait drainé une foule importante,  la ville subit un bombardement de la Luftwaffe. Une action qui a  longtemps été imputée à tort  à l’aviation Italienne, l’Italie venant d’entrer officiellement en guerre le 10 juin.  Il se solde par au moins 84 morts auxquels il faut ajouter de très nombreux blessés et des dégâts matériels importants. Depuis la mairie, Marx Dormoy met en place les  secours : « Je suis resté à mon poste. J’ai pris certaines mesures de protection et de sécurité (…).Si la panique à un certain moment, le 19 juin, ne s’est pas emparé des esprits  c’est peut-être parce que je me trouvais ici », déclarera-t-il trois mois plus tard, devant son conseil municipal réuni pour la dernière fois.

28- juin 1940 Appel à la population• Deux jours après, le 21 juin, alors que  les troupes allemandes sont sur le point d’entrer dans Montluçon, Marx Dormoy parvient à convaincre les autorités militaires de l’inutilité d’un baroud d’honneur. En même temps, il lance un appel au calme à destination de la population : «  Dans le malheur de la patrie, peut-on lire sur une affiche placardée dans toute la ville,  je vous demande d’observer une attitude correcte et calme (…).  Que chacun conserve son sang froid et qu’il fasse preuve de dignité sous l’occupation. Surtout l’ordre doit régner. C’est le conseil de sagesse que votre municipalité vous donne. En le suivant fidèlement, vous resterez dans la tradition de notre peuple (…). Vive la France ! ». Le lendemain, après la signature de l’armistice, Montluçon se retrouve parmi les villes de la zone non occupée, ce qui conduit la Wehrmacht à quitter la ville, dès le 24 juin.

• Tandis que Marx Dormoy continue de s’affairer à régler les problèmes liés à l’afflux des réfugiés et au bombardement du 19 juin, il apprend que le gouvernement vient de quitter Bordeaux pour s’établir à Vichy, profitant à la fois de la capacité d’hébergement de la station thermale et de son central téléphonique moderne. C’est donc là que va désormais se jouer le destin de la République. Il sait que dans l’entourage du maréchal Pétain, après la signature de l’armistice, on s’affaire déjà en vue d’instaurer un nouveau régime, qui pourrait faire table rase de la république et de la démocratie.

2- MARX DORMOY, UN DES 80 PARLEMENTAIRES
À VOTER CONTRE LES PLEINS POUVOIRS
(10 JUILLET 1940)
29- BLUM et DORMOY à VICHY
Léon Blum et Marx Dormoy (juin 1940)

• Le jeudi 4 juillet, Marx Dormoy accompagne Léon Blum   à Vichy. À peine sont-ils arrivés qu’ils ont  l’occasion de mesurer à plusieurs reprises le climat de haine violente qui se manifeste à l’encontre   de ceux qui sont jugés  « responsables de la défaite », particulièrement le gouvernement de Front Populaire. La présence à Vichy  de Léon Blum que des rumeurs avaient annoncé en fuite, crée une certaine stupéfaction. Malgré les menaces et les invectives, Marx Dormoy et Léon Blum vont prendre part activement aux différentes réunions qui doivent aboutir à  la convocation à Vichy de l’assemblée nationale afin d’examiner la question d’une  révision de la Constitution.

• Pendant cette semaine décisive, Léon Blum qui est hébergé au château de Montassiégé, propriété d’Isidore Thivrier, et Marx Dormoy se rendent chaque après-midi à Vichy. Au sein du Parti socialiste SFIO, que ce soit par crainte, par opportunisme ou par conviction, les défections se font de plus en plus nombreuses. Le 7 juillet,  lorsqu’Albert Rivière, ministre des colonies et député SFIO de la Creuse, tente de réunir les parlementaires socialistes, ils ne sont qu’un tiers à répondre à l’invitation et, parmi les présents l’heure n’est même plus à l’unité : si Léon Blum et Marx Dormoy affichent leur hostilité à une réforme de la constitution, les parlementaires qui hésitent encore  et ceux qui se disent prêts à voter en faveur de  la réforme, sont majoritaires: « Hélas, l’on en était au temps des abandons! Laval menait la danse en chef d’orchestre accompli et la majorité de l’assemblée nationale allait achever la république »,  écrit Georges Rougeron dans ses Mémoires d’autre temps.

• Deux jours plus tard, la tension monte encore d’un cran,  lorsque Léon Blum et Marx Dormoy sont pris à partie par des membres du PPF le parti de Jacques Doriot : « Quand Léon Blum était sorti en fin de matinée du Grand Casino, ayant à ses côtés Marx Dormoy (…), c’était le spectacle de la haine déchaînée : Jacques Doriot  prenant sa revanche criait à Marx Dormoy : “J’aurai ta peau !”  Tixier-Vignancour paraissant en crise hystérique s’agitait frénétiquement, montrant du doigt les anciens ministres socialistes: « Les responsables au poteau! », témoignera Georges Rougeron dans ses Mémoire d’autre temps.

• Autre reflet de cette haine, le courrier reçu par Léon Blum à la questure de la chambre des députés. Marx Dormoy a confié à Georges Rougeron la mission d’en effectuer le tri.  « Que de lettres lamentables de pauvres gens trompés par une propagande indigne!, écrit-il. Que d’épitres ignobles, de menaces abominables  au juif Karfunkelstein, dit Léon Blum ». À l’inverse, rares sont les lettres de soutien à l’ancien président du Conseil. Lors du procès du maréchal Pétain, Léon Blum, lui-même, reviendra sur l’ambiance qui régnait alors: « J’ai vu là,  pendant deux jours, des hommes s’altérer, se corrompre, comme à vue d’œil, comme si on les avait plongés dans un bain toxique. Ce qui agissait, c’était la peur: la peur des bandes de Doriot dans la rue, la peur des soldats de Weygand à Clermont-Ferrand, la peur des Allemands qui étaient à Moulins ». Et d’ajouter que « c’est sous cette triple pression qu’a été émis le vote des pleins pouvoirs ».

La séance de vote, au casino de Vichy, le 10 juillet 1940 La séance de vote, au casino de Vichy, le 10 juillet 1940, sans le moindre débat  et la sortie des parlementaires après le vote

10 juillet 1940: la sortie des parementaires

• Malgré ce contexte de violences verbales et de pressions physiques, Marx Dormoy reste convaincu que tout n’est pas perdu: il propose en vain à Pierre Laval de lire à la tribune une motion de soutien à la République, dans le cadre du débat préliminaire sur les explications de vote.  Selon Georges Rougeron, cette déclaration « relevait les outrages dont on accablait la République » et Marx Dormoy « projetait d’en donner lecture au moment des explications de vote, mais la clôture imposée par une majorité ayant hâte de liquider ne le lui permit point ». Une ultime tentative, dans la matinée du 10 juillet 1940, se soldera elle aussi par un refus.

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Le Centre, quotidien montluçonnais du soir, daté du 12 juillet 1940

• Dans l’après-midi, sans qu’il y ait eu le moindre débat,  par 569 voix pour, 80 contre et 17 abstentions, l’assemblée nationale  délègue au Maréchal Pétain tout pouvoir pour réformer la Constitution : «  L’assemblée nationale donne tous les pouvoirs au gouvernement de la république sous l’autorité et la signature du maréchal Pétain,  à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes, une nouvelle constitution de l’Etat français.  Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par la nation et appliquée par les assemblées qu’elle aura créées”.

le-figaro-11-juillet-1940

Le Figaro (11 juillet 1940)

• Sur les 9 parlementaires bourbonnais, ils ne sont que trois à voter contre : Marx Dormoy, Isidore Thivrier et Eugène Jardon, député ex-communiste. Les 6 autres, répondant à des motivations diverses, votent pour. Le lendemain, les premiers actes constitutionnels signés par le Maréchal Pétain créent l’État Français et les deux chambres sont ajournées. La France bascule une dictature qui va durer 4 ans. Quant à Pierre Laval qui a poussé à ce changement de régime, il se retrouve nommé vice-président du conseil, le 12 juillet.

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◘ Eugène Jardon (à gauche) et Isidore Thivrier ( à droite) les deux autres  parlementaires  bourbonnais qui ont voté contre les pleins pouvoirs, en même temps que Marx Dormoy
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◘ Les 6 autres  parlementaires qui ont voté pour: de gauche à droite, en haut: René Boudet, Jean Beaumont, Lucien Lamoureux. En bas: Paul Rives, Albert Peyronnet et Camille Planche

petit-parisien-11-juillet-1940◘ Le Petit Parisien (11 juillet 1940)

30- LE MATIN 11 juillet 1940
◘ Le Matin (11 juillet 1940): un titre qui résume parfaitement les conséquences du vote

joussain-du-rieu• Tandis que Léon Blum est parti s’installer à Toulouse, une ville jugée plus sûre pour sa sécurité que Montluçon, Marx Dormoy regagne  la cité des bords du Cher dont il est toujours le maire. Il se retrouve  immédiatement en butte aux attaques du journal Le Centre, dont le rédacteur en chef et éditorialiste, Jean Joussain du Rieu (Ci-contre: Dessin de Florane), n’a jamais caché son hostilité au Front populaire et à Marx Dormoy : il fallait « d’abord éliminer les principaux responsables de la catastrophe et, au premier rang, le parlement qui nous fit tant de mal. C’est fait (…). Et voila, dès aujourd’hui, un nouveau régime d’autorité. Nous avons un chef », écrit-il, e 13 juillet, dans la chronique « Au jour, le jour ».

Visite Pétain 04 (2)

• Sur place, l’hostilité du nouveau régime se manifeste directement par la promotion du sous-préfet Lucien Porte (photo ci-contre) au rang de préfet pour  la zone non occupée de l’Allier. Véritable « préfet de choc »,  il se révèle immédiatement  un serviteur zélé  du nouveau régime, « ne ménageant ni les sarcasmes à l’endroit du Front populaire qu’il rendait responsable de la défaite, ni les intimidations envers ceux qui ne paraissaient guère disposés à rallier l’ordre nouveau », écrira Georges Rougeron.  Dans ses interventions,  au delà des attaques contre le Front populaire,  il n’hésite pas à s’en prendre directement à Marx Dormoy qui ne se fait  guère de doutes sur l’éventualité d’une arrestation.  Une menace que le préfet a d’ailleurs proférée lors d’une réunion de la Commission départementale qui se tenait à  Montluçon.

3- MARX DORMOY EN BUTTE À L’HOSTILITÉ
DU NOUVEAU RÉGIME
(JUILLET – SEPTEMBRE 1939)

• La dernière  grande manifestation publique à laquelle participe Marx Dormoy, entouré de ses adjoints (François Carrias, Lucien Menut, Paul Depeige) se déroule le 14 juillet,  en présence du préfet Porte. Les autorités militaires sont représentées par le général Bérard, qui assure le commandement militaire du département de l’Allier. Eugène Jardon, député ex-communiste et ex-maire de Domérat, y participe également. La  cérémonie n’a plus rien à voir avec celle du 14 juillet 1939 qui avait célébré le 150ème anniversaire de la révolution française:  La Fête nationale a été transformée  en une journée de “Deuil national”

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Le Centre (16 juillet 1940)

• « Deuil, recueillement: ce sont les deux  seuls sentiments qui convenaient à cette journée », écrira Jean Joussain du Rieu dans Le Centre du 16 juillet. Au menu figurent la traditionnelle revue militaire et la cérémonie  au monument aux morts, square Fargin-Fayolle. Le journal Le Centre donne le ton en appelant ce jour-là  à « balayer les fanges » du passé.  Dans ses Mémoires d’autre temps, Georges Rougeron parlera  d’une « matinée lugubre (qui) devait en quelque sorte  constituer l’une des dernières rencontres entre des hommes qui, déjà,  s’engageaient sur des voies différentes ». Quant à Daniel Mayer il racontera après guerre que   Marx  Dormoy, qui  se savait directement visé par ces attaques, lui aurait  tenu ces propos prémonitoires, dès le 26 juillet 1940 : « Dans un an, je serai ministre ou je serai fusillé ».

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◘ 14 juillet 1940: ultime  cérémonie officielle pour Marx Dormoy (au centre, face au préfet Porte et au général Bérard))  

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Le Centre (16 juillet 1940)

• En juillet et août, Marx Dormoy va se heurter à plusieurs reprises au préfet Lucien Porte, qui rejette notamment ses demandes de réunir le  conseil général. Dans un rapport qu’il adresse le 15 août 1940 à Adrien Marquet, ministre de l’Intérieur, il insiste sur l’opposition dont fait preuve Marx Dormoy à l’encontre du nouveau régime :  « Depuis la formation du gouvernement de Monsieur le Maréchal Pétain, Monsieur Dormoy n’a cessé de manifester ouvertement ou secrètement la plus grande hostilité à son égard. Soit à Vichy, soit à Montluçon, dans des groupements d’ailleurs de plus en plus réduits, il se livre en prenant des allures mystérieuses à des conciliabules, critiquant sans cesse les diverses mesures prises jusqu’à ce jour…. Monsieur Dormoy n’a nullement compris la gravité des évènements actuels et poursuit une politique qui ne peut qu’entraver l’action gouvernementale de redressement et apporter du trouble et de l’agitation dans les esprits, politique dont je vous laisse juge ». La réponse ne va pas tarder à venir.

• Depuis la mairie,  Marx Dormoy n’en continue pas moins  de gérer les problèmes de la ville avec ses réfugiés encore  nombreux, et le chômage qui menace. Dans des usines comme la Sagem ou Saint-Jacques, qui avaient tourné à plein régime pour répondre aux exigences du ministère de la guerre, l’inquiétude est grande, face à des carnets de commandes qui se sont vidés en quelques semaines. Ainsi, à la  Sagem, on en est  réduit à faire faire aux ouvriers des travaux de clôture et d’entretien des terrains, dans l’attente d’une hypothétique reprise.   

• Marx Dormoy  ne se contente pas d’expédier les affaires courantes et, lors des réunion du conseil municipal, les 22 juillet et 9 août 1940, il continue de tracer les grands axes pour les mois à venir, même s’il sait que ses jours à la tête de la municipalité sont probablement comptés.  Le 22 juillet, il est question  d’envisager, avec l’appui de l’État,  de lancer une politique de « grands travaux (…), un excellent moyen pour atténuer (…) les difficultés de l’heure présente ». Sont ainsi envisagés  la réfection du canal de Berry, la réparation des dégâts de la crue de mai 1940, ou encore  des travaux d’assainissement, des améliorations à apporter à  l’adduction d’eau, à l’hôpital et au logement. Marx Dormoy n’a renoncé ni au projet de construction d’une école nationale professionnelle, ni à  la restauration du Vieux château, … Lors de la réunion du 5 août, les élus se penchent aussi sur la question du sort de ouvriers démobilisés,  dont certains se retrouvent privés d’emploi, du fait de la sous-activité des usines.

save0231◘ 21 septembre 1940: l’ultime conseil municipal présidé par Marx Dormoy. 

Septembre 1940 dernier CM de M-Dormoy (2)◄ L’ultime conseil municipal présidé par Marx Dormoy se tient le 21 septembre, en fin de journée. Depuis la veille, il sait que la décision a été prise à Vichy de destituer certains maires, dont lui-même, et de dissoudre leurs conseils municipaux.  Sur cette liste, Montluçon voisine avec Lyon, Toulouse, Vienne ou Marseille. Devant les élus, il évoque une dernière fois  les grands projets en suspens dont  le prolongement de l’avenue de la gare jusqu’au château. Devant les 5 adjoints et les 17 conseillers municipaux présents, il se livre ensuite à une longue déclaration, en forme de bilan et de testament politique :   « Le conseil municipal est suspendu durant toute la durée des hostilités, annonce-t-il. En réalité, il ne l’est point par mesure administrative pour avoir commis des fautes dans l’administration de la cité. (…). Je suis frappé pour des raisons uniquement  politiques, et comme mon père avait été condamné en 1882 pour des raisons politiques (…). Ma conduite, je la trouve irréprochable. Sur le plan local (…) en toutes circonstances et même les plus difficiles, j’ai la conviction d’avoir accompli tout mon devoir (…).Je me suis efforcé, à la mairie, d’être juste et humain (…). L’œuvre montluçonnaise que nous avons réalisée ensemble durera (…). J’ai le droit d’indiquer que nous avons fait enfin de Montluçon une véritable ville.  Et notre empreinte se marquera parmi les générations qui viennent ».

• Dans cette déclaration, il fait aussi allusion à son propre avenir: «  Je n’ai pas de préoccupations personnelles, je quitterai cet hôtel de ville quand la notification officielle m’en sera faite, la tête haute et la conscience tranquille, avec la certitude, je le répète, d’avoir accompli en toutes occasions tout mon devoir. J’ai foi en la délivrance de mon pays. J’y aspire de toute ma raison, de toute mon âme, de tout mon cœur. C’est là ma seule pensée ». Trois jours plus tard, le 24 septembre 1940, une délégation spéciale présidée par le docteur Cléret est nommée par le préfet Porte et, le 27 septembre, c’est en sa présence qu’elle est officiellement installée à l’hôtel de ville. 

II- L’ARRESTATION ET L’INTERNEMENT DE MARX DORMOY

  DE PELLEVOISIN À MONTÉLIMAR

(SEPTEMBRE 1940 – JUILLET 1941)

1- L’INTERNEMENT ADMINISTRATIF
AU GRAND HÔTEL NOTRE-DAME À PELLEVOISIN
(25 SEPTEMBRE – 31 DÉCEMBRE 1940) 

• Marx Dormoy ne se fait plus guère d’illusion sur ce qui l’attend, depuis qu’il a appris que Léon Blum avait lui-même été  arrêté, le 15 septembre, avant d’être mis en détention, sans la moindre instruction préalable.  Le 25 septembre 1940, au petit matin, le commissaire divisionnaire Jobard, accompagné de l’inspecteur Juge, se présente impasse Lancret, au domicile que Marx Dormoy partage avec sa sœur Jeanne, et il procède à son arrestation. Le  nouveau régime considére qu’il fait  partie des « individus dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique ». Pour l’hebdomadaire Candide (2 octobre 1940)   cette interpellation est parfaitement justifiée : Marx Dormoy « organisa à Montluçon un centre de résistance pour faire obstacle à l’œuvre d’épuration et de redressement entrepris par le gouvernement du maréchal Pétain. Il est logique que la cour suprême ait tenu à l’avoir sous la main pour lui demander des comptes ».

img062◘ 27 septembre 1940: Le Centre annonce l’arrestation de Marx Dormoy. L’article a été totalement censuré.

• Le même hebdomadaire laisse entendre  que « M. Marx Dormoy n’a pas accueilli sans colère les inspecteurs de la sûreté  qui venaient à Montluçon pour l’interner “administrativement”. M. Marx Dormoy  – on le sait – est un violent et un bavard. Il rappela qu’il avait été ministre de l’Intérieur, qu’il avait commandé toutes les polices de France ».  Le portrait brossé dans la suite de l’article n’est guère flatteur présentant un Dormoy « corpulent, la barbe poivre et sel, coupée courte, toujours agité et irrité, prenant pour de l’énergie ce qui n’était chez lui qu’une excitation permanente contre tout ce qui était noble, humain, français et national (…). Cet homme a été sous le proconsulat de M. Léon Blum un ministre de l’intérieur haineux et néfaste. Et déjà belliciste en diable ! »

Pellevoisin, premier lieu de détention◘ Le Grand hôtel Notre-Dame, à Pellevoisin, premier lieu de détention de Marx Dormoy 

•  Marx Dormoy est immédiatement conduit vers  ce qui va être son premier lieu d’internement pendant plus de trois mois, le Grand hôtel Notre-Dame, à Pellevoisin dans l’Indre. Jusqu’à présent, sa centaine de chambres, au confort des plus spartiates, servaient à l’hébergement des pèlerins qui affluaient chaque année en septembre pour fêter les apparitions de la Vierge  à une certaine Estelle Faguet. Marx Dormoy est officiellement soumis au régime de « l’internement administratif », une mesure rendue possible par une décision prise à Vichy, le  3 septembre 1940. Elle permet d’étendre  des dispositions antérieures «  aux individus dangereux  pour la défense nationale ou la sécurité publique », sans que le chef d’accusation soit précisé et sans qu’il y ait la moindre  possibilité de recours. Les Montluçonnais n’en sauront guère plus : le 27 septembre, au dessus d’un article qui a été censuré, le journal Le Centre  se contente d’indiquer laconiquement  que « M. Dormoy est arrêté ». Le même jour, le Journal de Genève se fait plus précis en mentionnant que « MM. Marx Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur, Vincent Auriol, ancien ministre des finances, Jules Moch et Salomon Grumbach ont été internés administrativement à Pellevoisin (Indre) ».

36- compagnons captivité Pellevoisin (2)
◘ D’autres internés à Pellevoisin: Vincent Auriol, Georges Mandel, Jules Moch, Marcel Bloch (Dassault)

• Sur place, l’hôtel a pris des allures de véritable prison, avec des  barreaux qui ont été scellés aux fenêtres et des espaces extérieurs délimités par des barbelés. Les différentes entrées sont soumises en permanence à la surveillance stricte de gardes armés et cette  vigilance s’étend également aux environs de l’hôtel. Ils ont par ailleurs consigne de  « se montrer corrects mais non empressés » vis-à-vis des internés. Outre celles mentionnées par le quotidien suisse, d’autres personnalités vont venir grossir les rangs de ces « internés administratifs ». Parmi eux figurent   Charles Pomaret,  ancien ministre du travail et de l’Intérieur, et Eugène Montel, un proche de Léon Blum et de Vincent Auriol, soupçonné d’avoir  favorisé le passage d’armes et de matériels à destination des Républicains espagnols. Dans la première semaine d’octobre, la liste s’allonge avec l’arrivée du constructeur aéronautique Marcel Bloch, le futur Marcel Dassault, et de Paul-Louis Weiler, administrateur de la société Gnôme et Rhône. Quelques jours plus tard, ce sera le tour de Paul Reynaud, l’ancien président du Conseil.  Georges Mandel, d’abord incarcéré au château de Chazeron, les rejoindra à la fin du mois de Novembre.

• Dans Hier et demain, un ouvrage publié par les éditions Charlot, après guerre, Vincent Auriol a fait le récit de son arrivée à Pellevoisin et de l’ambiance qui y règne alors: « Le 26  septembre, je suis conduit, sous bonne escorte — 15 policiers ! — à Pellevoisin où m’avait précédé mon courageux ami Marx Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur. Me voici donc dans un local de sept mètres carrés, mal éclairé par une fenêtre à double rangée de barreaux. Régime cellulaire. Interdiction de communiquer avec les co-internés. Une seule visite, celle de ma femme, une fois par semaine, en présence d’un inspecteur. Brève promenade de dix minutes, le matin et le soir dans une petite cour garnie de barbelés et surveillée par quatre gendarmes, baïonnette au canon, et par deux policiers. Pas d’hygiène. Nourriture de la troupe. Correspondance sous pli ouvert, transmise d’abord au ministre de l’Intérieur. Tel est le régime “administratif” à Pellevoisin ! Pourquoi sommes-nous là ? L’arrêté d’internement porte seulement ces mots : “Individu dangereux pour la sécurité publique et la défense nationale”. C’est la lettre de cachet…Pendant dix Jours nous ne recevons aucune lettre. Les Journaux ne nous parviennent pas. Nous devons faire une liste de ceux que nous voulons lire et demander l’autorisation de les recevoir ».

•  Une image bien différente de celle que donne la presse “autorisée” lorsqu’elle évoque Pellevoisin. Tout en ironisant sur l’internement de ces personnalités dans un ancien hôtel pour pèlerins, plusieurs journaux prennent plus particulièrement pour cible Marx Dormoy. Le 3 octobre, dans sa revue de presse évoquant l’arrivée de l’ancien ministre de l’intérieur, le quotidien montluçonnais   Le Centre écrit : « Ce n’était plus le Dormoy que nous avons vu à Châteauroux, il y a quelques années, lors d’un meeting du Front Populaire. Nerveux, les traits tirés, pâle comme un mort, sa barbe noire faisant davantage ressortir la lividité du visage, il a gagné la chambre qui lui était affectée (…). Le lendemain, M. Dormoy avait retrouvé son calme et sa figure de christ ennuyé ».

• Dans un autre article intitulé « Les mousquetaires de Pellevoisin », publié par le Courrier du Centre et complaisamment relayé à Montluçon, le 4 octobre,  par le journal Le Centre, Alex Delpeyrou brosse le portrait du « faux cousin » (Jules Moch),  de « l’illusionniste du Front Populaire » (Salmon Grumbach), avant de s’en prendre  à celui qu’il qualifie de « lugubre inquisiteur » : « Marx Dormoy, un homme lugubre. Sombre, barbu, livide, sorte de Fouquier-Tinville aux petits pieds. Il aurait envoyé sans sourciller la moitié de la France à l’échafaud, sous prétexte de purifier la république. Il rêvait d’importer chez nous les mœurs révolutionnaires du Frente Popular. Il eût volontiers ressuscité les tortures du moyen-âge pour débarrasser la démocratie de quiconque répugnait à lever le poing en défilant au chant de l’Internationale ». Le journaliste reprend ensuite l’antienne de la presse de droite et d’extrême droite qui avait vu dans la Cagoule un complot purement imaginaire : «  Entouré des éléments les plus suspects de la Sûreté nationale, il se révéla comme un prestigieux metteur en scène en montant de toutes pièces le fameux complot de la Cagoule. Ce persécuteur à allure de persécuté s’était glorifié  de la révocation de Jacques Doriot comme maire de Saint-Denis. Pareille mésaventure lui est arrivée moins de quinze jours avant son internement à Pellevoisin. Chacun son tour ». Derrière l’outrance des termes, transparaît clairement  la haine que peut susciter l’ancien ministre de l’Intérieur du Front populaire.

• Dans l’hebdomadaire Candide (2 octobre 1940), on retrouve sous  le même titre  que celui du Courrier du Centre,  un article qui  passe en revue les différents détenus. Parmi eux, le journaliste met l’accent sur  « Marx Dormoy, brillant romancier de l’affaire des cagoulards (…) qui se présente le premier à la réception où un inspecteur de la sûreté avait remplacé le maître d’hôtel de jadis. Puis l’un après l’autre sont arrivés  ses trois commensaux que l’on avait été cueillir à l’improviste dans leur résidence ». Les arrivées successives prennent la forme d’un « cérémonial qui tend à devenir un rite, dans une automobile encadrée de deux autres voitures emplies de policiers », poursuit l’hebdomadaire. 

• La même publication, tout en avançant le nombre de 150 geôliers mobilisés, entre gardes mobiles et inspecteurs, affectés nuit et jour à Pellevoisin,  s’intéresse aussi aux travaux qui ont occupé de nombreux ouvriers donnant aux « maçons, serruriers, gâche-mortier » du travail : « Il fallut bien sûr aménager l’hôtel. On ne changea pourtant pas le papier peint rayé vert et jaune des appartements. L’on se contenta d’agrémenter les fenêtres de la façade d’un ornement gracieux : des grilles aux barreaux épais. Depuis huit jours Châteauroux retentit du bruit des marteaux qui forgent la cage de ces messieurs.  Derrière l’hôtel,  on clôt le jardin de hautes palissades en bois (…). Sur les pelouses, au milieu des parterres, l’on trace trois chemins de ronde et, chaque après midi, les prisonniers viennent à tour de pôle y faire une promenade solitaire sous l’œil des gardes mobiles ».

• Cette période d’internement administratif va se révéler la plus pénible pour Marx Dormoy, pesant lourdement sur son  moral. Lui, jadis homme de contacts, se retrouve soumis à un isolement obligatoire dans sa chambre. Pendant les brefs temps de promenade qui lui sont concédés, il lui est strictement interdit de communiquer avec qui que ce soit. Le 13 novembre, les consignes données aux gardiens se font encore plus sévères : « En cas de tentative d’évasion, l’intéressé est sommé de s’arrêter sur le champ et, après injonctions faites  à haute voix, les fonctionnaires ont le droit de faire feu, si celui-ci n’obéit pas ».

• Les conditions de vie quotidienne  imposées se révèlent également difficiles à supporter dans des chambres exigües, mal éclairées, sans chauffage et sans eau courante. Dans un Document officiel sur l’assassinat de Georges Mandel », publié par le groupe Tout pour la patrie, figure  une description de sa chambre, semblable à celle qu’occupait Marx Dormoy : « Rien de plus ignoble que la chambre où est enfermé Georges Mandel. Elle mesure 2 m sur 3, un lit de sangle, au minuscule matelas maculé, immonde de saleté, une petite table de toilette avec une écuelle à la mesure d’un saladier, un seau, un mauvais fauteuil, une planche avec une tringle composent tout le mobilier ». Pour la toilette, faute de douches, il faudra savoir se contenter d’une simple cuvette d’eau. Pour Marx Dormoy, dont on sait l’importance qu’il accordait à avoir toujours une tenue soignée, c’est une véritable épreuve, d’autant que, dans un premier temps ses demandes se heurtent à des refus, que ce soit pour faire venir un coiffeur, avoir accès à un dentiste ou à un médecin. Quant aux repas, toujours de médiocre qualité et souvent  servis froids, ils doivent être obligatoirement pris dans la chambre.

 • Pour l’administration, interrogée par la presse sur les conditions de vie des “internés administratifs”, la réponse se veut cependant des plus rassurantes : « Ils sont installés aussi confortablement que possible et fort bien traités. C’est tout ce que je peux dire », répond le commissaire en charge de la surveillance. Une information que  Le Centre s’est évidemment empressé de reproduire, le 3 octobre 1940. Cette vision d’un internement somme toute confortable, c’est aussi  l’angle adopté par l’hebdomadaire Gringoire  (17 octobre 1940) dans un article intitulé « Pellevoisin House » : « Les internés de Pellevoisin organisent leur résidence forcée. Ils peuvent continuer à s’occuper de leurs affaires, c’est-à-dire travailler dans leurs chambres, mais tout ce qui leur est remis en tant que courrier, papiers ou paquets est soumis à un contrôle rigoureux. Le café (du National) leur est apporté à 8 h 00 et certains l’attendent avec impatience. Une heure après, c’est l’eau chaude pour la toilette. Puis ils descendent pour une promenade d’une heure qui se renouvelle après le déjeuner qui leur est servi vers midi. Il est interdit aux prisonniers de communiquer entre eux ».  Pour justifier cette interdiction, le journaliste précise que « quand ils pouvaient se réunir, ils ont fait un si beau travail que l’expérience n’est pas à recommencer ».

• La communication avec les proches à l’extérieur est certes autorisée, mais uniquement par écrit, le courrier étant  soumis, comme on l’a vu,  à une double censure. Aucune correspondance ne peut partir de l’hôtel ou être remise à Marx Dormoy sans avoir été lue préalablement. L’administration, « magnanime », a bien mis à disposition des internés un cahier de réclamations, mais la plupart des observations consignées ne sont pas suivies d’effets. Faute de véritables occupations, confiné dans sa chambre, Marx Dormoy, une semaine après son arrivée « passe de l’abattement à la colère », écrit l’hebdomadaire Candide ( 2 octobre 1940), avant d’ajouter qu’il « fit une belle scène l’autre soir. Il tempêta, réclama une occupation qui le soustraie aux quatre murs de la chambre. Il fallut le faire descendre dans la cour et en une heure il fendit du bois ».  L’hebdomadaire Gringoire (17 octobre 1940), après avoir manié  l’ironie en posant la question « Comment prennent-ils leur cure de repos forcé ? » apporte immédiatement une  réponse : « Assez mal en général ». C’est l’occasion de passer en revue les internés dont « le plus docile est Pomaret ». À l’inverse, note le journaliste, « il y a deux gros rouspéteurs : Moch et Marx Dormoy  (…). Le barbu Marx, considéré comme le gastronome (sic) de la bande proteste contre la cuisine. Et il fait ses observations, régulièrement à chaque repas. Et il a tort car au point de vue nourriture, il est le mieux traité. En effet sa sœur vient lui rendre visite deux fois par semaine, toujours chargée de victuailles qu’en fin bec il déguste religieusement, isolément, le plus souvent en se cachant de ses gardiens. Sa barbe a atteint une  longueur démesurée. Elle est d’un blanc douteux ».

 • Le 4 novembre 1940, Marx Dormoy qui traverse une véritable période  d’abattement  finit par prendre la plume. Il manifeste quelques inquiétudes sur son sort après avoir appris qu’un des gardiens, officiellement mort d’une crise de paludisme,  venait en réalité de se suicider. De quoi lui inspirer  ces lignes consignées sur le cahier de détention mis à disposition des internés: “ Est-il possible d’assister à la levée du corps du malheureux garde qui s’est suicidé?”, commence-t-il par noter, montrant qu’il n’est pas dupe de l’explication officielle apportée par l’administration. Et de préciser: “ Si par hasard, ici, on me suicidait, car moi je ne me suiciderai pas,  j’interdis tout certificat médical de complaisance, constatant par exemple que je suis mort d’une crise de paludisme. J’exige que l‘on procède à l’autopsie de mon corps. Je m’en remets à ma sœur pour l’exécution de cette volonté ».

• Aux longues journées qui se révèlent de plus en plus pesantes pour le moral, viennent s’ajouter dans un premier temps  les refus réitérés de l’administration d’autoriser les visites de Jeanne Dormoy à son frère. Contrairement à ce qu’affirme l’article publié par Gringoire, elles  ne seront autorisées que plusieurs semaines après son arrestation. À Montluçon, elle vient aussi de  subir les foudres du nouveau régime, puisqu’elle s’est retrouvée privée de son emploi de directrice de la crèche municipale. Quant aux contacts avec le monde extérieur et les événements liés à la guerre, faute d’avoir pu obtenir la mise à disposition d’un poste de radio, Marx Dormoy en est réduit à lire tout ce qui lui tombe sous la main.

37 - Jeanne DORMOY
Jeanne Dormoy

• Cet état d’esprit et ces moments de découragement, il ne les cache pas non plus  à Léon Blum, lui-même incarcéré à Ménétrol, au château de  Bourrassol, dans l’attente d’une comparution devant la cour de Riom : «  J’ai eu une assez grosse défaillance, lui écrit-il en date du 7 décembre. Un jour, j’ai été sur le point de me trouver mal et forcément, j’ai broyé du noir durant quelques jours. Maintenant je suis complètement remis (…). Et puis comment pourrais-je me laisser aller à la désespérance quand j’éprouve chaque jour la force d’affection de la population montluçonnaise ».  Il est vrai que depuis la fin du mois de novembre, l’administration a enfin autorisé la venue  de sa sœur, à raison de deux visites maximum par semaine. Même si les conversations doivent se tenir  avec la porte de chambre ouverte,  sous la surveillance d’un gardien, c’est par elle qu’il peut se tenir informé de la vie à Montluçon. Si beaucoup de Montluçonnais lui sont restés fidèles, notamment  dans la population ouvrière, elle ne lui cache pas non plus que d’autres, dans les rangs de son propre parti,  ont fait défection depuis son arrestation.

Timbre varenne• Dans les derniers jours de 1940,  Marx Dormoy et les autre internés semblent reprendre brièvement espoir, ce dont témoignera Vincent Auriol dans son livre  Hier et demain : « Le jour de Noël, on nous autorise à nous réunir écrit-il. Le gouvernement résiste, paraît-il, aux pressions d’Hitler. Le maréchal va-t-il se ressaisir? Notre décision est prise. En notre nom, Dormoy remet au directeur de la prison un télégramme par lequel il informe le ministre de l’Intérieur, M. Peyrouton, que si le gouvernement tient tête à l’ennemi, nous serons à ses côtés et ferons appel à la classe ouvrière pour qu’elle oppose à l’Allemagne l’unité française. En même temps, Dormoy télégraphie à Alexandre Varenne pour qu’il vienne nous voir d’urgence. Un seul résultat: le ministre de l’Intérieur blâme sévèrement le directeur d’avoir laissé expédier ce dernier télégramme sans l’avoir fait passer par les services de la Sûreté nationale à Vichy ».

• Ces velléités de “résistance”  du maréchal Pétain, on veut néanmoins encore y croire quelques jours plus tard: « Dans l’après-midi du 31 décembre, écrit Vincent Auriol, les Inspecteurs nous transmettent l’ordre de préparer nos valises. Ils nous disent confidentiellement : “ Nous devons être dirigés vers le Midi. Le gouvernement ne veut pas céder. Les Allemands vont occuper toute la France. Le maréchal et sa suite s’établiront en Algérie. On nous conduit à Marseille. De là, nous prendrons, nous aussi, le bateau”. Telles sont les nouvelles apportées par nos surveillants ».

• Dans ses lettres, Marx Dormoy s’interroge aussi sur le devenir de cette guerre, dont il pressent qu’elle sera forcément longue : « Je ne crois pas que l’année 1941 amènera la fin de la guerre et de nos épreuves, confie-t-il à Léon Blum dans une lettre qu’il lui adresse à la fin de décembre. Selon moi, la guerre sera longue, je ne sais même pas si elle se terminera en 1942. Il ne faut pas mésestimer la force et la valeur des adversaires en présence. Je parle naturellement des Anglais et des Allemands. Les événements décisifs ne se produiront pas de sitôt. Mais, ajoute-t-il, je suis convaincu que la France finira par recouvrer sa complète indépendance ». Lui qui a connu des périodes de déprime, conclut ainsi : « Il ne faut d’aucune manière se laisser aller à la désespérance et au découragement. Pour ma part, je ne connais ni l’une, ni l’autre, tant je suis sûr que la raison et le droit finiront par triompher des forces malfaisantes ». On ne saurait être plus confiant dans la victoire des Alliés.

2- L’HÔTEL BELLEVUE À AUBENAS,
UN SIMPLE LIEU DE TRANSIT
(31 DÉCEMBRE 1940 – 12 JANVIER 1941)

• Le 31 décembre 1940, au terme de plus de trois mois d’un régime quasi-carcéral, Marx Dormoy apprend que l’ensemble des internés administratif de Pellevoisin vont être transférés, dans le plus grand secret et sous escorte policière, vers une destination qu’on ne leur précise pas:  » A minuit, commence la cavalcade, écrira Vincent Auriol. Deux gros camions prennent la tête: dans chacun, vingt gardes mobiles, munis de mitraillettes. Les voitures de la direction de l’inspection suivent, puis les voitures des internés: deux dans chaque auto et deux inspecteurs. Enfin, fermant la marche, deux camions et quarante autres gendarmes également armés de mitraillettes. Sur les côtés, des inspecteurs motocyclistes font escorte. Il est vrai qu’avant le départ, M. le Directeur nous a réunis et nous a fait prendre « l’engagement d’honneur de ne pas nous évader » (…) Toute la nuit du 31 décembre, toute la journée du premier janvier, notre cortège circule à travers la France, dans la neige et le froid. Inséparables compagnons, Dormoy et moi nous vivons dans l’espérance. Arrivés à Aubenas, le 1er Janvier à minuit, nous apprenons que M. Pétain a cédé et que le règne de Vichy continue ». Il n’y aura pas d’embarquement pour l’Afrique du nord.

• Finalement, c’est à Vals les Bains (Ardèche) que les détenus doivent être transférés.  Un éloignement qui risque pour Marx Dormoy  de rendre encore un peu plus difficiles les visites régulières de sa « chère petite sœur ». Sur place, le Grand Hôtel a été réquisitionné et des travaux ont dû être réalisés en urgence : pour accueillir les services administratifs, on a cloisonné le salon d’accueil et, dans une aile de l’hôtel, on a aménagé le logement des gardiens, les prisonniers devant être répartis à l’étage. Points communs avec Pellevoisin, des barreaux sont disposés aux fenêtres des chambres et le parc est entouré de barbelés réputés infranchissables.  En attendant que ces travaux soient achevés, «les pèlerins de Pellevoisin » vont devoir loger à Aubenas, à l’hôtel Bellevue, jusqu’au 12 janvier 1941. Là, les conditions sont encore plus strictes : aucune sortie des chambres n’est autorisée et toutes les promenades sont suspendues, ce qui fait parler à Marx Dormoy  « d’atmosphère confinée insupportable ».

Hôtel Bellevue (2)
◘ L’Hôtel Bellevue, à Aubenas (31 décembre 1940 – 12 janvier 1941)

• Le 7 janvier 1941, Marx Dormoy qui ne sait toujours rien sur les raisons précises de son internement, décide de rédiger un long texte sur le cahier de réclamations qui a été apporté de Pellevoisin : « J’ai l’honneur de demander ma mise en liberté, écrit-il. Je suis interné depuis bientôt quatre mois. On ne m’a jamais fait connaître la raison de la mesure prise contre moi. Je ne crois être dangereux, ni pour la sécurité publique, ni pour la défense nationale  (…) Si l’on a quelque chose à me reprocher, qu’on me le dise. Si j’ai commis quelques méfaits,   qu’on m’en informe et qu’on me traduise devant les tribunaux réguliers ». Au cas où une remise en liberté serait inenvisageable, il demande qu’on lui applique alors le régime de détenu politique. Comme lors de ses demandes précédentes, il n’obtiendra aucune réponse.

3 –LE GRAND HÔTEL À VALS-LES BAINS
VERS UN CHANGEMENT DE RÉGIME 
(13 JANVIER –  20 MARS 1941)

• Le 13 janvier 1941, dès  la fin des travaux, Marx Dormoy est transféré en compagnie de 13 autres  prisonniers au  Grand Hôtel de Vals-les-Bains (Ardèche). Parmi eux, figurent Georges Mandel, Charles Pomaret, Vincent Auriol, Jules Moch, Salomon Grumbach, Marcel Bloch-Dassault et  Eugène Montel. Comme à Pellevoisin, l’établissement est placé sous la responsabilité de la police, représentée par le commissaire  Courrier:  » Huit jours après, la petite ville thermale de Vals-les-Bains, modeste rivale de Vichy, est prête à nous recevoir. “Régimes pour hépatiques, malades de l’estomac, etc. », lisons-nous sur les grands panneaux. Comme à Vichy! La « Révolution nationale » est, en vérité, le régime des régimes », ironise Vincent Auriol.

• Dans cet hôtel qui dispose d’un parc  et qui s’adressait à une clientèle plus aisée, les  conditions de logement sont nettement meilleures. Par contre, le régime imposé aux détenus reste tout  aussi sévère : les chambres sont bouclées, les internés soumis à une  surveillance policière constante et  aucune sortie, quelle qu’en soit la raison, n’est possible sans autorisation préalable. C’est aussi dans les chambres que doivent être  pris les repas. Les promenades sont réduites à une seule par jour et pour empêcher toute communication entre les détenus, un créneau horaire est réservé à chacun d’eux.  L’administration surveille toujours le courrier qui  reste soumis à une véritable censure, les lettres à l’arrivée étant systématiquement décachetées et celles au départ contrôlées.

Le Grand hôtel de Valks-les-Bains, deuxième lieu de détention de Marx Dormoy (janvier - mars 1941)◘ Le Grand hôtel de Vals-les-Bains

• Pour Marx Dormoy, comparé à Pellevoisin,  le Grand Hôtel fait quand même figure de « cage dorée ». L’éloignement a aussi pour effet de rendre les déplacements de Jeanne Dormoy encore plus compliqués que ceux de Pellevoisin. Elle n’en  reste pas moins son principal soutien, par ses visites hebdomadaires : « La présence de sa sœur lui est indispensable : elle lui remonte le moral et lui achète  quelques compléments qui lui manquent, par exemple des timbres  pour son courrier, des médicaments, quelques provisions », écrit André Touret.

• Un mois après leur arrivée à Vals-les-Bains, Marx Dormoy et ses codétenus voient enfin leurs conditions de vie s’assouplir. Désormais, ils sont autorisés à se promener dans le parc par groupe de deux, voire à quatre, de même qu’ils peuvent accéder à une salle commune lors des repas. On finira  par y installer un poste de TSF. En même temps, Marx Dormoy se prend à espérer en  une éventuelle libération, plusieurs « internés » ayant déjà bénéficié d’une remise en liberté, en raison de leur état de santé. C’est le cas, en février 1941 pour Jules Moch, Charles Pomaret et Marcel Bloch-Dassault. À la fin du mois de Mars, ils ne sont plus que 9 à être retenus au Grand Hôtel.

Le Petit Journal (mars 1941): Marx Dormoy assigné à résidence• Le 27 mars, la presse, à l’image du Petit Journal (ci-contre) répercute un communiqué officiel du  ministère de l’intérieur qui annonce un changement de statut pour Marx Dormoy et pour  les 8 autres internés de Vals-les-Bains. Du régime d’internement administratif, ils passent à celui de « la résidence forcée sous surveillance de la police  dans une localité fixée par le ministre secrétaire d’état à l’Intérieur ».

• Ce nouveau système semble s’inspirer du « Confino », un procédé de relégation utilisé dans l’Italie fasciste : il consistait à assigner à résidence des opposants politiques, dans un lieu éloigné de leurs soutiens et si possible parmi une population qui leur soit plutôt hostile.  Sachant qu’il  était inutile de demander à résider à Montluçon, Marx Dormoy avait proposé une liste de villes sur laquelle figuraient Toulouse, Lyon et Clermont-Ferrand.  Aucune n’a été  retenue et le choix a dû se porter sur Montélimar, où il a été transféré dès le 20 mars 1941, soit une semaine avant la  parution du communiqué. C’est à l’hôtel le Relais de l’Empereur qu’il va passer les quatre derniers mois de sa vie.

4 – LE RELAIS DE L’EMPEREUR

À MONTÉLIMAR :

« EN RÉSIDENCE FORCÉE SOUS SURVEILLANCE DE LA POLICE »

(20 MARS  – 26 JUILLET 1941)

Le Relais de l'Empereur, à Montélimar

•En arrivant à Montélimar, encadré par deux policiers, Marx Dormoy, se retrouve donc assigné à résidence. S’il n’a pas recouvré la   liberté, la vie au Relais de l’Empereur n’a plus rien à voir avec ce qu’il a pu connaître à Pellevoisin et à Vals-les-Bains, même s’il a obligation de se rendre au commissariat de police, tous les neuf jours, afin d’y pointer. Les gardiens ont disparu et l’accès aux chambres est devenu totalement libre, dans un hôtel qui est resté ouvert à la clientèle de passage. Marx Dormoy, qui occupe la chambre n°19,  peut descendre  déjeuner et dîner dans la grande salle du restaurant. D’un naturel méfiant, il prend toujours soin de s’installer en fond de salle, dos au mur et face à l’entrée. Il peut ainsi observer les allées et venues et, en même temps repérer des comportements suspects, de la part des nouveaux hôtes. Marx Dormoy avait été marqué par les conditions dans lesquelles Raoul Villain avait assassiné Jean Jaurès, le 31 juillet 1914, alors qu’il était attablé au café du Croissant, tournant le dos à la rue. Outre sa sœur, qui a fini par prendre pension dans le même hôtel, il reçoit quelques visiteurs réguliers tels qu’Édouard Froment et Lucien Hussel, respectivement députés de l’Ardèche et de l’Isère. Tous les deux ont fait le même choix que lui, le 10 juillet 1940.

La salle de restauration du Relais de l'Empereur

◘ La grande salle de restauration où Marx Dormoy prend ses repas

Relais de l'empereur Réception

◘ La réception de l’hôtel Le Relais de l’empereur

• Il peut aussi lier conversation avec le personnel et  avec des clients de l’hôtel. C’est ce qu’il fait avec une jeune femme blonde, qui est arrivée  le 19 juin 1941 et qui est repartie  dans la nuit du 22 juin. Inscrite à la réception sous le nom de Florence Gérodias, elle se dit mannequin et prétend être venue se reposer à Montélimar des fatigues du métier. Ce qu’il n’imagine pas, c’est que derrière ce nom d’emprunt, se cache en réalité une certaine Anne Mourraille et qu’elle est « en mission » dans le cadre des préparatifs de son assassinat. Interrogé par la police, Louise Vilnat, la propriétaire de l’hôtel,  parlera de l’ancien ministre de l’Intérieur comme d’un « homme très sociable, discutant avec tout le monde mais  ne fréquentant personne en particulier ». Le reste du temps, Marx Dormoy s’occupe en lisant et en écrivant beaucoup, notamment à Léon Blum, auquel il reste très attaché et pour lequel il continue de s’inquiéter. Il lui arrive aussi, malgré les interdictions, d’écouter seul ou en compagnie de Jeanne Dormoy, les émissions de la BBC, grâce au poste de radio installé dans sa chambre.

32 - Le portrait du maréchal Pétain• Il continue également à se tenir informé des événements montluçonnais, en particulier de la venue du maréchal Pétain à Montluçon le 1er mai 1941. Cette visite du chef de l’État Français a donné lieu à des articles enthousiastes de la part du journal local Le Centre, qui n’a pas manqué de souligner, sans la moindre nuance,  la formidable adhésion populaire et l’affluence qui ont  présidé à cette journée. En associant Montluçon avec Commentry, où le maréchal Pétain  s’est ensuite rendu pour vanter les mérites de la charte du travail, le rédacteur en chef,  Jean Joussain du Rieu, n’hésite pas à les proclamer “Villes du Maréchal”.

• Ce  point de vue,  le docteur Georges Piquand, chirurgien à l’hôpital, tient à le corriger  dans une lettre qu’il adresse à Marx Dormoy, quelques jours plus tard. Sur l’attitude des Montluçonnais en général, il met certes en avant la  curiosité déférente manifestée à l’égard du maréchal Pétain, mais sans qu’il y ait eu, selon lui, une véritable expression  de sympathie pour le nouveau régime. La foule aurait   acclamé le vainqueur de Verdun bien plus que le chef de l’État Français. Autre constat: la population a fait preuve d’une réserve teintée d’hostilité, à l’encontre de l’amiral Darlan, chef du gouvernement, qui a accompagné le maréchal Pétain durant toute cette journée. Par honnêteté, il mentionne toutefois qu’à Montluçon, d’anciens militants socialistes et syndicalistes ont fait défection, ce que Marx Dormoy savait déjà par sa sœur.

40 - Arrivée à l'hôtel de ville

◘ L’arrivée du maréchal Pétain à l’hôtel de ville, en compagnie du préfet Porte (à sa droite) et de  l’amiral Darlan, chef du gouvernement (à sa gauche)

49 - Pétain

◘ Le bain de foule du maréchal Pétain, sur l’ex- avenue Wilson qui va  porter désormais son nom

• Ce que ne peut pas écrire le docteur Piquand, c’est que le même jour, à l’aube,  des proches de Marx Dormoy, parmi lesquels Georges Rougeron et René Ribière, ont peint sur les murs des jardins municipaux, à l’entrée de la ville, une inscription sur laquelle on pouvait lire: “À bas les traîtres! Vive de Gaulle!”. Autre manifestation qui démontre que le nom de Dormoy n’est pas oublié au plan local:  le dépôt de fleurs effectué par un groupe d’amis de Marx Dormoy sur la tombe de son père, “le forgeron du 1er mai”, quelques heures avant que le maréchal Pétain n’arrive. S’il fallait une autre preuve que Marx Dormoy reste une figure pour la résistance face  au nouveau régime, on pourrait la trouver sous la plume de Daniel Cordier, futur secrétaire de Jean Moulin: “À Montluçon, écrit-il dans la biographie qu’il a consacrée à Jean Moulin (Tome III), règne une atmosphère hostile au gouvernement, entretenue  par les distributions de tracts communistes. Dormoy qui représente le parti pro-anglais et Front populaire est vivement regretté, en particulier dans les milieux PTT et commerçants”. René Ribière, lui même, lors de ses venues à Montélimar, l’informe régulièrement des efforts de reconstitution d’un parti socialiste clandestin. Comme l’écrit André Touret, “Il existait donc incontestablement à Montluçon et aux environs un foyer de résistance à Vichy, à travers Marx Dormoy”.

L'escalier menant aux étages où se trouvaient les chambres, dont celles de Marx Dormoy et d'Annie Mouraille

◘ L’escalier donnant accès aux chambres, dont celle de Marx Dormoy 

• Si son  nouveau statut lui permet de circuler  librement dans les dépendances de  l’hôtel et dans ses environs,  Marx Dormoy est aussi    autorisé à  franchir les limites de la ville. Il a ainsi pu en profiter,  le  2 juin 1941, le jour de la Pentecôte: en compagnie de sa sœur, il est allé  visiter le château de Grignan, où vécut la fille de la marquise de Sévigné, à une trentaine de kilomètres de Montélimar. On sait aussi qu’il a pu se  rendre à la Tour de Veyre, près de Mirmande, et qu’il y a rencontré Marguerite et Pierre de Saint-Prix,  fille et petit-fils de l’ancien président de la République Émile Loubet. Durant cette rencontre, il aurait été longuement question de  la Résistance. Dans un article intitulé  La cible Marx Dormoy : retour sur une mort annoncée, publié sur le site Criminocorpus, Franck Tison écrit que « Pierre de Saint-Prix et Marx Dormoy avaient même envisagé l’organisation d’une manifestation silencieuse pour le 14 juillet à Montélimar qui auraient amené le cortège devant le tombeau d’Émile Loubet ».

• En revanche,  ses sorties en ville se révèlent plus compliquées.  Dans une ville où sa présence est vite connue,   certains ne cachent pas leur hostilité, voire leur haine, à l’encontre de l’ancien ministre du Front populaire. À plusieurs reprises, lorsqu’il sort simplement pour se promener ou pour acheter des journaux,  il est injurié et se retrouve  pris à parti par des soutiens décidés du nouveau Régime. Ces incidents, sans doute plus organisés que spontanés,   qui le conduisent de plus en plus à rester à proximité immédiate de l’hôtel, il les consigne brièvement dans un carnet. André Touret (ouvrage cité) en  mentionne un,  qu’il a inscrit à  la date du 20 avril 1941, un mois à peine  après son arrivée: “En sortant ce matin vers 12 heures. D’un café, des cris: Bandit, voyou. Je ne me suis pas retourné. Ai continué mon chemin”, note-t-il. On sait aussi que quelques heures avant son assassinat, Marx Dormoy avait flâné dans les rues de Montélimar, pour se rendre chez un coiffeur.

• Au delà de ces incidents, Marx Dormoy a conscience que sa vie est en danger, au point d’envisager qu’un attentat puisse être commis contre lui. Un mois avant sa mort brutale, dans une lettre prémonitoire adressée le  23 juin 1941 à André Blumel, il écrit:  « Oserai-je te dire que nos épreuves ne comptent guère. Après tout – je parle pour moi – un parlementaire doit, à l’occasion, être capable de souffrir pour ses idées. C’est dans sa fonction que l’aller, le cas échéant, en prison. Rien ne l’obligeait à faire de la politique. Il n’a pas été élu seulement pour prononcer, de temps à autre, un discours sur les malheurs de l’agriculture… et se constituer une retraite. Il doit être capable d’affronter les périls qui sont les risques du métier. Après tout, le couvreur tombe bien du toit et le maçon de l’échafaudage ! « 

• Pendant ce temps,  on continue à dépouiller l’ancien élu,  avec la destitution de son ultime mandat, décidée depuis Vichy, le 17 juillet. Dès le lendemain, sous le titre “Le juif (sic) Dormoy déchu de son mandat de conseiller général”, le journal Le Matin, publié en zone occupée, écrit: “ Poursuivant l’élimination des cadres de la vie publique de tous ceux qui combattent la politique de rénovation nationale, l’amiral Darlan l’a déclaré démissionnaire d’office”. Une information qui sera reprise, avec quelques variantes,  par de nombreux journaux.  Le 25 juillet 1941, quelques heures seulement avant son assassinat, l’hebdomadaire Gringoire publie un entrefilet, intitulé « L’Amiral Darlan épure ». On y apprend que « Fantomarx Dormoy (sic) n’est plus conseiller général de l’Allier ». En réalité, la loi du 18 juillet 1940 avait déjà ôté aux conseils généraux le pouvoir de se réunir spontanément et celle du 12 octobre les avait remplacés par  des  commissions administratives, qui étaient placées sous l’autorité des préfets, avec des membres désormais nommés. 

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◘ La cour intérieure de l’hôtel

• On voit donc bien que si Marx Dormoy apprécie cette liberté relative, avec en particulier  la disparition des gardiens, il est devenu  de fait  une proie facile et sans défense  pour ses ennemis.  Ce que l’historien Philippe Bourdrel résume parfaitement en écrivant que Marx Dormoy faisait  “ Un séjour aussi discret que possible, mais suffisamment connu des initiés de Vichy pour qu’il serve de cible facile pour les candidats à la vengeance”. Et de conclure: “Cette mise en résidence forcée et sans la moindre protection  d’un homme que l’on savait exposé  équivalait à une condamnation à mort”.

III- L’ASSASSINAT DE MARX DORMOY

 

1- LA NUIT TRAGIQUE DU 25 AU 26 JUILLET 1941

• Dans la nuit du 25 au 26 juillet 1941, vers 2 h 00 du matin, les clients du Relais de l’Empereur sont brutalement tirés de leur sommeil par une violente explosion qui s’est produite dans une chambre, à l’étage. Le  personnel de l’hôtel, presque aussitôt sur place, découvre une véritable scène d’horreur dans la chambre n° 19 qu’occupait Marx Dormoy. Quelques minutes après, c’est la propriétaire de l’hôtel qui prévient le commissariat de Montélimar Les premières investigations vont débuter à 6 h 00 du matin, avec l’arrivée du commissaire divisionnaire de Montélimar, Delsahut, accompagné de  l’inspecteur Dubois, chargé de prendre les photos de la scène du crime. Dans la chambre entièrement dévastée, le spectacle est insoutenable et s’apparente à un véritable carnage: le corps de l’ancien ministre git à moitié dévêtu, au milieu de la chambre, dans une mare de sang mêlée de duvet d’oie provenant de l’édredon pulvérisé.

Image1• L’explosion qui a éventré le matelas s’est produite à hauteur de la tête, décapitant Marx Dormoy. De la matière cérébrale a été projetée sur les murs et au plafond. La puissance de souffle de la bombe a également éventré,  en partie, le plancher de la chambre. Une fois les premiers relevés effectués, c’est le médecin légiste, le docteur Rigaud, qui prend le relais pour effectuer l’autopsie: « La mort a été instantanée: boîte crânienne éclatée, colonne cervicale et une partie de la colonne dorsale détruite, éclatement des poumons, du cœur et du foie », résume l’historien Jean-Marc Berlière (Les grandes affaires criminelles, ouvrage cité). La dépouille de Marx Dormoy ayant été  transportée à l’Hôtel Dieu,  se pose alors  la question des obsèques et du lieu de  l’inhumation.

•  Jeanne Dormoy, qui avait pris pension dans le même hôtel, se voit opposer un double refus: d’abord, on lui interdit de revoir une dernière fois   son frère, sans doute pour lui « épargner la vision d’horreur »,   note André Touret. Il n’est pas question non plus, comme elle le souhaitait, de ramener la dépouille de son frère à Montluçon pour  célébrer ses obsèques dans sa ville natale. Dès le 27 juillet, par une appel téléphonique passé à 22 h 45 au commissaire de police de Montélimar, dont les archives de la Drôme ont conservé la transcription, le préfet de la Drôme a cadré strictement la cérémonie: “Pas de transfert possible pour l’instant. Transfert sera envisagé plus tard sans préciser de date. Les obsèques se feront à Montélimar dans la plus stricte intimité. Pas de cortège (les membres de la famille et quelques  amis intimes personnels). L’heure des obsèques sera fixée de manière à éviter tout attroupement. Prévoir un service d’ordre important et discret. Ne pas communiquer à la presse le jour et l’heure des obsèques”.

• Devant l’opposition catégorique exprimée par le gouvernement, qui peut craindre que des manifestations n’éclatent à cette occasion, l’inhumation aura donc lieu le lundi 28 juillet, au petit matin. Il est à peine  6 h 00 , lorsque la dépouille  de Marx Dormoy est portée en terre au  cimetière de Montélimar, dans une fosse provisoire, que l’on a  creusée à la hâte. Le tout en l’absence d’Isidore Thivrier, député maire socialiste de Commentry, des frères Henri et René Ribière, proches collaborateurs de Marx Dormoy à Montluçon, mais aussi de l’épouse de Vincent Auriol et de quelques autres parlementaires, fidèles en amitié, comme Albert Rivière. Tous avaient pourtant fait spécialement  le déplacement à Montélimar pour pouvoir  assister aux obsèques. Tout au plus seront-ils autorisés à se recueillir brièvement dans le cimetière, mais seulement après les obsèques. Ce qui n’empêchera pas une foule importante de venir se recueillir, le même  jour, devant la tombe de Jean Dormoy, père du ministre, au cimetière de l’ouest, à Montluçon.

2- LES RÉACTIONS À L’ASSASSINAT DE MARX DORMOY

 

•  LA PRESSE AUTORISÉE FACE  AUX CONSIGNES DE LA CENSURE

• S’il n’est pas question qu’elle taise l’événement, la presse n’est autorisée à  en rendre compte que dans des limites strictes fixées par les consignes de la censure. Trois d’entre elles se succèdent entre le 26 et le 27 juillet. La première (n° 238) stipule qu’il faut « ne laisser passer jusqu’à nouvel ordre  que l’information objective  concernant les circonstances de la mort de Marx Dormoy, à l’exception de  tout autre commentaire ». La suivante (n° 239), qui tombe le même jour, précise que « l’information concernant la mort de Marx Dormoy doit être titrée et publiée sur une seule colonne. Seule peut passer une biographie d’une quinzaine de lignes, strictement objective ». Enfin, le lendemain, la consigne 300 indique qu’il faut « ne plus rien publier sur la mort de Marx Dormoy ».

petit-parisien-mort-dormoy◘ 27 juillet 1941: Le Petit Parisien annonce “un attentat contre M. Marx Dormoy”

le-matin-mort-de-dormoy◘ Le Matin (27 juillet 1941) : “ Marx Dormoy est tué par une bombe”

• À Montluçon, le journal Le Centre dont on sait qu’il n’avait jamais caché son hostilité à Marx Dormoy, se contente de publier l’information, sans le moindre commentaire. Dans la presse parisienne, le Petit Parisien (27 juillet 1941) se plie aux consignes en titrant « À Montélimar, un attentat contre M. Marx Dormoy, ancien ministre de l’Intérieur. Une bombe placée dans la chambre du sénateur de l’Allier fait explosion, le tuant net ». Il faut ensuite  aller en page 3 pour trouver une brève notice biographique. Le journal L’Œuvre, dirigé par Marcel Déat, après avoir titré « Marx Dormoy est tué à Montélimar par une bombe à retardement », rappelle que « depuis l’armistice, il s’était classé parmi les adversaires de la politique de la rénovation nationale », ajoutant qu’il « se trouvait en résidence forcée  à Montélimar » et qu’il « ne se montrait guère en ville que pour acheter des journaux et menait une existence très discrète, ne recevant presque jamais d’amis politiques ». Après avoir donné quelques précisions sur les faits, le même quotidien apporte une curieuse précision: «  L’enquête s’efforce d’établir s’il s’agit d’un attentat ou si, au contraire, l’ancien ministre  a voulu lui-même attenter à ses jours (sic)»… Quant au journal Le Matin, il ne peut se retenir d’écrire que l’on « se souvient de l’influence néfaste que joua, place Beauvau le ministre de l’Intérieur de Blum qui, par tous les moyens, servit la politique révolutionnaire de son chef ».  

L'Écho d'Alger (27 juillet 1941)◘ L’Écho d’Alger (27 juillet 1941): “ M. Marx Dormoy est tué dans sa chambre d’hôtel... ”

• L’hebdomadaire Candide (30 juillet 1941) revient plus longuement sur la carrière de Marx Dormoy qui est décrit en ces termes : « En septembre 1940, Marx Dormoy régnait encore à la mairie de Montluçon et promenait dans les couloirs de la maison municipale  sa barbe bicolore et mélancolique.  C’est à Montluçon qu’il avait fait sa carrière, c’est là qu’il avait sucé le lait rouge (…). C’est à Pellevoisin qu’en septembre 1940 Marx Dormoy fut interné (…).  Il s’y montra comme toujours désagréable à tous. Il ne cessa de protester ».

L'Oeuvre, 27 juillet 1941L’Œuvre, journal dirigé par Marcel Déat (27 juillet 1941)

• Pour ses adversaires les plus acharnés, malgré l’horreur du carnage et la lâcheté de l’attentat, il n’est pas question de  montrer la moindre compassion. Dès le 4 août, dans l’hebdomadaire Je suis partout, Dorsay (pseudonyme de Pierre Villette) feint de s’interroger tout en justifiant l’assassinat : « La peine capitale qui a frappé Marx Dormoy était-elle proportionnée à l’importance de ses crimes ? C’est probable (…). S’il y avait eu une véritable cour de Riom (Marx Dormoy) s’en serait tiré avec quelques mois de détention dans une forteresse en carton pâte, d’où il se serait sans doute évadé un beau matin (…). Il est à la fois victime de la carence et de l’impopularité des misérables dont il ne fut en somme  que le bon mais bas serviteur ».

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◘ Le Petit Parisien (26 août 1941)

• Cette analyse qui fait de l’assassinat de  Marx Dormoy la conséquence directe  du naufrage du procès de Riom qui aurait attisé une colère populaire “légitime”, le quotidien Le Petit Parisien la reprendra à son compte  le 26 août 1941, peu après l’arrestation des auteurs de l’attentat: “La police fait de la bonne besogne en zone non occupée puisqu’elle vient de découvrir, avec les auteurs de l’attentat commis à Montélimar contre l’ancien ministre Dormoy quelques apprentis terroristes qui dans la région de Vichy s’essayaient à “faire la bombe” (sic), écrit Maurice Prax. Ce n’est certes pas à l’heure où le gouvernement affirme sa ferme volonté de briser les agitations communistes qu’on peut laisser s’instaurer en France un régime de désordre et de violence. L’ordre ne peut être défendu que par l’ordre. La justice ne se rend pas à coup d’explosif. Mais, ajoute-t-il aussitôt, il est nécessaire qu’elle soit rendue. Il est nécessaire que l’opinion,  quand elle attend, quand elle exige la justice n’ait pas le sentiment d’être continuellement bafouée et trompée”. Et de dénoncer “ l’extravagante comédie qui s’est jouée à la Cour suprême de Riom (…). Cette comédie invraisemblable qui de jour en jour en jour devenait de plus en plus scandaleuse, de plus en plus pénible. Si cette comédie sinistre ne peut justifier des actes injustifiables, n’est on pas cependant en droit de penser  qu’elle a pu les provoquer?”. Pour le journaliste, la conclusion s’impose d’elle-même: “Tous les braves gens de France n’ont-ils pas eux même été profondément blessés, offensés et humiliés par cette faillite de Riom (…) qui a doucement laissé reposer en paix les misérables et les incapable qui nous ont précipités dans l’abîme”. Au fond, tout en dénonçant l’attentat, parce qu’il contrevient au respect de l’ordre établi, à l’image d’une bonne partie de la presse de la collaboration, Maurice Prax ébauche un début de justification de l’assassinat, fût-il particulièrement lâche. 

1715-7• Le 6 septembre,  dans les colonnes de Je suis partout, c’est l’écrivain et journaliste Robert Brasillach (photo ci-contre) qui surenchérit,  dans une violente diatribe, faisant fi de toute justification : « Pas plus que l’exécution officieuse de Marx Dormoy n’a réussi à faire un martyre de ce vieux sadique barbu (sic), l’exécution officielle ou non des coupables français de la guerre ne ferait lever autour d’eux la moindre émotion (…). On les laissera crever sans sourciller, qu’on se rassure. Mais c’est urgent ». Dès le 27 juillet 1941, il avait déjà donné le ton dans une lettre adressée à Jacques Tournant: « On commence enfin à assassiner, écrivait-il : Marx Dormoy vient de sauter sur une bombe (…) et j’applaudis. Puisque la justice d’État ne se décide pas, il faut en arriver à la justice privée. Ce doit être l’œuvre de quelque Cagoule de zone libre. Il faudrait bien, aussi, tuer Mandel, Reynaud etc… Mes appétits sanguinaires sont tout à fait réveillés et cette nouvelle m’a réconforté. Elle prouve une certaine vitalité ».  Le 2 avril 1943, revenant sur la mort de Marx Dormoy, le même Brasillach qualifiera les assassins  « d’admirables Français », les saluant pour  ce qu’il considère comme « le seul acte de justice accompli depuis juin 1940 ». Au fond, selon Je suis partout (27 novembre 1942), le seul tort d’Yves Moynier et de ses complices serait d’avoir commis « un crime d’impatience ».

Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, répondant aux questions de La Gazette de Lausanne (25 août 1941) commente ainsi la disparition de l’ancien ministre : « C’est dommage, mais c’était une canaille ». Il ajoute toutefois que « Ce n’est pas cette méthode qui arrivera à nettoyer la France mais bien une action ferme et méthodique ».  

Marcel Déat
◘ Marcel Déat

• D’autres réactions apparaissent plus mesurées, du moins en privé, comme celle  de Marcel Déat, qui a fondé en février 1941 le Rassemblement National Populaire, un des principaux partis collaborationniste. Membre de la SFIO, Déat a côtoyé Marx Dormoy jusqu’à ce qu’il soit exclu de la SFIO en 1933 et qu’il parte fonder  avec d’autres exclus du courant néo-socialiste le Parti  socialiste de France. Dans ses Mémoires politiques, publié en 1989, on peut lire : « Le 1er août, nous avions appris avec stupeur l’assassinat de Dormoy (…). Dans quelle cervelle de tueur, de G.P. (…) cette idée avait-elle pu germer ? En quoi Dormoy pouvait-il être considéré comme plus coupable que d’autre et en quoi plus dangereux ? Il avait été ministre de l’Intérieur du Front Populaire après le suicide de Salengro. Il n’avait jamais déployé contre les Ligues une ardeur de répression telle qu’elle pût entretenir de pareilles rancœurs. On avait donc voulu faire de lui  un symbole du régime aboli et l’abattre à ce titre ? On voyait alors mûrir les fruits empoisonnés de la politique vichyssoise. On avait trop bien réussi à couper la France en deux au lieu de l’unir ».

• Si la presse de la collaboration n’éprouve guère de regrets face  à la disparition de Marx Dormoy, certains journaux s’inquiètent toutefois de l’effet contre productif que pourraient avoir sur l’opinion de tels actes. Sous le titre “Stupidité du terrorisme”, la revue de presse de L’Action Française (29 août 1941) revient sur un article publié dans  Le Mot d’Ordre : « M.  L.-O. Frossard, commentant  l’arrestation  des assassins de Marx Dormoy et les nouvelles mesures prises par le gouvernement contre l’agitation, communiste, montre la stupidité et le danger d’actes qui ne nuisent en fin de compte qu’à la France et ne profitent en fin de compte qu’à ceux contre lesquels ils sont en apparence dirigés. Les bombes jetées contre les synagogues, ne réussissent qu’à compromettre aux yeux du public les saines mesures de l’antisémitisme d’Etat.  Les assassinats donnent aux plus  néfastes politiciens de l’ancien régime le visage de persécutés et de martyrs ». Une allusion directe à l’assassinat de Marx Dormoy.

•  DANS LA PRESSE ÉTRANGÈRE
Mort M-DORMOY (2)
La Gazette de Lausanne (28 juillet 1941)

• À l’étranger, les journaux consacrent aussi plusieurs  articles à la mort  de l’ancien ministre de l’Intérieur. Sous le titre « Mort mystérieuse de Marx Dormoy », la Gazette de Lausanne (28 juillet 1941) évoque brièvement l’assassinat en notant que « l’explosion lui a arraché la tête et a détruit toute la chambre » de l’hôtel dans lequel il « habitait depuis un certain temps sous la surveillance des autorités ». L’article rappelle ensuite  son action lors de son passage au ministère de l’Intérieur où il se « signala par son action contre les Cagoulards, organisation d’extrême droite qui avait entrepris la lutte contre les communistes ». Les lecteurs apprendront ensuite que « après la défaite de la France, M. Dormoy fut interné administrativement pendant quelques mois puis relâché (sic) et mis en résidence surveillée à Montélimar »

• Outre Atlantique, le New York Times daté du 27 juillet annonce l’assassinat de Marx Dormoy tout en précisant que « le politicien tué était l’ennemi des fascistes, des communistes et du nouveau régime de Pétain ». L’article retrace ensuite  les temps forts de son passage au ministère de l’intérieur, entre la destitution de Jacques Doriot de son mandat de maire de Saint-Denis, le démantèlement de la Cagoule et la fusillade de Clichy, en y ajoutant l’enlèvement en plein Paris du Général Miller, chef d’une organisation de russes blancs en France. Enfin, le quotidien américain annonce que « Vichy ordonne une enquête ».

•  L’ASSASSINAT SOUS LE REGARD
DE LA PRESSE CLANDESTINE

• À l’inverse, dans un tract clandestin signé « L’églantine » et intitulé « Assassins ! » on fait immédiatement le parallèle entre la fin tragique de Marx Dormoy et l’assassinat de Jaurès : « Marx Dormoy est mort assassiné (…) par une machine infernale. Il y a 27 ans, Jean Jaurès mourait frappé par une main homicide (..). Les véritables coupables sont les mêmes, hier l’Action française, aujourd’hui les Cagoulards (…). Qu’on y prenne garde, si les assassins ne sont pas promptement démasqués, arrêtés et châtiés, la classe ouvrière fera justice elle-même. Ce sera la guerre civile. Que le gouvernement y réfléchisse… ».

Tract diffusé par la résistance après l'assassinat de Marx Dormoy◘ Tract diffusé par la Résistance après l’assassinat de Marx Dormoy, qui établit  un parallèle avec l’assassinat de Jean Jaurès: “Hier, l’Action Française, aujourd’hui, les Cagoulards”…

• À Londres, le journal France (28 juillet 1941) met l’événement à la une, annonçant que « M. Marx Dormoy, sénateur de l’Allier, ministre de l’Intérieur dans le cabinet Blum a été tué dans la nuit de vendredi à samedi par une bombe à retardement qui a fait explosion dans la chambre d’hôtel à Montélimar, où il vivait en résidence forcée sous la surveillance de la police ». Après avoir mentionné qu’il « menait une existence fort tranquille et ne recevait que très rarement quelques amis politiques », le journal résume son parcours politique, avec en point d’orgue  le démantèlement de la Cagoule. Pour le journal, il ne fait gère de doute que c’est de ce côté là qu’il faut chercher l’explication : « Le crime est signé. ce sont les hommes de main de la Cagoule qui, avec le concours des nazis, ont exercé des représailles, supprimé l’ancien ministre qui connaissait tous leurs secrets et les agissements en France des agents du Führer, fait disparaître l’homme d’action qui était capable  de jouer demain un grand rôle ». Dès le départ, donc, on fait la connexion entre la mort de l’ancien ministre et son action qui avait abouti au démantèlement de la Cagoule.

• Nombreuses seront aussi les réactions des dirigeants des mouvements socialistes en exil à Londres, à l’image de celle de  Hans Vogel, un des hauts responsables  du SPD allemand, qui rappellera que « Marx Dormoy avait pratiqué à l’égard des réfugiés une politique intelligente et humaine, digne des plus belles traditions de la république française ». Quant au bureau du parti socialiste autrichien en exil, il se fait accusateur: « Marx Dormoy, lutteur intrépide contre le fascisme n’est pas tombé sous les balles d’un peloton nazi. Il a été assassiné par des fascistes français, sous les yeux – sinon avec la complicité – du gouvernement de Vichy ». On peut citer enfin, la réaction du mouvement antifasciste italien Libera Italia qui salue sa mémoire et souligne son action déterminante  « lors de l’assassinat des frères Rosselli, poignardés à Bagnoles-de-L’Orne  par les Cagoulards aux gages de Mussolini »

•  LES RÉACTIONS DES PROCHES DE MARX DORMOY

Un projet d'attentat contre Vincent Auriol◄ Parmi les dirigeants de l’ancienne SFIO, un des premiers à réagir est Vincent Auriol, l’ancien ministre des Finances du  gouvernement de Front Populaire qui fut lui  aussi interné à Pellevoisin et Vals-les-Bains. Dès le 27 juillet 1941, il  écrit à Léon Blum, en commençant par dénoncer vivement  l’hypothèse totalement invraisemblable d’un suicide qui avait été suggérée par plusieurs journaux de la Collaboration: « En apprenant l’horrible assassinat de notre ami Marx, nous avons longuement pleuré. Et nous pleurions avec vous car notre pensée est allée vers cette malheureuse Jeanne et vers vous. Je suis impuissant à vous écrire quoi que ce soit, à penser même, mais je vous écris pour être plus près de vous. Je ne peux pas croire qu’on s’arrête une demi-seconde à l’hypothèse stupide et odieuse du « suicide » que posaient avec un point d’interrogation les journaux de ce matin. Bien qu’on soit tombé très bas, il est possible qu’on descende encore. L’assassinat, froidement, minutieusement prémédité de Marx est le fruit de cette haine atroce dont vous me parliez (…). La presse infâme, libre de diffamer sous le couvert de la censure, et la délation calomnieuse, qui ravage ce pays, désignent aussi les victimes. Le suicide ! Quelle sinistre et affreuse plaisanterie ! J’ai reçu de Marx il y a cinq jours une lettre charmante, pleine d’allégresse, de confiance, d’amour de la vie ».

• Dans un post-scriptum, Vincent Auriol  ajoute que son épouse « vient de partir pour Montélimar où elle arrivera ce soir pour être près de Jeanne » et que lui-même a envoyé le télégramme suivant  à l’amiral Darlan, vice-président du conseil : « Accablé de douleur et révolté d’indignation par assassinat mon vieil ami Marx Dormoy vous demande autorisation assister à ses obsèques. » Une autorisation qui lui sera refusée. (Extrait des Archives Vincent Auriol, Archives nationales, lettre publiée dans Recherche socialiste n°10). 

• Au delà de ces réactions, l’assassinat de Marx Dormoy va se révéler lourd de conséquences, ainsi que l’écrit l’historien Franck Tison ( La cible Marx Dormoy (1936-1941). Retour sur une mort annoncée): « Il est, en outre, une dimension à ne pas mésestimer dans la disparition de Marx Dormoy, celle de l’assassinat conçu comme une arme de guerre », explique-t-il.  Son élimination fit sauter un verrou psychologique. Vengeance politique, elle est annonciatrice d’autres crimes contre des ténors de la République. Entre 1943 et 1944, souvenons-nous que Maurice Sarraut, le patron de la Dépêche de Toulouse, Jean-Baptiste Lebas, Jean Zay, François de Tessan, ministres du Front populaire, Georges Mandel et Victor Basch, payèrent de leurs vies leur attachement à la démocratie et leur hostilité au régime de Vichy ».

IV – LE TEMPS DE L’ENQUÊTE

 

1 – LES DÉBUTS DE L’ENQUÊTE 

 

Pierre Pucheu
◘ Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur

• Pendant ce temps, à Montélimar, après l’autopsie du corps, l’attention des enquêteurs se porte sur le relevé d’indices et notamment des débris de l’engin explosif. Selon le rapport établi par le professeur Edmond  Locard,  directeur du laboratoire de police technique de Lyon, c’est “une bombe à temps, pourvue d’un mouvement de montre et d’un système de mise à feu électrique alimenté par une pile” qui a provoqué l’explosion. L’engin était  placé  « dans une boîte rectangulaire en bois jaune (…) paraissant avoir primitivement contenu un jouet d’enfant ».  Cette  hypothèse est  corroborée par la découverte dans les débris de « morceaux de papier multicolore semblables à ceux  qu’on utilise pour des jouets d’enfants ».

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Joseph Barthélémy, ministre de la justice

• À Vichy, dès l’annonce de l’assassinat de Marx Dormoy et des moyens utilisés, on prend la mesure de la gravité de l’événement et des conséquences négatives qu’il pourrait avoir sur une partie de l’opinion. Et ce  d’autant plus qu’il apparaît clairement que rien n’avait été fait pour assurer une réelle  protection d’un homme politique dont on savait qu’il était menacé. Pierre Pucheu, ministre de l’Intérieur, et Joseph Barthélémy, ministre de la justice, se retrouvent en première ligne.  Il importe donc de faire la preuve d’une volonté ferme de faire toute la lumière sur les circonstances et sur les auteurs de l’attentat. Il s’agit avant tout de ne pas prêter le flanc à une accusation de complaisance à leur égard, quels qu’ils soient.

Henri_Chavin• Dans la circulaire adressée à tous les services de police et de gendarmerie, Henri Chavin, secrétaire d’état pour la police (photo ci-contre), demande « des investigations approfondies », ainsi que  « des recherches minutieuses dans les services d’identité », en soulignant qu’il s’agit  d’une « très grave affaire ». Outre le commissariat de police de Montélimar,  l’affaire Dormoy est confiée au commissaire Charles Chenevier, épaulé par l’inspecteur Kubler. Né en 1901, Charles Chenevier, est entré dans la police en 1925 et, en mars 1936, il a été  promu commissaire de police. L’année suivante, il a participé activement au démantèlement de la Cagoule, alors que Marx Dormoy était ministre de l’Intérieur. En 1941, il occupe les fonctions de commissaire principal de police judiciaire à Vichy. L’homme  a la réputation d’être un  “fin limier” en même temps qu’un policier tenace.

Charles Chenevier◄ Le commissaire Charles Chenevier (photo ci-contre) peut aussi compter sur des indicateurs parisiens qu’il a  utilisés lors de l’enquête menée contre la Cagoule et avec lesquels il a gardé  des contacts. Dans ses mémoires, il explique même que, quelques semaines avant la mort de Dormoy, l’un d’entre eux l’avait informé qu’une ou plusieurs actions étaient en cours de préparation contre des personnalités politiques d’avant guerre. Elles  pourraient se dérouler quelque part dans le sud est de la France, entre Lyon et Marseille, à l’initiative de proches ou d’anciens membres de la Cagoule. Chenevier affirme avoir transmis un rapport à sa hiérarchie, rapport qui apparemment n’a pas été suivi d’effet : aucune mesure particulière n’a été prise pour assurer la sécurité de Marx Dormoy, alors que son statut d’ancien ministre de l’Intérieur du Front Populaire suffisait pour le faire  figurer en première ligne des personnalités menacées.

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Béatrice Bretty

• L’enquête va d’abord se concentrer sur les témoignages de la propriétaire de l’hôtel, Louise Vilnat, et des membres du personnel parmi lesquels Louis Pinard, le gardien de nuit, Ernest Ceccheto, le portier également en charge du ménage des chambres, et Louis Chevet, le barman. Les clients de l’hôtel sont aussi interrogés, notamment la comédienne Béatrice Bretty, compagne de Georges Mandel, et, bien sûr, Jeanne Dormoy. La présence à deux reprises d’une jeune femme blonde n’est pas passée inaperçue, autant en raison de  son apparence générale que pour l’intérêt qu’elle semblait porter à Marx Dormoy…Un intérêt qui était  peut-être aussi réciproque.

• Certains  témoins mentionnent « son allure bizarre », d’autres n’hésitant pas à parler de son « genre poule ». Dans le rapport de synthèse établi par la police, il est question d’une « femme paraissant âgée de 28 à 30 ans,  grande, mince, bien faite, à la démarche souple, au teint bronzé, ayant l’allure d’une demi-mondaine ».  Louis Chevet, qui officie au bar de l’hôtel, explique aux enquêteurs que Marx Dormoy lui aurait demandé de se renseigner à son propos et que, pour s’acquitter de sa mission, il serait monté  dans sa chambre, pour y inspecter ses bagages, mais sans  remarquer le moindre élément suspect. La comédienne Béatrice Bretty, explique avoir été intriguée, elle aussi,  par son comportement bizarre, au point de s’en être ouverte à Marx Dormoy. Attablée dans la  grande salle de restauration, tout en  semblant plongée dans la lecture d’un livre, elle paraissait davantage intéressée par les conversations qui fusaient autour d’elle et par la présence de Marx Dormoy, qu’elle donnait l’impression d’épier. Toujours selon Béatrice Bretty, l’ancien ministre ne semblait pas dupe et il lui aurait parlé d’une « poule dont on pouvait obtenir facilement un rendez-vous ». Lors de l’enquête, la propriétaire de l’hôtel expliquera que Marx Dormoy l’avait aussi questionnée pour en savoir plus sur cette cliente,. Il lui aurait même laissé entendre qu’elle était peut-être envoyée par l’hebdomadaire Gringoire,  dans le but d’alimenter un futur article destiné à le compromettre.

45 - FICHE hôtel Florence gérodias
La fiche d’hôtel remplie par “Florence Gérodias », mannequin, le 20 juin 1941

• Un autre élément retient l’attention des enquêteurs : la demande insistante qu’elle a  formulée auprès du réceptionniste, le 25 juillet, au petit matin, pour obtenir une chambre au même étage que  celui où se trouvait la chambre de Marx Dormoy. Elle avait prétexté  que, lors de son premier séjour en juin, celle qu’on lui avait attribuée était trop bruyante. Son départ rapide, dans la nuit du 22 au  23 juin, vers 2 h 00 du matin, tout comme celui du 26 juillet, retiennent aussi l’attention des enquêteurs. Il en est de même pour la visite de ses deux mystérieux  « admirateurs », porteurs d’un bouquet de glaïeuls et d’œillets, le 25 juillet au soir, et pour  le petit jeu qui s’en est suivi: embrassades façon retrouvailles, puis départ de la salle de restauration pour monter avec eux à l’étage avant d’en redescendre seulement  dix minutes plus tard. Et puis  ses allées et venues entre Le Relais de l’empereur et l’hôtel de la Place d’Armes, le matin et l’après-midi du 25, posent question. On comprend donc que la police puisse s’intéresser à celle qui fait figure de  suspect n° 1.

• Les enquêteurs ont aussi mené des investigations à l’hôtel de la Place d’Armes, où ils ont appris que trois hommes qui étaient  arrivés sans bagages, dans les premières heures de la matinée du 25 juillet, y avaient occupé une chambre.  L’hôtelière leur révèle qu’elle avait pu remarquer dans leur chambre « une petite boîte avec des étiquettes de diverses couleurs », sur laquelle était inscrit « jeu de construction ». Le rapprochement est immédiatement fait avec les indices retrouvés dans la chambre de Marx Dormoy. Au fil des interrogatoires réalisés sur place, les policiers parviennent assez rapidement à reconstituer les faits et gestes des trois hommes et de Florence Gérodias/Annie Mourraille.

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Le commissaire Georges Delsahut

• Peu à peu, se dessine le portrait d’une jeune femme aux cheveux blond platiné, visage maquillé,  grande, mince, d’allure sportive, au teint bronzé et vêtue avec une certaine élégance, comme le note dans son rapport le commissaire Georges Delsahut. La police dispose d’autres éléments précis: son nom (Florence Gérodias), son métier (mannequin), son adresse (43 avenue Niel, à Paris) et sa date de naissance (29 septembre 1914 à Lyon). C’est du moins ce qu’elle a  inscrit sur le registre de l’hôtel, une première fois le 20 juin, et une seconde fois, le 25 juillet, le tout attesté par la présentation d’une carte d’identité parfaitement  en règle. Or les enquêteurs vont très vite déchanter: tous ces éléments s’avèrent évidemment faux et Florence Gérodias n’existe pas. Quant aux hommes « aux allures de souteneurs », qu’elle a côtoyés, malgré des photos de cagoulards inculpés en 1938 qui ont été  présentées,  tant dans les deux hôtels de Montélimar, qu’aux guichets des gares de  la SNCF, personne ne les reconnaît.

• L’enquête semble donc dans l’impasse, ce qui n’empêche pas le secrétaire  d’état pour la police, Henri Chavin, de rappeler par une circulaire datée du 31 juillet, ses premières consignes: « Je vous prie de bien vouloir prescrire d’urgence à tous les services de police et de gendarmerie de votre circonscription des investigations approfondies dans le but d’identifier les quatre personnes susvisées (…). J’attacherais du prix  à connaître d’extrême urgence  les résultats des investigations que vous aurez prescrites. Vous voudrez bien également me tenir immédiatement informé de tout renseignement pouvant permettre d’éclairer cette très grave affaire ». Il apparaît donc bien   que, pour les autorités, il n’est pas question d’enterrer l’affaire, fût-elle provisoirement dans une impasse.

• Une impasse? Pas tout à fait, cependant : « Mon premier soin, écrit le commissaire Chenevier dans ses Mémoires,  fut de partir pour la capitale  où je contactais mes agents placés au MSR (Mouvement Social révolutionnaire) dirigé par Deloncle. J’appris ainsi qu’un mois auparavant l’équipe des tueurs avait été désignée par M… Elle était constituée  par d’anciens Camelots du Roi nommés Guichard, Vaillant, Moynier, Guyon, Marbach et Roger Mouraille. On parlait aussi d’une femme blonde, décorée de la Croix de guerre et connue seulement sous le nom d’Annie. Il ne me restait plus qu’à retrouver leur piste »

2- L’IDENTIFICATION
ET L’ARRESTATION DES SUSPECTS

• Dans cette galerie de suspects, le commissaire Chenevier en connaissait au moins un, auquel il avait eu affaire dans l’enquête concernant la Cagoule. Il s’agissait de Lucien Guyon, dont il pense alors  qu’il pourrait se cacher à Marseille, avec ses complices. Selon un article publié dans le magazine Qui? (19 décembre 1946), qui semble avoir puisé ses informations aux meilleures sources, le commissaire Chenevier avait également des informations sur Roger Mouraille: « Le commissaire Chenevier avait déjà eu l’occasion de signaler cet individu aux Services de renseignements de la Résistance, comme agent de la police secrète italienne. Enfin il était à peu près certain que Mouraille et ses complices se trouvaient à Marseille ». C’est donc vers cette ville que les premières investigations devaient s’orienter : « Une souricière fut organisée et, alors que les filets se resserraient autour de la bande, la nouvelle d’un étrange accident se répandit soudain », écrit le commissaire Chenevier.

• « L’étrange accident », alors que l’enquête peine à mettre un vrai nom sur  « la femme Gérodias », c’est l’explosion d’une bombe,  dans une allée du jardin Albert I, à Nice, peu avant minuit, dans la nuit du  14 au 15 août 1941. Elle fait trois victimes, en l’occurrence les porteurs de l’engin placé à l’intérieur d’une valise. L’hebdomadaire Candide (3 septembre 1940) est un des rares journaux à évoquer l’événement : « Le spectacle n’était pas beau à voir. Quelques minutes plus tôt, trois jeune gens étaient assis sur un banc. Maintenant, il n’y avait plus de banc, plus de jeunes gens. On retrouva les débris des uns et des autres à 50 mètres  alentour, dans les arbres, sur les pelouses ».

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◘ Les jardins Albert-Ier, à Nice, lieu de l’explosion survenue dans la nuit du 14 au15 août 1941

• “À qui était destiné l’engin ?”  s’interroge l’hebdomadaire qui apporte un début de réponse : « L’hôtel Ruhl est à quelques pas de l’explosion. Beaucoup de juifs notoires (sic) y résident et vivent dans un luxe et d’une manière qui bravent les honnêtes Français. Il se trouve que les trois jeunes gens prirent part à l’attentat dirigé contre M. Marx Dormoy. Leur but était-il politique ? ». Et l’auteur de l’article  de conclure que « depuis cette soirée, on trouve quantité de  métèques (sic) qui avant de se coucher regardent sous leur lit et défont même celui-ci en une quotidienne inspection ». Le rapport officiel confirmera que les trois hommes « ont été touchés à hauteur du ventre  (alors) qu’ils étaient assis sur un banc » et que c’est sans doute en  réglant la minuterie de la bombe qu’elle a explosé.

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◘ Les corps de Maurice Marbach, Lucien Guyon et Horace  Vaillant déchiquetés par l’explosion de leur bombe (extrait du livre Les grandes enquêtes du commissaire Chenevier)

• Malgré l’état de démembrement des corps, la police arrive à mettre un nom sur chacun d’eux, en parvenant à reconstituer leurs papiers d’identité : il s’agit de Lucien Guyon, alias Simon (né en 1914, mécanicien à Marseille), d’Horace Vaillant (né en 1909, chauffeur de taxi à Marseille) et de Maurice Marbach (né en 1912, employé à l’arsenal de Toulon). Points communs des victimes: tous les trois sont célibataires,  originaires de Marseille et leurs noms figuraient bien sur la liste qui avait été transmise par son indicateur au Commissaire Chenevier. Ils ont  autour de la trentaine et sont connus pour être actifs dans les milieux nationalistes et antisémites. Lucien   Guyon a même été membre des éphémères GP ou Groupes de protection créés à Vichy à la fin de 1940 par le colonel Groussard. Maurice Marbach, grâce à son emploi au service de la pyrotechnie de l’arsenal maritime de Toulon, avait  quelque compétence en matière de confection d’engins explosifs. On retrouvera d’ailleurs, lors de la perquisition de son domicile, plusieurs bombes assemblées, « prêtes à l’emploi » et toute la panoplie d’éléments nécessaires à la confection d’autres engins, dont une vingtaine de détonateurs.

• Si la proximité entre le jardin Albert-Ier et les hôtels Plazza ou  Ruhl, qui hébergeaient des familles juives laisse penser a priori que le trio s’apprêtait à commettre un attentat contre elles, une autre  hypothèse est avancée : la bombe était  peut être destinée à réaliser un second attentat politique, sur le même principe que celui qui avait coûté la vie à Marx Dormoy. C’était du moins le point de vue du commissaire Chenevier qui évoque comme cible potentielle un  « ancien ministre du gouvernement Blum ». Il n’est pas impossible, non plus, que la cible ait pu être  une synagogue, comme cela avait déjà été le cas à Marseille, le 19 mai 1941.   

• Dans le journal L’Aurore daté du 22 octobre 1948, alors que se tient le procès de la Cagoule, le journaliste André Chassaignon apporte quelques précisions sur les informations glanées par la police : « Dans la poche de Marbach, se trouve l’adresse de Guichard et le numéro de téléphone de Roger Mouraille ». En réalité, c’est lors de la perquisition opérée au domicile de Maurice Marbach qu’a été découverte cette adresse.  À ces premiers indices, s’ajoute le fait que le trio des victimes  avait  déjà eu maille à partir avec la police, en compagnie d’un quatrième homme, Yves Moynier. Le 7 avril 1941, en pleine nuit, ils avaient été surpris en train de  peindre des inscriptions antisémites, sur la Canebière, à Marseille. Le mode opératoire prévu à Nice conduit donc les policiers à faire un rapprochement avec l’assassinat de Marx Dormoy et à se lancer, à toutes fins utiles,  sur la piste d’Yves Moynier, seul survivant du quatuor marseillais.

L'Ouest Éclair (26 août 1941) annonce l'arrestation des auteurs d el'attentat

◘ L’Ouest Éclair (26 août 1941) annonce l’arrestation des auteurs de l’attentat

...tout comme L'Action Française, quotidien monarchiste dirigé par Charles Maurras et Léon Daudet.

◘  L’Action Française, quotidien monarchiste dirigé par Charles Maurras et Léon Daudet…

...ainsi que l'Écho d'Alger (25 août 1941)

 ◘ l’Écho d’Alger (25 août 1941)

• Dès lors, l’enquête va s’accélérer : à peine une semaine plus tard, le 21 août 1941, le commissaire Chenevier est en mesure d’annoncer à ses supérieurs que les auteurs de l’attentat contre Marx Dormoy, ainsi que leurs complices, qu’ils soient décédés ou survivants, ont été identifiés et/ou arrêtés ou qu’ils sont sur le point de l’être.   La  police a ainsi  pu remonter d’abord jusqu’à Yves Moynier et Ludovic Guichard. Ils ont été interpellés le 18 août 1941, à Allauch, où ils étaient hébergés dans une propriété appartenant à  Roger Mouraille, qui avait quitté précipitamment son domicile marseillais. Ces trois noms figuraient eux aussi sur la liste obtenue par le commissaire Chenevier de son indicateur. Quant à la mystérieuse Florence Gérodias, les enquêteurs ont fini par l’identifier : elle se nomme en réalité Anne Mourraille, elle est comédienne et depuis une dizaine d’années elle se produit au théâtre sous le pseudonyme d’Anie Morène.

morene-bnf-gallica•  C’est le commissaire Chenevier en personne  qui procède à  l’arrestation d’Anne Mourraille – Anie Morène (photo ci-contre), le 24 août, à Vichy, après la représentation de Ces dames au chapeau vert, une pièce adaptée d’un roman de Germaine Acremant.  La perquisition effectuée à son domicile niçois permet à la police de mettre la main sur deux télégrammes d’Yves Moynier, sur des lettres et sur un plan de Montélimar, sur lequel a été écrit à la main « Florence Gérodias ». Elle est inculpée, comme Yves Moynier et Ludovic Guichard  d’homicide volontaire. Il en est de même pour Roger Mouraille, qui n’a aucun lien de parenté avec elle, mais qui a  hébergé le duo Moynier et Guichard dans sa maison d’Allauch, alors que la police était lancée à leur  trousse.  L’enquête et les interrogatoires des suspects vont permettre de cerner  leurs profils et leurs parcours respectifs, mais aussi d’apporter un éclairage sur  leurs motivations.

3 – LES PACOURS PERSONNELS ET POLITIQUES
DES SUSPECTS

 

 • YVES MOYNIER (1914-1986)
« UN ASCÈTE QUI NE VIT QUE POUR SON IDÉAL NATIONAL »

• Yves Moynier, né le 22 mars 1914 à Marseille, était   pupille de la nation, son père ayant été tué aux armées dans les premiers mois de la Grande guerre. Ses études secondaires se sont limitées à une année passée à  l’Institut Leschi de Marseille où il a pu  croiser Ludovic Guichard, un de ses futurs complices. Au terme de deux ans passés dans l’armée (1931-1933), il est devenu postier. Proche avant guerre de l’Action Française puis de la Cagoule,  il  s’est engagé dans les Corps Francs  en septembre 1939 et il a participé aux combats du printemps 1940, ce qui lui a valu citation et  Croix de guerre. Après sa démobilisation, Yves Moynier qui se présente aux enquêteurs comme  « postier en disponibilité »,  s’est immédiatement rallié à la  Révolution nationale, dont il affirmera plus tard   avoir espéré « un prompt châtiment des responsables de la défaite ».

Aff. Dormoy Yves Moynier

◘ Photo d’identité judiciaire d’Yves Moynier (21 août 1941) (AD Bouches-du-Rhône), publiée dans Assassination in Vichy (G-Brunelle et A. Finley Crosswhite)

• C’est  dans le but de satisfaire son goût pour l’action qu’il a rejoint à Marseille les Groupes de protection ou GP qui avaient été  créés à Vichy, à l’automne 1940,  par le  colonel Georges Groussard. Leur  chef marseillais était un certain Antoine Marchi, dont il sera question plus loin. Groussard, nommé « inspecteur général des services  de la Sûreté nationale à Vichy » avait mis sur pied  ces GP pour constituer une force auxiliaire paramilitaire. Il recherchait des  hommes « possédant cran et aptitudes physiques », à recruter de préférence  dans « les partis nationaux d’avant guerre » parce que leurs membres étaient à ses yeux réputés combatifs, audacieux et bagarreurs. L’adjoint de Groussard était François Méténier, lui-même ancien cagoulard.

• Fortement implantés dans les villes du sud-est, entre Lyon, Marseille, Toulon et Nice, les GP avaient attiré à eux des « anciens » de la Cagoule, tels que Joseph Darnand à Nice, Jacques  Dugé de Bernonville à Lyon ou  Jean Degans à Montpellier et Joseph Lécussan à Toulouse, quatre personnages que l’on retrouvera à des postes élevés dans la future Milice. L’existence de ces GP n’était toutefois pas  sans susciter une certaine méfiance de la part des Allemands qui y voyaient un embryon d’armée. C’est ce qui explique qu’ils furent rapidement dissous, le 22 décembre 1940,  9 jours après qu’ils eurent contribué à l’arrestation de Pierre Laval.

G. GROUSSARD (2)
Georges Groussard, fondateur des GP

• À la suite de cette dissolution,  Yves Moynier a intégré  l’Amicale de France, une autre organisation mise elle aussi sur pied par un ancien Cagoulard, Gabriel Jeantet, qui gravitait dans les cercles du pouvoir à Vichy. Il a ensuite adhéré au P.P.F (Parti Populaire Français), le parti de Jacques Doriot. Yves Moynier n’était toutefois pas un inconnu pour la police qui  l’avait déjà repéré pour sa participation à diverses actions antisémites à Marseille, comme la peinture d’inscriptions antisémites sur des façades de la Canebière.  Après l’attentat contre Marx Dormoy, il a été hébergé par Roger Mouraille, qu’il présente comme son employeur, d’abord à son domicile marseillais puis dans une petite propriété qu’il possédait à Allauch.

• C’est là que le 18 août 1941, il a été cueilli par la police en compagnie de Ludovic Guichard. Dans un rapport rédigé lors de l’enquête par  le commissaire Mercuri, Yves Moynier est  présenté comme « une sorte d’ascète (qui) ne vit que pour son idéal national (et dont) le relèvement de notre pays est l’obsession ». Dans un autre rapport datant de  1946, après la reprise de l’instruction, on le décrit comme un homme plutôt grand (1,80 m), « au visage de type slave et aux cheveux blonds rougeâtres » (sic). Dès les premiers interrogatoires, tout en refusant de dévoiler l’identité réelle de Florence Gérodias, il se présente comme l’initiateur de l’assassinat, disculpant au passage Roger Mouraille, dont la seule faute aurait été de l’avoir hébergé.

•  ROGER MOURAILLE (1913-1999)
« NATIONALISTE ET FASCISTE À TOUT CRIN »

• Roger Mouraille, né le 13 juin  1913, à Marseille, a un profil plus « trouble ».  À l’issue de ses études secondaires dans la cité phocéenne, il s’est engagé, en 1931, au sein du 22ème Régiment d’infanterie coloniale, qu’il a  quitté en 1933.  Sa trajectoire  politique est à l’image de celle de la plupart de ses complices : on le retrouve militant de l’Action Française, avant qu’il ne rejoigne le Comité Secret d’Action Révolutionnaire (CSAR), autrement dit la Cagoule. Présenté par l’historien Philippe Bourdrel comme « un nationaliste et fasciste à tout crin », il a lui aussi adhéré au  P.P.F. 

• Pendant la guerre d’Espagne, Roger Mouraille se montre un partisan convaincu des nationalistes  et du général Franco.  Possédant une petite entreprise de transport, il a  utilisé son activité professionnelle pour s’infiltrer dans les zones tenues par les Républicains espagnols. Sous couvert de livraisons d’essence et d’oranges, il s’agissait pour lui d’y recueillir  des renseignements destinés au camp franquiste. Pour disposer d’une bonne couverture, muni d’une fausse carte de membre de la SFIO, il s’était inscrit au Secours Rouge de Barcelone. Cette action lui vaudra la reconnaissance officielle du camp nationaliste et,  à l’issue de la guerre civile, en remerciement des services rendus, il sera autorisé par Franco lui-même, à maintenir une partie de ses activités en Espagne.  L’enquête démontrera que durant l’été 1939, il a pu rencontrer à plusieurs reprises Jean Filiol,  considéré comme le principal «  tueur » de la Cagoule, qui avait  trouvé refuge en Espagne, pour échapper à la justice.

Aff. Dormoy Roger Mouraille

◘ Photo d’identité judiciaire de Roger Mouraille (1913-1999) prise le 21 août 1941 (AD Bouches-du-Rhône)publiée dans Assassination in Vichy (G-Brunelle et A. Finley Crosswhite)

• Mobilisé à Marseille en septembre 1939, Roger Mouraille a participé aux combats, notamment après l’entrée en guerre de l’Italie. Rendu à la vie civile, peu après l’armistice, il est de ceux qui accueillent  avec ferveur la fin de la république et l’avènement de la Révolution nationale. Il a alors  rejoint le centre d’information et d’études (C.I.E.) la branche renseignement des Groupes de protection, placés à Marseille  sous l’autorité d’Antoine Marchi. Suite à leur  dissolution, il a repris son activité de transporteur, toujours à Marseille, embauchant au passage Yves Moynier, dont il dira avoir dû se séparer pour manque d’assiduité. Philippe Bourdrel (ouvrage cité), rapporte que tout en niant avoir participé directement  à l’assassinat de Marx Dormoy, il n’en aurait pas moins déclaré que “cela faisait un salaud de moins”.

• LUDOVIC GUICHARD, ALIAS GUIDO
(1914 – ??)

• Ludovic Guichard, né en juin 1914 à Marseille, est le fils unique d’un riche homme d’affaires local. Au cours de ses études secondaires,  durant lesquelles il s’est signalé par son indiscipline, il a fréquenté le même établissement qu’Yves Moynier.  À vingt ans, il s’est engagé  au 141è régiment de chasseurs alpins, qu’il a dû quitter un mois plus tard pour des troubles d’ordre  psychologique. Un état mental qu’il tentera d’utiliser lors de l’enquête sur l’assassinat de Marx Dormoy,  exigeant une expertise psychologique, qui permettrait d’atténuer ses responsabilités. Le rapport officiel, tout en rejetant une quelconque irresponsabilité, décrit un homme particulièrement susceptible, souffrant d’obsessions et de troubles d’anxiété. Selon le commissaire Chenevier, il est aussi capable de faire preuve d’une  grande habileté pour  faire perdre leur temps aux policiers, lors de ses interrogatoires,  ergotant pendant de longs moments sur tel ou tel point de détail.

Dormoy Ludovic Guichard 19 aout 1941

◘ Photo d’identité judiciaire de Ludovic Guichard (1913-??) prise le 21 août 1941 (AD Bouches-du-Rhône)  publiée dans Assassination in Vichy (G-Brunelle et A. Finley Crosswhite)

• Dans les années 1930, il a lui aussi a gravité dans les mêmes milieux politiques d’extrême droite, naviguant entre l’Action Française, la Cagoule et le PPF. Dans les derniers mois de 1939, après la faillite de l’entreprise paternelle, il se retrouve  employé par une société  chargée de percevoir des droits de douane dans le port de Marseille. La défaite de juin 1940 ne fait que renforcer un peu plus sa haine contre  la république et ses responsables politiques. Fin 1940, en même temps qu’Yves Moynier et Roger Mouraille, il s’est engagé dans les Groupes de protection, tout comme deux autres de ses futurs complices, Horace Vaillant et Louis Guyon, À Marseille, il a noué des relations avec Antoine Marchi, l’ex-cagoulard devenu   chef local des GP,  qui l’a engagé dans le Centre d’information et d’études, le service Renseignements des GP. À leur dissolution, il a fait l’acquisition d’un salon de coiffure à Marseille, tenu ensuite par son épouse. L’enquête montrera qu’il avait  été aussi un partenaire en affaires  de Roger Mouraille, dans son entreprise de transport.

• ANNE MOURRAILLE (1913-1984)
BIEN PLUS QU’UNE « POULE DE LUXE »

• Anne Mourraille (Anne-Félice Mourraille  pour l’état civil) présente quant à elle un parcours singulier, qui ne saurait se limiter à l’image de « séductrice », de « demi mondaine », de  « poule de luxe », voire de « prostituée » qu’on lui a longtemps accolée. Née à Lyon, le 24 septembre 1913, elle est la fille de Léon Mourraille ingénieur et polytechnicien, spécialiste des questions hydrauliques. Après des études au lycée Victor-Duruy, puis  à la Maison d’éducation de la légion d’honneur, elle a décroché le bac suivi d’une licence es-lettres et, peut-être aussi d’une licence en droit. Jeune fille au caractère bien trempée, elle est une sportive accomplie et elle a été championne de natation, lors de compétitions dans le milieu artistique.

Annie Mouraille, Marcel Thill et Willy Rozier (20 juin 1932), lors d ela Fête de l'eau et l'élégance sportive ©BnF Gallica

◘ Anne Mourraille, Marcel Thill et Willy Rozier (20 juin 1932), lors de la Fête de l’eau et l’élégance sportive

• Au début des années 1930, elle a entamé une carrière de comédienne au théâtre, en adoptant comme nom de scène Anie Morène. Durant cette décennie, on la retrouve sur plusieurs grandes scènes parisiennes, comme  le théâtre de la Madeleine, le théâtre de l’Œuvre ou encore l’Athénée. Elle s’essaye aussi  bien à des pièces classiques comme Hernani que modernes. La presse théâtrale se fait régulièrement l’écho de ses interprétations, certains critiques voyant en elle une comédienne aux talents prometteurs et peut-être même,  une  future vedette. Pour améliorer son jeu, elle suit pendant quelque temps les cours de René Simon qui se montre un peu plus réservé, voyant  en elle une artiste qui manque d’expressivité pour jouer des rôles du répertoire classique. Il regrette aussi « son caractère instable », ainsi que  son « manque de persévérance »,   et le fait qu’elle court différents théâtres, se lançant dans des projets, mais sans aller jusqu’au bout. De quoi expliquer qu’elle n’ait pu intégrer le conservatoire.

anie-morene-et-samsom-fainsilber• Pourtant, en octobre 1937, elle a été choisie pour interpréter au théâtre de l’Athénée, le rôle double de Guenièvre et de la fausse reine, dans Les chevaliers de la table ronde, pièce en trois actes de Jean Cocteau (Photo ci-contre). Si le principal  rôle masculin  a été dévolu à Sanson Fainsilber, elle n’en donne pas moins la réplique à un jeune comédien du nom de… Jean Marais. Le 26 octobre 1937, le critique théâtral du quotidien Ce Soir, dirigé par Louis Aragon écrit : « Nul n’a insisté  sur le prodige, entre autre, d’une  actrice nouvelle qui saute à pieds joints  dans le cercle enchanté du monde des étoiles et, d’un seul coup, gagne la partie. Mademoiselle Anie Morène, inconnue la veille,  mène d’une traite cette danse écrasante et, après avoir interprété la reine véritable, calme, modeste, déploie  dans la fausse reine une belle virtuosité, un mécanisme diabolique, si juste que des spectateurs naïfs se demandent si  le rôle n’est pas tenu par Georges Rollin qui lui passe la balle et soulève la salle au premier acte ».

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◘ Anne Mourraille, au début des années 1940 

• Dans les années qui précèdent la guerre, elle poursuit sa carrière, tout en publiant, semble-t-il, des poèmes sous le pseudonyme de Lucien Février, comme elle le mentionnera lors d’un interrogatoire. Elle a également participé à des émissions radiophoniques au cours desquelles elle a déclamé des poèmes. Quelques mois avant que la guerre n’éclate, le journal Paris Midi annonce qu’elle a été retenue par Louis Jouvet  pour jouer dans Ondine, une pièce de Jean Giraudoux, que Jouvet compte mettre en scène au théâtre de l’Athénée. Toutefois, le projet n’aboutira pas. Au printemps 1940, avant que ne commence l’invasion de la France, Anie Morène était en train de répéter le Chemin de ronde, la nouvelle pièce en 5 tableaux de Marguerite Duterme qu’elle devait jouer au théâtre Antoine. Là encore, la critique salue son interprétation, avec son « jeu sobre et sincère ».

La présentation des premières sections sanitaires automobiles (Le Petit parisien - 25 juin 1940) ©BnF Gallica• À la fin du mois de mai 1940, quelques jours après le déclenchement des combats à l’ouest,  elle choisit de mettre provisoirement sa carrière théâtrale  entre parenthèses pour s’engager comme conductrice dans les sections sanitaires automobiles féminines. Pour faire face au manque d’ambulances et de personnels sanitaires, le ministère  de la Guerre avait accepté la proposition de la Croix-Rouge française de lui fournir des  volontaires qui seraient affectés au transport des  militaires blessés  sur les champs de bataille. Lors de la débâcle  de mai – juin 1940, au cœur des zones de combats,   Anne Mourraille se retrouve  chargée de l’évacuation des blessés.

• Dans cette mission, elle  fait preuve d’un réel courage, ce qui lui vaut d’être citée à l’ordre du 54ème  régiment d’infanterie, le 6 juillet 1940 comme conductrice « de haute valeur morale. Toujours volontaire, ardente courageuse, (qui) s’est particulièrement distinguée en assurant de jour et de nuit, sous de violents bombardements aériens, l’évacuation des blessés militaires, alors  que, restée seule, elle ne pouvait attendre l’aide de personne. Demeurant en zone occupée au cours d’une dernière mission,  (elle) a réussi à en imposer à  l’ennemi par la crânerie de son attitude et à ramener son camion en zone libre ».

• En février 1941, alors qu’elle s’apprête à jouer dans Andromaque, le journaliste Marcel de Renzis,  dans la revue Compagnon de France (22 février 1941 – n° 19), reviendra longuement sur cet épisode de sa vie. Sous le titre “Andromaque au volant, héroïne de théâtre après avoir été héroïne de Guerre”, son article qui est un véritable panégyrique retrace dans le détail  les péripéties d’Anie Morène – Anne Mourraille sur le front:

Anie Morène devant camion 1940 (2)« Voilà Annie Morène régulièrement affectée dans un groupe motorisée du Train des Equipages. Sa maestria se confirma à ce point qu’on la nomme chef de convoi. Pour la nourriture et les règlements de service, elle sera assimilée au grade de sous-officier, de maréchal-des- logis-chef. Pour la question du logement, l’intéressée l’a résolue elle- même : elle couchera dans une civière installée dans son camion, un gros  Studebaker  de dix tonnes. Les premiers jours, le  “margis-chef ” Morène fait la navette entre Paris et les bords de la Loire (…).  Elle va, insouciante, sous les bombardements, faisant fi de la fin épouvantable qui la menace. C’est ainsi qu’elle gagne le beau ruban vert et rouge et sa première citation. Mais voici le désastre. L’occupation de la capitale est imminente.  Le 13 juin au soir, Annie Morène revient à Paris, sa mission terminée. Des blessés sont à transporter ailleurs. Elle en charge son camion, constitue un convoi et, par les routes surencombrées, après des incidents sans nom, elle parviendra plusieurs jours après dans les Landes, où « ses » blessés… car cet infatigable conducteur de  poids lourds  n’a rien perdu de sa douceur féminine… connaîtront enfin le repos. Une deuxième citation récompensera la vaillante jeune femme. L’Armistice est signé. Annie Morène est alors envoyée à Pau. On n’a plus besoin d’elle comme conductrice de camion, elle s’offre comme motocycliste. Et la voici “agent de liaison”, rendant d’appréciables services. Cela jusqu’à sa démobilisation, qui va l’amener à jouer d’autres rôles, mais sur les planches, cette fois. Telle est cette jeune femme de France, héroïne de théâtre après avoir été héroïne de guerre, sans doute la seule Française décorée de la Croix de Guerre avec deux étoiles. » Pour faire bonne mesure, une photo qui est sans doute une photo de reconstitution  prise postérieurement à l’événement, la montre posant devant son camion Studebaker.

Anie Morène Compagnon de France (2)◘ La revue Compagnons de France (22 février 1941), consacre une page entière à Anne Mourraille

• Anne Mourraille manifeste aussi des convictions politiques bien arrêtées. Au milieu des années 1930, après son divorce, elle a fréquenté le canadien Eugène Berthiaume propriétaire du journal L’illustration  nouvelle. Publié à Montréal, ce quotidien   cultive un  ton résolument populiste, anticommuniste, nationaliste  et conservateur, teinté d’antisémitisme. Pour le diriger, il a fait appel à Adrien Arcand, surnommé « le Führer canadien »  qui lui donne une orientation ouvertement profasciste.

• Léon Mourraille, son père, interrogé  le 26 août 1941, présentera sa fille   comme  «  très indépendante  et ayant toujours mené sa vie comme elle a voulu”. Il reconnaît que, d’après ses conversations, elle était « antisémite et anglophobe » et que « nationale, elle suivait toutes les directives du maréchal ».  Devant la  police et devant le juge  Marion, Anne Mourraille elle-même déclarera voir dans ses complices « de grands patriotes, très antisémites, très anti-Front Populaire », en ajoutant qu’ils estimaient tous que « les gens d’extrême gauche étaient la cause de la guerre  et de notre défaite ». Son compagnon de l’époque, le comédien Antony Carretier expliquera aux enquêteurs l’avoir entendue dire à plusieurs reprises qu’elle  refuserait de travailler avec des juifs ou même de leur serrer la main.

Aff. Dormoy Mourraille Anne Id. Judiciaire

◘ Photo d’identité judiciaire d’Anne Mourraille (1913-1984) prise le 5 septembre 1941 (AD Bouches-du-Rhône) publiée dans Assassination in Vichy (G-Brunelle et A. Finley Crosswhite)

• Rendue à la vie civile, Anne Mourraille a repris sa carrière  théâtrale au sein de la Compagnie des Comédiens de Provence, une troupe qui se produit  à Marseille, Aix-en-Provence, Nice et Monte Carlo,  entre l’automne 1940 et le printemps 1941. Lors des premiers interrogatoires, face à Ludovic Guichard et Yves Moynier qui n’éprouvent aucun remord,  se présentent comme des « patriotes » ayant voulu accomplir un « acte de salubrité publique », Anne Mourraille met davantage l’accent sur son engagement  de mai – juin 1940 dans les sections sanitaires qui  lui a valu une   citation, mentionnée plus haut.  Le trio emprisonné, d’abord à la prison de Valence, puis à celle de Largentière sera  bientôt  rejoint par  Antoine Marchi, personnage avec lequel, comme le montrera l’enquête,  ils ont été en liaison à plusieurs reprises lors de la préparation de l’attentat.

•  ANTOINE MARCHI (1907-1954)
 « INDIVIDU PEU RECOMMANDABLE »

Antoine Marchi (le M… mentionné par le commissaire Chenevier dans ses mémoires) né le 26 avril  1907, à Rosazia,  en Corse,  a lui aussi fréquenté   les milieux d’extrême droite avant guerre. Après des études secondaires à Marseille, il a effectué une partie de son service militaire dans l’A.O.F., au Sénégal, en 1928-1929.  Engagé volontaire dans l’armée en 1931, il  avait le grade de lieutenant, lorsqu’il a  été mis en disponibilité en juillet 1939, par mesure disciplinaire, sans que l’on en sache plus.  Lors des combats de 1940, il  a fait partie des Corps Francs, comme Yves Moynier, et son comportement lui a valu la croix de guerre et plusieurs citations. Après avoir été fait prisonnier, il est parvenu à s’évader. Démobilisé avec  le grade de lieutenant de réserve, il a  aussi a fait partie des Groupements de Protection, dont il a été le chef pour Marseille, où s’était constitué l’un des groupes les plus importants.

• Sur une  photographie prise en décembre 1940 et publiée six ans plus tard par le magazine Qui?, on peut le voir portant le blouson de cuir avec brassard des GP, casque sur la tête, en train de serrer la main du maréchal Pétain, sous le regard de  Joseph Darnand, le futur chef de la Milice. Il a sous son contrôle le Centre d’information et d’études, et c’est lui, comme on l’a vu, qui a recruté Yves Moynier et Ludovic Guichard. Après un passage par l’Amicale de France, suite à la dissolution des GP, il est devenu au sein du PPF le responsable d’une véritable brigade de choc, servant à la fois de service d’ordre et pouvant intervenir dans des manifestations violentes. Dès son arrestation, il demandera à bénéficier du statut de détenu politique.

• “Exemplaire” sur le champ de bataille, Antoine Marchi l’est beaucoup moins dans sa vie civile. Selon les rapports de la police, il passe  pour « un individu peu recommandable, méchant et violent, fréquentant le milieu ». L’origine de ses revenus pose aussi question, d’autant qu’on le voit dépenser beaucoup d’agent, depuis son retour à la vie civile. À la mort de son père en 1941, il a hérité d’une propriété en Corse. Il se déclare, selon les époques, propriétaire agriculteur en Corse, exploitant également des terres à Marseille où il réside, ou encore commerçant.  Enfin, entre 1937 et 1939, plusieurs condamnations   inscrites à  son casier judiciaire lui ont valu des  séjours en prison, tantôt pour  menaces de mort, violences, port d’arme, escroquerie et autre usurpation de titres.  

QUI 19 decembre 1946 1 (2)

◘ Antoine Marchi (à droite) – Photo extraite du magazine Qui? (19 décembre 1946)

• Ce sont les aveux d’Anne Mourraille qui ont conduit le commissaire Chenevier à procéder à son arrestation, alors qu’il revenait de Corse: « Non seulement elle me précisa son rôle dans l’affaire mais elle me révéla certaines compromissions dans l’entourage de Pétain. C’est ainsi que je pus remonter jusqu’à  M…. (Marchi), le chef des groupes de protection du PPF (sic), mais aussi jusqu’à un proche collaborateur du Maréchal, Gabriel J…( Jeantet) ».  Autre information importante, celle fournie par Roger Mouraille, lors d’un interrogatoire par la police, le 14 février 1942 : « Marchi avait son portefeuille bien garniIl faisait souvent des voyages à Vichy et il m’a fait l’effet d’être un agent du gouvernement. J’en ai déduit que Marchi était une sorte d’agent de liaison entre certaines personnes de Vichy et le groupe dont faisait partie Moynier. À mon avis, Marchi était le chef. C’est ma nette impression ».

• Face aux questions du commissaire Chenevier, surtout lorsqu’il s’agit de savoir avec qui il aurait pu être en contact  dans les cercles du pouvoir à Vichy, Antoine Marchi  oppose à de nombreuses reprises un refus total de répondre. Lorsqu’il accepte, c’est pour nier en bloc : s’il reconnaît que les principaux acteurs de l’assassinat n’étaient pas des inconnus pour lui, il affirme qu’aucun d’eux n’a évoqué avec lui ce qui se tramait contre Dormoy. De même, s’il  connaît Gabriel Jeantet, autre ancien cagoulard, il nie lui avoir présenté Yves Moynier, tout comme il rejette l’idée qu’il ait pu en recevoir de l’argent. Ou encore  qu’il ait pu le rencontrer, après la mort de Dormoy, pour se plaindre que les garanties d’impunité  qui lui avaient été données ne soient pas respectées. Enfin, quand on évoque devant lui  Anne Mourraille, sa principale accusatrice, il affirme purement et simplement ne pas la connaître.

 

4 – UNE ENQUÊTE BOUCLÉE …

MAIS BEAUCOUP DE QUESTIONS EN SUSPENS

• L’enquête semble donc être bouclée, du moins en ce qui concerne l’identification des exécutants de l’assassinat de Marx Dormoy. Dans la dernière semaine d’août,  la plupart des journaux, en zone occupée comme en zone libre,  en publient des comptes rendus. Rédigés  dans des termes très proches les uns des autres,  ils comportent le détail des informations issues des interrogatoires. L’Action Française datée du 26 août 1941, explique ainsi la préparation et l’exécution de l’attentat: « Moynier indiqua que M. Marx Dormoy était surveillé dès le mois de juin par un nommé Ludovic Guichard. Lorsque les habitudes de la future victime furent parfaitement connues, Moynier, Vaillant, Guyon, Marbach et Guichard se rendirent à Lyon. Dans une ultime réunion, ils arrêtèrent la mise au point de leur acte criminel. Le 27 juillet (en réalité le 25, n.d.a), vers 20 h 30, alors que M. Dormoy était à table, Moynier et Vaillant se rendirent à l’hôtel du Relais de l’Empereur et pénétrèrent aussitôt dans sa chambre dont la porte n’était pas fermée à clef. Ils placèrent eux-mêmes la bombe dans le matelas, à hauteur de la tête du dormeur. Le soir même, les auteurs de cet attentat, afin de dépister (sic) les recherches, prirent le train pour Lyon et au cours de la nuit gagnèrent Marseille ».

• À la lecture de cet article, à l’image de nombreux autres, deux remarques s’imposent: Yves Moynier et Horace Vaillant sont clairement désignés comme les véritables « acteurs » de l’assassinat de Marx Dormoy et il n’est, pour l’instant,  aucunement question d’Anne Mourraille, que ce soit dans la préparation de l’attentat ou dans sa mise en œuvre.  Comme on l’a vu, c’est le jour même de la parution de cet article, que la police devait l’arrêter. Autre constat : la presse ne semble pas s’interroger sur l’existence d’éventuels intermédiaires entre « donneurs d’ordres » et « exécutants ». D’ailleurs, Yves Moynier lui-même n’affirme-t-il pas  que c’est bien  lui qui aurait eu  l’idée d’exécuter Marx Dormoy.

• Des déclarations qu’Anne Mourraille semble contredire lors d’un interrogatoire : « Mes amis Moynier, Guyon,  Vaillant, Guichard et Marbach étaient de grands patriotes, très antisémites et très anti Front populaires. Ils estimaient que c’était les gens d’extrême gauche qui étaient la cause  de la guerre, de notre défaite. Malgré tout, ajoute-t-elle je ne crois pas que ce soit Moynier qui ait été l’instigateur de l’attentat car, à plusieurs reprises, il m’a laissé entendre que lui et ses amis étaient commandés par un chef résidant à Vichy ou recevant ses directives de Vichy ». Ce mystérieux émissaire ou intermédiaire, elle affirme même l’avoir rencontré à Lyon, en juin 1941, alors qu’elle était en compagnie d’Yves Moynier et de ses complices: « J’avais compris  que c’était cet homme qui leur transmettait les ordres et  leur apportait de l’argent, afin de couvrir les frais de l’expédition ». C’est encore lui  qui, toujours selon ses propos,  aurait procuré à Yves Moynier la  fausse carte d’identité établie au nom de Florence Gérodias.

• Face aux enquêteurs qui lui présentent la photo d’un certain Antoine Marchi, elle affirme le reconnaître, ajoutant même avoir appris de ses complices que  Marchi qui  “est au courant de tout, se tient en relation avec Vichy”. Pour le commissaire Chenevier, il reste à mettre un nom sur le maillon manquant entre Marchi et Vichy. Lorsqu’on lui suggère celui de Gabriel Jeantet, Anne Mourraille reconnaît  avoir entendu parler par ses complices  d’une rencontre qui aurait eu lieu à Vichy entre Antoine Marchi et  Gabriel Jeantet « au sujet de l’affaire Dormoy, pendant les préparatifs de l’affaire ». Et d’ajouter aussitôt, comme pour mieux brouiller les pistes: « Je ne crois pas que Jeantet soit la seule personne au courant qui ait été vue par Marchi ». Toujours selon elle, au cas où la liquidation de l’ancien ministre de l’Intérieur serait un succès, on leur aurait promis en haut lieu, « un gros appui dans le cadre de la Révolution Nationale (…) leur permettant de poursuivre presque officiellement leur œuvre de nettoyage (sic) Ils auraient ainsi formé une sorte de groupement ou d’équipe qui aurait travaillé en relation avec le gouvernement ». 

• Or, si tant est qu’on puisse croire Anne Mourraille,  il semble bien que l’appui promis n’ait pas été au rendez-vous, devant les remous suscités par l’assassinat de Marx Dormoy, jusque dans les allées du pouvoir. De la bouche même d’Horace Vaillant, qu’elle dit avoir croisé à Marseille, le 8 août, elle affirme avoir appris qu’Antoine Marchi, qui se trouvait alors à Paris avec Roger Mouraille et Yves Moynier, « était très mécontent de l’attitude prise par les gens de Vichy qu’il connaissait, lesquels semblaient vouloir lui laisser  ainsi qu’à ses camarades, porter l’entière responsabilité  de l’affaire et ne leur donner aucun des avantages prévus ». Traduction: il n’aurait obtenu ni l’argent, ni les protections promises. Yves Moynier faisant figure de « maillon faible » en cas d’arrestation, il n’est pas impossible que ce voyage parisien ait eu aussi pour but de « l’exfiltrer » par un engagement dans la  LVF, la Légion des volontaires français contre le Bolchevisme, en cours de formation, ce qui l’aurait envoyé combattre sur le front russe. Un engagement qui n’a toutefois pas eu lieu.

• Après l’arrestation d’Antoine Marchi, le commissaire Chenevier comptait bien aller plus loin dans ses investigations, en s’intéressant plus particulièrement à Gabriel Jeantet: « J’interrogeai longuement Jeantet, mais l’entourage de Pétain s’étant ému devant la proportion que prenait cette affaire, fit mettre fin à une audition qui promettait d’être sensationnelle. Le gouvernement de Vichy se contenta  de révoquer ce “témoin” de ses importantes fonctions », écrit le commissaire dans ses mémoires. L’enquête n’ira donc pas plus  loin: « Je reçus l’ordre de Pucheu, le ministre de l’Intérieur de l’époque, de rendre mon dossier au juge d’instruction montilien et de réserver mon activité pour d’autres affaire ».

5 – LA RECONSTITUTION DE LA CHRONOLOGIE
DES  ÉVÉNEMENTS QUI ONT CONDUIT
À L’ASSASSINAT DE MARX DORMOY

• Les interrogatoires qui se succèdent pendant plusieurs mois permettent  de reconstituer  les différentes étapes de l’attentat contre Marx Dormoy, depuis les tout premiers  préparatifs et le recrutement des participants,  dès l’automne 1940,  jusqu’à la nuit tragique  du 25 au 26 juillet 1941.

OCTOBRE 1940 – MAI 1941

• C’est en octobre 1940, que se situerait la toute première rencontre entre  Anne Mourraille et Yves Moynier qu’elle avait déjà croisé aux Bains des Catalans à Marseille. Il lui aurait alors présenté Ludovic Guichard et quelques autres amis, dont Horace Vaillant et Lucien  Guyon. Tous comptaient alors  rejoindre les Groupes de protection, en cours de création à Vichy. En mai 1941, alors qu’elle revenait  d’une tournée en Suisse, Anne Mourraille  rencontre à nouveau Yves Moynier à Marseille. Cette fois-ci, il se fait un peu plus précis: “Un de ces jours, j’aurais besoin de toi. Il s’agira de me rendre un grand service”, lui aurait-il confié (Philippe Bourdrel, Les Cagoulards dans la guerre, ouvrage cité).

• Cette proposition, elle reconnaît l’avoir acceptée, partageant avec son interlocuteur  un  réel enthousiasme pour «l’ordre nouveau ». À cette date, il semble qu’Yves Moynier ait pris la décision (à moins qu’on ne  la lui ait suggérée) de monter une action contre Marx Dormoy, devenu une proie facile depuis son arrivée à Montélimar. C’est ce qui explique l’envoi de son complice, Ludovic Guichard, au Relais de l’empereur, début juin. Il doit y recueillir un maximum d’informations sur la vie et les habitudes de Marx Dormoy, afin de déterminer le meilleur moment pour agir. De retour de sa mission, il explique que l’ancien ministre semble manifester un attrait certain pour les femmes.

JUIN 1941

• Un mois plus tard, Anne Mourraille revoit Yves Moynier à Marseille où elle s’est rendue, après avoir pris connaissance  d’un télégramme qu’il lui avait envoyé entre le 15 et le 20 juin 1941. Cette fois-ci, il  lui détaille sa mission: elle devra «  épier les habitudes de Marx Dormoy, le séduire autant qu’il s’y prêtera et dans les limites qu’elle choisira, le faire sortir du Relais de l’Empereur, afin que les hommes du commando puissent lui asséner une distribution de coups ». Si l’on suit les affirmations d’Anne Mourraille, il n’y aurait donc pas eu, du moins au départ, la volonté d’éliminer physiquement Marx Dormoy. L’historien Philippe Bourdrel considère comme peu vraisemblable qu’Anne Mourraille  «  ne soit pas dores et déjà au courant de ce qui attend l’ancien ministre ».  D’autant que l’on ne voit guère la raison de monter une opération relativement  complexe contre l’ancien ministre pour lui administrer « une simple correction ». Ses quelques sorties en ville s’y  seraient aisément prêtées.

• Anne Mourraille  s’acquitte de sa mission entre le 20 juin  et la nuit du 22 au  23 juin 1941. En arrivant au Relais de l’empereur, elle s’est inscrite sous le nom de Florence Gérodias, mannequin, et elle justifie  son séjour montilien par la nécessité de se reposer des fatigues du métier. En l’envoyant « en mission » à Montélimar, Yves Moynier sait que Marx Dormoy, bien que célibataire, est très loin d’être  insensible au charme féminin. Dans la biographie qu’il lui a consacrée, André Touret rappelle que même à Montluçon, on ne l’ignorait pas. Lors du procès de la Cagoule en 1948, on pourra lire dans le journal L’Aurore (22 octobre  1948)  que  « Anne Mourraille joue les consolatrices auprès de cet homme exilé, tracassé, inquiet. Elle capte sa confiance, se loge à son étage »…

• Effectivement, dès le premier soir, du moins c’est ce qu’elle affirme, Marx Dormoy l’aurait remarquée : «  Le soir même, je l’ai vu et il n’a cessé de me regarder durant tout le repas, mais je ne lui ai pas parlé (…). Il m’avait fait dire par le garçon de service qu’il serait heureux de me rencontrer. Je me suis contentée de sourire ». Le même scénario, se serait reproduit le lendemain, toujours selon  les déclarations d’Anne Mourraille   Marx Dormoy se serait même invité  dans sa chambre, le 21 juin : « Il m’a fait signe de me taire, puis s’est assis sur mon lit. Il m’a demandé qui j’étais, d’où je venais  et il m’a proposé immédiatement d’avoir des  relations avec lui. Il a même tenté de relever ma robe. Je me suis défendue et il n’a pas insisté ». Après avoir repoussé ses avances, Anne Mourraille aurait continué à converser avec lui pendant une demi-heure, avant qu’elle ne finisse par l’éconduire, «  sous prétexte d’aller au cinéma ».

• Son premier passage par le Relais de l’empereur s’achèvera  vers 2 h 00 du matin, dans la nuit du 22 au 23 juin.  Anne Mourraille, qui considère qu’elle en sait suffisamment sur les faits et gestes de Marx Dormoy, quitte Montélimar. Elle  prétexte « une visite à sa mère malade » pour justifier son départ qui pouvait sembler un peu précipité. Elle se rend alors à Marseille pour y retrouver Yves Moynier. Sans doute s’agit-il de mettre au point les ultimes détails sur le mode opératoire de  l’attentat, au vu des dernières informations recueillies.  Le rôle d’Anne Mourraille aurait donc seulement consisté, dans un premier temps,  à observer les faits et gestes, les habitudes de Marx Dormoy et aussi  à  user de son charme pour “endormir” sa méfiance naturelle bien connue. Pour récolter encore quelques informations, Ludovic Guichard est de nouveau au Relais de l’Empereur, dans les premiers jours de juillet. Désormais l’opération qui vise à éliminer Marx Dormoy est prête : la date est arrêtée (25 juillet), ainsi que le mode opératoire (une bombe à retardement déposée sous son lit), out comme la composition du « commando ».

25 – 26 JUILLET 1941

• En croisant les différents interrogatoires menés par la police, on peut également reconstituer de manière précise  cette journée du 25 juillet 1941.  C’est vers 5 h 00 du matin qu’Anne Mourraille arrive par l’express de Nice à la gare de Montélimar.  Elle se rend ensuite au Relais de l’Empereur, où  toujours sous le nom de Florence Gérodias, elle demande une chambre, au deuxième étage expliquant au garçon qui était à l’accueil que lors de son premier séjour, on lui avait attribué une chambre du premier étage, qu’elle a jugée trop bruyante. Le rapport de police basé sur les témoignages recueillis auprès du personnel,  mentionne qu’elle portait alors « une jupe couleur coq de roche,  une chemisette bleu-marine et des sabots fantaisie sans lanière sur le talon ».

• Yves Moynier, Horace Vaillant et Maurice Marbach qui ont quitté  Marseille peu avant 1 h 00 du matin, à destination de Montélimar, arrivent à 4 h 30, en transportant avec eux, dans une mallette,  la bombe mise au point par Maurice Marbach. Ils prennent une chambre à l’hôtel de la place d’Armes où ils reçoivent la visite d’Anne Mourraille, peu après 10 h 00. L’entrevue au cours de laquelle on met au point les ultimes détails de l’opération dure plus d’une heure et c’est vers 12 h 15 qu’Anne Mourraille regagne le Relais de l’empereur pour y déjeuner. Un repas vite expédié puisque, selon les témoins, elle aurait quitté sa table une demi-heure plus tard, alors que Marx Dormoy, descendant de sa chambre, arrivait dans la salle de restauration.

• Ces mêmes  témoins affirment qu’elle est montée au deuxième étage où on l’apercevra accoudée à la fenêtre, près de la chambre occupée par l’ancien ministre. Il n’est pas impossible que ce soit à ce moment là qu’elle ait placé l’engin explosif, si tant est qu’on le lui ait bien remis le matin même. Toujours est-il que l’employé chargé de faire la chambre de Marx Dormoy affirmera avoir remarqué, en début d’après-midi “entre le matelas et le sommier, à la tête du lit un paquet de forme rectangulaire (…) dans un papier d’emballage de couleur grisâtre”. Prétextant la consigne formelle qu’avait donnée Marx Dormoy de ne toucher sous aucun motif à ses affaires, il n’en aurait parlé à personne. À ce stade, on peut toutefois objecter que la pose d’une bombe à retardement requérait sans doute des compétences techniques, notamment la vérification du réglage, qu’Anne Mourraille n’avait évidemment pas et qu’il était peut être imprudent de la placer  si tôt, pour une explosion prévue  en pleine nuit.

L'hôtel de la Place-d'armes où Anne Mourraille retrouve ses complices

◘ L’hôtel de la Place d’Armes 

• En milieu d’après-midi, vers 15 h 30, Anne Mourraille quitte à nouveau le Relais de l’empereur pour retrouver ses complices à l’Hôtel de la place d’armes, d’où elle ne reviendra qu’en fin de journée. Peu avant 20 h 00,  « Marx Dormoy l’aurait retrouvée avec plaisir et ils auraient dîné ensemble »  dans la salle du restaurant, notent les témoins. Un dîner interrompu peu après 20 h 30 par l’arrivée de deux hommes, dont l’un portait un bouquet de fleurs et un petit paquet ressemblant à une boîte de nougats. Dans le rapport de police, des témoins  mentionnent qu’ils avaient “ des allures de souteneurs” (sic).  Lors d’un interrogatoire, Yves Moynier donnera quelques précisions : « Dès notre arrivée, Vaillant a demandé à voir Mademoiselle Florence. Nous avons simulé la joie de nous retrouver, nous nous sommes embrassés (…). Après remise du bouquet, Florence a manifesté l’envie de m’offrir à son tour un cadeau. Ce qui nous permettait d’avoir un motif pour nous rendre dans les étages ». Il est alors 20 h 45 et, toujours selon la déposition d’Yves Moynier,  « pendant qu’Annie faisait le guet, Vaillant et moi nous sommes mis en devoir de placer l’engin. Pour cela, j’ai éventré le matelas à hauteur de la tête du lit et j’ai introduit l’explosif que Marbach avait préalablement réglé. L’opération n’a duré que quelques secondes et nous sommes allés dans la chambre d’Annie. Nous y sommes restés à peine 5 minutes, puis nous sommes descendus ».

• Les préparatifs achevés, il s’agit maintenant de quitter l’hôtel le plus rapidement possible, le mécanisme de la bombe étant réglé pour que l’explosion se produise vers 2 h 00 du matin, lorsque Marx Dormoy serait en plein sommeil. Il est 21 h30 lorsqu’Yves Moynier et Horace Vaillant quittent l’hôtel pour se rendre à la gare. Peu après, ils sont rejoints par Maurice Marbach, l’artificier du groupe qui était resté à l’hôtel de la Place d’Armes, puis par Anne Mourraille. Tous les quatre  prennent vers 22 h 30, le train à destination de Valence, où ils se séparent. Anne Mourraille poursuit le voyage vers Lyon, tandis que ses trois complices prennent le train en direction de Marseille. Vers 2 h 00 du matin, la bombe explose…Lors des premiers interrogatoires, Yves Moynier affirmera que c’est lui seul qui aurait eu  l’idée d’exécuter Marx Dormoy.

6 – LES SUSPECTS EN PRISON,
DE VALENCE À LARGENTIÈRE 
DANS L’ATTENTE D’UN PROCÈS… ÉVENTUEL

• En attendant que l’enquête et l’instruction  soient totalement bouclées et  débouchent sur un éventuel procès, se pose la question du sort des principaux suspects. Dans un premier temps,  ils ont été  conduits brièvement à la prison de Montélimar puis  à celle de Valence, où ils passeront près d’un an,  avant d’être écroués et mis au secret  à la maison d’arrêt de  Largentière, le 28 août 1942. De Montélimar à Largentière, la  détention  va donc durer près d’un an et demi pour Yves Moynier, pour Anne Mourraille et pour Ludovic Guichard, la perspective d’un  jugement semblant devenir de plus en plus lointaine.  À l’inverse, Antoine  Marchi a pu    bénéficier  d’une première mesure de remise en liberté au début de juillet 1942. Il est alors parti  pour  le front russe sous l’uniforme de volontaires français de la LVF. De retour en France, le 18 août, au terme de six semaines de combats, il a été à nouveau arrêté et réincarcéré. Le 15 septembre 1942, il finira par bénéficier d’une mesure d’élargissement, sur décision de la Chambre des mises en accusation de Grenoble.  Il peut ainsi quitter la prison, avant de s’évanouir dans la nature. 

• En commentant cette libération qui semble assez surprenante, Philippe Bourdrel (Les Cagoulards dans la guerre, ouvrage cité) parle de « conditions plutôt suspectes », y voyant à l’évidence  « des interventions officielles ». Pour le commissaire Chenevier, ce serait « sous la pression de Doriot » que Marchi « bénéficia d’une scandaleuse mise en liberté provisoire, malgré les charges très graves qui pesaient contre lui, en raison des aveux de ses complices ».  Autre libération, celle de Roger Mouraille, auquel on ne reproche guère que le recel de malfaiteur. Elle  intervient  en juin 1942, peu avant le transfert des trois autres détenus de Valence à Largentière.

La prison de Valence , premier lieu de détention

◘ La prison de Valence, premier lieu de détention

• Selon Jean-Marc Berlière (Les grandes affaires criminelles, ouvrage cité), cette longue détention avant jugement trouverait plusieurs explications. Au delà des nécessaires interrogatoires et confrontations, rendus plus  compliqués par la disparition d’Antoine Marchi, après sa remise en liberté, se pose la question du choix de la juridiction qui aura à juger l’affaire: « Tribunal d’état ou Cour d’assises », résume l’historien. Il semble que le procureur général de Grenoble penchait pour la première option, mais c’est le conseil des ministres qui va trancher en faveur de la cour d’assises. À travers ce choix, on entend donc faire de l’assassinat de Dormoy une affaire de droit commun et certainement pas une affaire d’état, qui aurait un tout autre écho. Il reste donc à fixer une date pour la tenue du procès, « après avoir examiné l’opportunité des circonstances et consulté, si besoin est, les services de (la) chancellerie », écrit le ministre de la justice, le 7 février 1942, dans une lettre adressée au procureur général de Grenoble.

• Dès leur incarcération à Valence, malgré leur mise au secret, Yves Moynier, Anne Mourraille et Ludovic Guichard, rejoints par Antoine Marchi,  sont parvenus à communiquer entre eux, d’abord pour se mettre d’accord sur les réponses à apporter aux questions qui pourraient leur être posées par le juge Marion ou le commissaire Chenevier. Marie-Thérèse Peyre, une sage-femme incarcérée en même temps qu’Anne Mourraille, témoignera que cette dernière  bafoue régulièrement  le règlement intérieur, échangeant paroles et petits papiers avec ses codétenus, quand il ne s’agit pas de lettres qu’elle réussit à faire  passer à l’extérieur, en contournant la surveillance de l’administration pénitentiaire. Le succès n’est toutefois  pas total puisque deux lettres seront interceptées, dont l’une adressée à sa mère, en septembre  1941.

• Anne Mourraille lui raconte qu’elle a été conduite  avec Yves Moynier à Montélimar pour une reconstitution. Elle revient sur son système de défense et elle lui explique s’être mise d’accord avec Yves Moynier, jusque dans les moindres détails, sur ce qu’il fallait répondre au juge. Elle semble confiante dans une remise en liberté provisoire qui pourrait intervenir sous un mois.  La même codétenue révélera qu’Anne Mourraille tient aussi un journal et qu’elle avait surpris une conversation entre l’actrice et Antoine Marchi. Ce dernier lui aurait dit qu’il fallait que ni elle, ni Yves Moynier n’avouent le connaître, lui promettant en contrepartie  une importante somme d’argent.

La prison de Largentière, second lieu de détention jusqu'au 23 janvier 1943

◘ La prison de Largentière, dernier lieu de détention jusqu’au 23 janvier 1943

• Les mois passant,  l’incarcération se révèle de plus en plus pesante pour Anne Mourraille. Par différents courriers, dont un curieusement signé « Morène » (son nom de scène) adressé le 28 septembre 1941 au docteur Pierre Faraut, Anne Mourraille  sollicite son intervention. Ancien membre de l’Action Française, il a été avant guerre le « grand maître » des « Chevaliers du glaive », une  ramification de la Cagoule en région niçoise. Elle  réclame qu’on lui applique le  bénéfice du  régime particulier attaché aux détenus politiques car, à ses yeux,  l’assassinat de Marx Dormoy est bien un acte politique. Elle songe aussi à  se tourner vers Eugène Deloncle, lui-même, l’ancien chef cagoulard et  fondateur du MSR (Mouvement Social Révolutionnaire), un des principaux  partis collaborationnistes. Quel que soit le résultat, elle veut encore croire en une possible remise en liberté provisoire : « Je vous prie de faire tout ce qui vous sera possible », écrit-elle au Docteur Faraut, avant de l’interroger : « Les Allemands ne peuvent-ils rien faire ? ». En conclusion, elle lui confie  que malgré tout  « le moral est bon », avant de clore sa lettre  par un vibrant « Vive la Révolution nationale ! ».

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◘ Une autre vue de la prison de Largentière dont les cellules se trouvaient au rez-de-chaussée

• Cette lettre ayant été interceptée vaudra au docteur Faraut d’être à son tour  interrogé. Après avoir affirmé qu’il avait abandonné toute activité politique, il niera connaître Annie Mourraille, reconnaissant simplement l’avoir vue jouer dans Britannicus, à Nice,  durant l’été 1941. Deux affirmations qui sont très loin de la vérité et qui peinent à convaincre les enquêteurs. Et de se dire outré qu’elle ait osé s’adresser à lui pour obtenir de l’aide, ajoutant que c’était « une femme qui avait une trop haute idée d’elle-même ».

• D’autres lettres vont arriver à Vichy,  adressées au ministre de la justice, Joseph Barthélémy, ou encore  à Gabriel Jeantet. Le 24 octobre 1941, c’est Ludovic Guichard qui prend la plume pour s’adresser au docteur Bernard Ménétrel, conseiller privé du maréchal Pétain auquel on prête une importante influence. Il  lui demande d’intervenir pour sa libération. Le même docteur Ménétrel  se retrouve sollicité par l’épouse de Ludovic Guichard, le 21 novembre suivant. Elle lui demande de faire le nécessaire  auprès de Pierre Laval pour qu’il recouvre sa liberté.

• Jean-Raymond Tournoux (L’histoire secrète, ouvrage cité), raconte que dans ses carnets, Anne Mourraille se plaint par ailleurs   de n’avoir plus de présence masculine, depuis de longs mois, laissant entendre qu’elle aurait eu de nombreuses aventures galantes : « Mon avocat est venu me voir, écrit-elle. Je le regardais dans le parloir avec ses tempes argentées, son long visage un peu doré, j’avais une envie folle d’être caressée. Hélas, il m’a dit quelques paroles gentilles et puis il est parti. C’est dur à supporter un jeûne de six mois. Qu’il est difficile d’être ainsi en contact avec un beau garçon lorsque dans sa vie on a tant aimé les beaux hommes ».  C’est en prison que  vont se  renforce ses liens avec Yves Moynier, ce qui aboutira à leur mariage en août 1943 : « Pour la première fois, j’ai revu Yves, confie-t-elle à ses carnets (…). J’avais rêvé de lui la nuit dernière et cela m’avait été insupportable Je m’étais levée avec un immense cafard. Et puis, dans le couloir, je l’ai aperçu. Il était un peu pâle. Il m’a souri. Et puis on nous a séparés ».

• Dans son livre Chronique de la résistance (édition Omnibus), Alain Guérin résume l’état d’esprit des détenus en général et d’Anne Mourraille en particulier: « Estimant, non sans quelque logique, que leur détention est une hypocrite anomalie, ils mènent grand tapage et bombardent les autorités de lettres de protestation (…).Ces lettres, écrit-il,  sont intéressantes sur ce que les assassins y disent d’eux-mêmes et sur leurs mobiles. Sous leurs plumes, leur crime devient “l’affaire du traître Dormoy”, “saboteur de la Révolution nationale”. Ils se présentent eux-mêmes comme des “révolutionnaires nationaux”, des “partisans de la Révolution nationale et de la collaboration”, des “patriotes toujours ”, qui assurent les autorités de leur “indéfectible dévouement à la Révolution nationale systématiquement sabotée par les juifs, les francs-maçons et les communistes». Quant aux relations qu’entretient Anne Mourraille avec l’administration de la prison de Largentière  et avec  les gardiens, qu’elle traite avec une certaine arrogance de « gaullistes », elles   sont particulièrement mauvaises.

Lettre d’Anne Mourraille à Pierre Laval (26 mai 1942), revenu au pouvoir (Document transmis par M. J-L Rozoux)

• De son côté, Yves Moynier qui avait beaucoup espéré du retour de Pierre Laval au pouvoir, en avril 1942,  se démène aussi, adressant des courriers au juge d’instruction ou aux autorités à Vichy. Il supporte de plus en plus mal son incarcération et son état physique et psychologique s’est sérieusement dégradé. Le 31 mai 1942, au cours d’une violente crise de nerfs, il a brisé les meubles de sa cellule et a même tenté de mettre fin à ses jours. Dans une lettre envoyée  peu après au ministre de la justice, il menace de faire la grève de la faim, si d’ici le 15 juin l’instruction n’est pas close. Dans des courriers  au juge Marion, il accuse le magistrat de vouloir sa mort en le poussant à bout par son maintien à l’isolement et au secret. Parfois, le ton se fait même menaçant à son encontre. Roger Mourraille, lui, continue à clamer son innocence dans ses lettres. À ses yeux, son seul crime étant d’avoir voulu héberger un ami, il s’étonne de ne pas avoir été remis en liberté. Finalement, il pourra quitter la prison  en juin 1942.

• La presse collaborationniste semble, elle aussi, les avoir oubliés et rares sont les publications qui  évoquent leur devenir depuis leur arrestation. L’hebdomadaire Je suis partout (27 novembre 1942), selon lequel leur seul tort  serait d’avoir commis « un crime d’impatience », fait  figure d’exception. Après avoir rappelé leurs brillants états de service entre septembre 1939 et juin 1940 et les décorations qu’ils ont reçues, l’article s’appesantit sur leurs conditions de détention, jugées inhumaines : «Leur détention devait être marquée par une rigueur inaccoutumée. Subissant le régime de droit commun, les inculpés demeuraient onze mois au secret. Seuls dans leur cellule, passant sans chauffage un hiver où la température atteignait parfois 20° au dessous de zéro, nourris de pain sec comme ce fut le cas pour (Roger) Mouraille pendant quinze jours parce qu’il avait tenté de passer une lettre à Moynier. Pourtant les autres prisonniers étaient chauffés et leur régime alimentaire convenable. Anne Mourraille malgré son héroïque passé était mêlée aux prostituées de la prison ». Je suis partout déplore, au passage,   la lenteur de la justice.

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Joseph Barthélémy

• Au moment de l’invasion de la Zone libre, le 11 novembre 1942, soit près de 16 mois après l’assassinat de Marx Dormoy, alors que l’instruction est pratiquement close, le procès n’a donc  toujours pas eu lieu, au grand dam de Jeanne Dormoy et de son avocat, André Blumel. Pierre Laval en personne n’aurait pas été étranger à ce peu d’empressement de la justice. Selon les déclarations du secrétaire général à la justice, Georges Dayras (1894-1968), face au ministre de la justice,  Joseph Barthélémy, qui souhaitait la comparution des assassins en cour d’assises, Pierre Laval aurait répondu que « la France (était) encore trop malade pour supporter un procès pareil ». Quelque temps après, selon Philippe Bourdrel, le même Pierre Laval aurait téléphoné à Joseph Barthélémy, lui demandant « Au juste, où sont vos prisonniers? » Le ministre lui aurait alors répondu  qu’ils se trouvaient à Largentière, Ce qui aurait conduit Pierre Laval à conclure: « Et bien, laissez-les y »…Il était donc urgent d’attendre…

• Entre temps, face à un procès qui ne vient pas, du côté des proches de Marx Dormoy et notamment  de sa sœur Jeanne et de son avocat, on se montre inquiet d’une possible évasion des détenus de la prison de Largentière. Des craintes qui sont effectivement justifiées. Le 19 octobre 1942,   bénéficiant d’une complicité extérieure, Yves Moynier, Ludovic Guichard et Anne Mourraille, ont bien tenté de s’évader, après qu’on leur eut lancé de l’extérieur de l’enceinte une corde et un sac contenant des vêtements de rechange. L’enquête conclura que cette aide pourrait bien provenir de Roger Mouraille. Libéré quatre mois auparavant. Il est probable qu’il attendait les évadés avec une automobile. Deux jours plus tard, Yves Moynier décide d’écrire à Pierre Laval, en personne : « En mon nom et au nom de mes camarades encore impliqués dans l’affaire du traître Dormoy, saboteur de la Révolution Nationale, maintenant que nous avons réussi à percer l’étouffement de notre affaire, j’ai l’honneur de vous demander d’user de votre haute autorité pour qu’une décision soit enfin prise envers les révolutionnaires nationaux que nous sommes qui, comme vous-mêmes, Monsieur le Ministre, ont tant souffert physiquement pour le relèvement de leur pays et l’œuvre de rénovation nationale ».

• Il est vrai que la tentative d’évasion des trois détenus  avait conduit l’administration pénitentiaire à renforcer, au moins provisoirement, la surveillance et à durcir le régime cellulaire.  Ils se plaignent aussi  de ne plus recevoir de colis de ravitaillement et ils en arrivent à considérer que  le régime qu’on leur applique équivaut à  une longue « tentative d’assassinat, avec préméditation ». En même temps, ils n’hésitent pas à dénoncer l’attitude de la femme du gardien-chef Didelot qui, selon eux,  servait le café à tous les détenus « gaullistes », après l’annonce du débarquement des Alliés en Afrique du Nord, À leurs yeux, Didelot, qui avait été expulsé  après l’annexion de l’Alsace et de la  Lorraine est lui-même un gaulliste convaincu, au même titre que d’autres gardiens, dont un certain Pons. Une affirmation qui semble avérée : « Le règlement pénitentiaire est appliqué à tous ; mais les gaullistes bénéficient largement de tous les adoucissements permis », écrit L-F Ducrot dans son livre Montagnes ardéchoises dans la guerre (Tome II).

• Le même auteur évoque aussi les tentatives faites par un représentant du P.P.F, de « la bande à Sabiani » de Marseille pour corrompre un gardien, Félix Martinetti, afin qu’il facilite l’évasion des trois détenus.  On serait allé jusqu’à lui promettre deux millions de francs. Intimidations et menaces sont aussi de mise : Le 30 octobre 1942, le Gardien-chef Didelot reçoit ainsi  une lettre de menaces anonyme, postée à Marseille  « pour empêcher que soient assassinés ou maltraités nos amis… Nous espérons ne pas avoir à prendre des mesures qui pourraient vous être fatales ».

• Pourtant, l’administration pénitentiaire avait accepté de faire un geste, avant la tentative d’évasion, en améliorant les conditions de détention, avec la levée de la mise au secret, demandée le 10 septembre 1942 par le procureur général  de Nîmes au directeur de la prison de Largentière. Dans le prolongement de cet allègement, Anne Mourraille et Yves Moynier que leur parcours depuis Montélimar avait beaucoup rapprochés avaient fini par obtenir en décembre 1942  l’autorisation de se marier en prison. Leur libération, le 23 janvier 1943 retardera le mariage qui ne sera célébré que sept mois plus tard, à la mairie de Gattières.

7- ANNIE MOURRAILLE, YVES MOYNIER ET LUDOVIC GUICHARD
LIBÉRÉS PAR LES ALLEMANDS
(JANVIER 1943)

• Si rien n’est à attendre du côté de l’État français,  l’ultime espoir des détenus réside donc dans une intervention allemande.  L’épouse de Ludovic Guichard, dans une lettre envoyée dans les tout premiers jours de janvier 1943 au gardien chef  Didelot, laisse entendre qu’un dénouement est proche : « On a essayé d’arranger les choses à l’amiable. Si le Gouvernement ne veut pas comprendre on arrangera la chose, c’est d’ailleurs ce qui va se passer… Ces jours-ci vous aurez la visite de personnages officiels, si ce n’est déjà fait ». C’est effectivement les Allemands qui vont  procéder  à leur libération de la prison de Largentière. Le 5 janvier 1943,  un lieutenant  allemand, accompagné par un soldat et un interprète,  était déjà venu à Largentière. En arguant  d’un ordre qui émanerait des autorités de Vichy, ils se disait chargé de  procéder à un interrogatoire des trois prisonniers au sujet d’attentats commis à Paris contre les troupes d’occupation. L’officier exige  qu’Yves Moynier, Ludovic Guichard et Anne Mourraille lui soient remis immédiatement. Ce que le directeur de la prison, tout comme le gardien chef Didelot et d’autres gardiens refusent, se disant prêts à riposter à toute action violente.  Ce refus et le  départ de l’officier allemands vont provoquer  des réactions violentes  des détenus, entre insultes et nouvelles  menaces de représailles contre le personnel.

• Ce n’était que partie remise. Le 23 janvier 1943, en milieu d’après-midi, un détachement d’une   quinzaine de militaires allemands, lourdement armés et munis de grenades d’assaut, accompagnés de  trois civils, arrivent à Largentière, dans trois véhicules, dont deux camions militaires. Le groupe est commandé par Hugo Geissler (1908-1944) en personne. À cette date, il était à la tête de la  SIPO-SD (Gestapo) à Vichy, avec autorité sur l’ensemble de l’Auvergne et du Bourbonnais, en charge de la répression contre les actions de la résistance. À ses côtés, figure Georges  Batissier, alias capitaine Schmidt (1909-1946), un policier qui s’est mis au service de la gestapo et qui a hérité du surnom de “terreur de l’Allier » en raison de sa cruauté. C’est ce même duo Geissler – Batissier qui procédera, le 11 novembre 1943, à l’arrestation du commissaire Chenevier pour ses activités antiallemandes, prélude à sa déportation au camp de concentration de  Neuengamme, le  28 juillet 1944.

•  Dans un premier temps, l’officier allemand qui parle  le français demande à visiter la prison, ce que  le gardien chef Didelot refuse, tout en exigeant un ordre écrit. La réaction des Allemands ne se fait pas attendre : ils menacent de faire sauter la porte de la prison et d’exercer des représailles à l’encontre du personnel pénitentiaire et du gardien-chef. Ce dernier prend alors contact avec sa hiérarchie et sa demande remonte jusqu’au ministère de la justice à Vichy. Entre temps, le procureur de l’État français a été conduit  de force à la prison pour qu’il ordonne la libération d’Anne Mourraille, d’Yves Moynier et de Ludovic Guichard. Finalement, on apprendra que c’était Joseph Barthélémy, le ministre de la justice en personne, qui avait autorisé verbalement les Allemands à se rendre à Largentière, à y rencontrer les trois détenus… et à les libérer, s’ils le voulaient. Une responsabilité  qu’il cherchera toutefois à minimiser après la guerre, en renvoyant la décision à Pierre Laval lui-même.  Lorsque  le directeur des Services pénitentiaires de Nîmes, qui veut éviter une effusion de sang inutile lui donne l’ordre d’ouvrir les portes de la prison, Didelot ne peut donc que se soumettre à son ministère de tutelle. Il était temps, les Allemands s’apprêtant à faire sauter le mur de la prison.

• Une fois à l’intérieur, après avoir désarmé les gardiens, ils se font conduire dans les cellules où les attendent Yves Moynier,  Ludovic Guichard et Anne Mourraille. Sitôt libérés, les deux premiers montent à bord d’un des camions militaires tandis qu’Anne Mourraille prend place dans le véhicule Mercedes, aux côtés  d’Hugo Geissler: « Ces trois personnes qui paraissent satisfaites(sic) ont été placées dans des voitures qui sont reparties dans la direction d’Aubenas, par le chemin départemental n°103. Il n’a pas été possible de déterminer à quelle unité appartenaient les militaires allemands, ni la la nationalité des trois civils qui les accompagnaient » peut-on lire  dans le  rapport officiel établi pour la circonstance.  Quant à la  brigade de gendarmerie de Largentière, qui avait été contactée par le directeur de la prison, elle avait jugé plus prudent de ne pas intervenir. À cette date, il ne reste donc en prison plus  aucun des participants à l’assassinat de Marx Dormoy.

V – QUI A DÉCIDÉ DE L’ASSASSINAT DE DORMOY ?

LES DIFFÉRENTES PISTES

 • Sur l’assassinat de Dormoy, il reste donc un dernier point à examiner : derrière des “exécutants” parfaitement identifiés, y a-t-il eu un ou  des « commanditaires » et, dans l’affirmative, qui peuvent-ils être ? Plusieurs hypothèses, avec parfois des acteurs qui s’entrecroisent de l’une à l’autre, ont été avancées, entre des pistes françaises et une piste allemande.

•  L’HYPOTHÈSE D’UN ACTE ISOLÉ
D’ACTIVISTES D’EXTRÊME DROITE ?

• Il paraît peu probable que l’assassinat ait été décidé par un petit groupe d’hommes isolés, même s’ils nourrissaient une véritable haine contre la République, contre Marx Dormoy et contre le Front populaire, considérés comme les responsables de l’effondrement du pays. On a vu la version d’Yves Moynier, lors de ses premiers interrogatoires, affirmant que c’est lui qui aurait  conçu l’ensemble du projet visant à éliminer Marx Dormoy, entraînant avec lui ses camarades de combat. Une version à laquelle Anne Mourraille, de son côté, ne souscrivait pas, tout au moins dans certaines de ses déclarations.  Il fallait des moyens logistiques et financiers pour monter l’opération. Anne Mourraille, elle-même reconnaît avoir croisé ou entendu parler de personnages qu’elle présente comme des « donneurs d’ordre ». Le  groupe, dont les principaux membres ont fait partie des Groupes de protection, a probablement été “ manipulé” et on peut écarter, d’emblée, l’idée qu’il ait pu agir de sa propre initiative. Il reste à savoir  quels ont pu être les  véritables initiateurs de l’assassinat.

• Il n’en reste pas moins que cette théorie d’un groupe qui aurait  agi de son propre chef a pu trouver quelques défenseurs. C’est le cas de Marcel Déat qui écrit dans ses Mémoires politiques : « Beaucoup plus tard, je devais avoir des indications sur les meurtriers de Dormoy. C’était de jeunes cervelles faussées et surchauffées, comme on pouvait s’y attendre. Ils avaient cru faire un coup magnifique et je ne doute pas qu’ils furent surpris de ne pas en être davantage félicités ».

•  L’HYPOTHÈSE D’UN ASSASSINAT COMMANDITÉ
EN HAUT LIEU PAR « VICHY » ?

• Imputer le crime directement au régime de l’État Français et imaginer que la décision ait été prise en haut lieu, à Vichy, dans le secret d’un  cabinet ministériel, paraît aussi peu vraisemblable, d’autant plus que le déclenchement de l’enquête a été rapide. Elle a même été confiée à un excellent policier, Charles Chenevier, auquel on a donné, dans un premier temps,  les moyens de mener les investigations nécessaires « jusqu’où il jugerait nécessaire de les mener », selon ses propres propos rapportés dans ses Mémoires.  À aucun moment, celui-ci ne s’est plaint d’une quelconque entrave à son enquête. Le juge Marion a pu lui aussi interroger les suspects et leur poser toutes les questions qu’il souhaitait, comme en attestent les comptes-rendus des interrogatoires. Ce qui n’exempte pas le gouvernement de toute responsabilité, et notamment le ministre de l’intérieur Pierre Pucheu, qui fut membre du PPF de Jacques Doriot et qui voyait en Marx Dormoy « une canaille ».

•  À l’évidence, s’il y a bien une responsabilité directe indiscutable de la part du gouvernement, elle est ailleurs: on n’a pas fait tout ce qu’il aurait fallu pour assurer une réelle protection de l’ancien ministre, dès lors qu’il était sous le statut de la “ résidence forcée”. Or Marx Dormoy, compte tenu de son passé politique, de sa fonction de ministre de l’Intérieur sous le Front populaire et de la lutte qu’il avait menée contre la Cagoule, était une cible potentielle qui pouvait cristalliser sur lui bien des haines. Il se savait d’ailleurs directement menacé. On comprend, comme le rappelle  André Touret,  qu’après la mort de Marx Dormoy « le gouvernement siégeant à Vichy se montra apparemment embarrassé ». L’historien ajoute que « même si Vichy n’a pas commandité l’assassinat de Dormoy, on n’a pas pris toutes les mesures de protection qui s’imposaient et on a, au moins par négligence, si ce n’est  par complicité, livré Dormoy sans défense à la vindicte de  ses ennemis qui s’étaient jurés d’avoir sa peau ». Un gouvernement responsable donc, mais pas coupable, serait-on tenté de dire. Une fois écartées la piste de l’acte isolé d’un groupe d’exaltés et celle d’une décision gouvernementale, quelles sont les trois  hypothèses plausibles ?

•  L’HYPOTHÈSE D’UNE  VENGEANCE
DE L’ANCIENNE CAGOULE …

• La première hypothèse, celle qui a été privilégiée dès le départ et qui le sera aussi lors du procès de 1948,  renvoie aux milieux de la Cagoule, l’organisation terroriste d’extrême droite démantelée en novembre 1937, alors que Marx Dormoy était ministre de l’Intérieur. Dès le 28 juillet 1941,  le journal France, publié à Londres par la France libre, considérait que le crime était signé, renvoyant aux « hommes de main de la Cagoule qui, avec le concours des nazis, ont exercé des représailles, supprimé l’ancien ministre qui connaissait tous leurs secrets ». Il est vrai que beaucoup d’anciens Cagoulards, actifs ou sympathisants,  gravitent autour d’Yves Moynier, de Ludovic Guichard ou d’Anne Mourraille. Que ce soit Gabriel Jeantet ou même François Méténier présentés comme autant  d’hypothétiques intermédiaires ou donneurs d’ordre.

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Eugène Deloncle

• On constate que lorsqu’ils se morfondent en prison, les accusés tentent d’obtenir l’appui d’Eugène Deloncle, reconverti en fondateur du MSR, parti collaborationniste. Anne Mourraille sollicite le docteur Faraut, un ex-responsable de la Cagoule dans la région de Nice. Une fois libéré, le couple Moynier-Mourraille fréquentera même le domicile parisien d’Eugène Deloncle, comme en atteste  Lucien Fromes, un proche de Deloncle, qui travaille comme traducteur auprès de l’Abwehr (les services de renseignement de l’armée allemande). Il affirme que Deloncle lui aurait même tenu ces propos: « Voulez-vous que je vous présente Annie Mourraille, la femme qui était dans la combine du meurtre de Dormoy? ».

• Dans ses interrogatoires, Anne Mourraille en personne a évoqué cette piste. C’est ainsi qu’après avoir qualifié ses « amis Moynier, Guyon, Vaillant, Guichard et Marbach (de) grands patriotes, très antisémites et très anti-Front populaire », elle ajoute : « Je ne crois pas que ce soit Moynier qui ait été l’instigateur de l’attentat car, à plusieurs reprises, il m’a laissé entendre que lui et ses amis étaient commandés par un chef résidant à Vichy ou recevant ses directives de Vichy  (…). J’ai d’ailleurs vu cet homme à Lyon, lorsqu’au mois de juin, j’ai retrouvé Moynier et ses amis. Il est venu à la brasserie Georges et je lui ai été présentée ». Dans la suite de l’interrogatoire, elle explique avoir appris que « c’était cet homme qui leur transmettait les ordres et leur apportait de l’argent afin de couvrir les frais de l’expédition ». Au passage, elle dit avoir entendu parler d’une somme de 40 000 francs. C’est également lui qui aurait fourni la fausse carte d’identité au nom de Florence Gérodias, avec le cachet « Sûreté nationale Vichy ».

• Lorsque les enquêteurs lui présentent une photo d’Antoine Marchi, elle affirme le reconnaître « quoiqu’il avait une tenue plus convenable et un aspect plus correct ». Yves Moynier lui aurait même confié que Marchi « est au courant de tout ».Tout en reconnaissant avoir su qu’il y avait un intermédiaire entre « (s)es camarades et certaines personnes de Vichy », Anne Mourraille explique avoir ignoré qui était cet intermédiaire. Lorsqu’on évoque « le nommé Jeantet », elle répond en avoir effectivement entendu parler, mentionnant une entrevue entre Marchi et Jeantet « au sujet de l’affaire Dormoy, pendant les préparatifs de l’affaire ». Toutefois, elle dit ne pas croire que « Jeantet soit la seule personne au courant et qui ait été vue par Marchi : « On avait dû (…) promettre à Marchi un gros appui dans le cadre de la Révolution nationale en cas de réussite de l’affaire Dormoy.

• Cet appui aurait été un appui matériel leur permettant de poursuivre, presque officiellement leur œuvre de nettoyage (sic) ». Elle rapporte aussi que c’est le même Marchi qui aurait convaincu Maurice Marbach, l’artificier du groupe, de les accompagner à Montélimar, le 25 juillet.  Le rôle d’intermédiaire d’Antoine Marchi est également mentionné par Ludovic Guichard qui explique  que c’est à sa demande qu’il s’est rendu à Montélimar en juin 1941 pour épier les faits et gestes de Marx Dormoy. Si les affirmations d’Anne Mourraille conduisant vers une piste Marchi – Jeantet, donc vers les milieux de l’ancienne Cagoule peuvent paraître convaincantes, il n’en reste pas moins que lors d’une confrontation avec Antoine Marchi, en août 1942, Anne Mourraille reviendra sur ses déclarations.

• Un dernier indice peut aussi orienter vers l’ancienne Cagoule. Entre le 7 et 14 août 1941, Antoine Marchi, accompagné de Roger Mouraille et d’Yves Moynier, s’est rendu à Paris. S’il semble que Moynier soit venu se renseigner sur un éventuel engagement dans la LVF (Légion des volontaires français contre le bolchevisme), ce qui aurait permis de l’exfiltrer vers le front russe, Antoine Marchi serait venu dans la capitale pour s’y plaindre, auprès d’Eugène Deloncle et peut-être aussi auprès de Jacques Doriot, chef du PPF. Il déplorait  à la fois la tournure que risquait de prendre l’enquête et le fait que les garanties données en haut lieu d’une certaine impunité ne soient plus respectées. Autant de  considérations qu’Antoine Marchi balaiera devant le juge Marion, le 1er octobre 1941, en les  qualifiant de « roman ».

•  L’HYPOTHÈSE D’UNE VENGEANCE
DE JACQUES DORIOT ET DU P.P.F.

• Une autre hypothèse, elle aussi souvent mise en avant, renvoie à Jacques Doriot et au Parti Populaire français. C’est d’ailleurs à cette thèse que se ralliait le ministre de l’Intérieur, Pierre Pucheu. Il est vrai qu’elle avait l’avantage de dédouaner totalement  des personnalités figurant dans l’entourage du maréchal Pétain. Examinons-la en partant d’un premier constat : plusieurs des protagonistes de l’assassinat ont gravité autour du PPF ou y ont même adhéré, à commencer par Yves Moynier, et plusieurs ont navigué entre Cagoule avant guerre et PPF au début des années 1940…  On se souvient qu’en 1937, suite à  une enquête administrative diligentée par le ministère de l’Intérieur, la gestion de la commune de  Saint-Denis avait été  invalidée, des irrégularités ayant été constatées. Cette gestion avait été dénoncée notamment par le parti communiste, désireux d’extirper Jacques Doriot de son bastion dionysien.  Marx Dormoy avait alors quelque peu tergiversé, en traînant des pieds, ne souhaitant pas donner l’image d’un ministre cédant face aux injonctions communistes.

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Jacques Doriot

• Le 25 mai 1937,  il avait toutefois fini par signer l’arrêté de révocation de Doriot, celui-ci restant conseiller municipal. Doriot avait alors décidé de démissionner pour prendre la tête de la liste PPF. Lors des élections municipales partielles, il avait été battu par la liste des candidats communistes. Peu après, il avait également perdu son mandat de député, selon le même scénario que celui des municipales. C’est cette décision d’invalidation  qui aurait fait  naître en lui une haine farouche à l’encontre de Marx Dormoy.  Commence alors pour Jacques Doriot  une dérive complète  « vers le fascisme mussolinien,  vers Franco, puis vers le nazisme, notamment à travers les retombées de la guerre d’Espagne qui le conduisent à prendre position contre  ses anciens camarades et leurs alliés », écrit Philippe Robrieux (Histoire intérieure du parti communiste –Tome IV, éditions Fayard, 1984). Jacques Doriot  bascule ensuite dans la collaboration, après avoir commencé par soutenir la politique de  Révolution Nationale  du maréchal Pétain. En août 1941, à la suite à l’invasion de l’URSS par l’Allemagne qui a commencé deux mois plus tôt, il figure parmi les fondateurs de la Légion des Volontaires français contre le bolchevisme.

• Si l’implication de Doriot et du PPF dans l’assassinat de Marx Dormoy, n’a jamais été totalement démontrée, on peut toutefois rappeler les menaces proférées par Jacques Doriot, devant témoins, le 10 juillet 1940, à Vichy : «  Nous aurons ta peau, tu entends, Dormoy, ça ne tardera pas ! »  Philippe Bourdrel (Les Cagoulards dans la guerre) en conclut  que  « Les plus fortes présomptions conduisent vers les anciens de la Cagoule, sans que l’on puisse exclure l’hypothèse d’une intervention des amis de Jacques Doriot, voire de Jacques Doriot lui-même ». Une hypothèse qu’avait soutenue Victor Barthélémy, ancien secrétaire général du bureau politique du P.P.F. En 1970, face au même  historien  il avait déclaré de manière péremptoire: «  C’est le P.P.F. qui fut à l’origine de la mort de Marx Dormoy ».

• Victor Barthélémy reviendra sur la question  dans ses mémoires publiés en 1978 (Du communisme au fascisme, histoire d’un engagement politique). Il y écrit que la nouvelle de la mort de Marx Dormoy « n’engendra pas beaucoup de manifestations de regret, ni à la direction du P.P.F., ni parmi les partisans de la Révolution nationale et de la collaboration (…). On n’oubliait pas  au P.P.F. que Dormoy s’était révélé  un ennemi acharné du parti en 1936 et 1937 et qu’il n’avait pas hésité à révoquer Doriot  de ses fonctions de maire de Saint-Denis ». Il mentionne également une conversation avec Pierre Pucheu, ministre de l’intérieur, mais aussi membre du P.P.F. Celui-ci lui aurait dit, dans la deuxième quinzaine de septembre 1941 : « Il est aussi une autre tentation contre laquelle je tiens à te mettre en garde (…). Celle du terrorisme. Là aussi, vous n’êtes plus des apprentis. Vous avez fait assassiner Dormoy (…). Je sais que c’est Jacques (Doriot) lui-même qui a donné l’ordre de cet assassinat, fin juin, à Lyon, au cours d’une réunion privée ». Cette réunion se serait tenue en marge  du congrès du P.P.F. de la zone Libre, tenu à Lyon – Villeurbanne, les 20, 21 et 22 juin 1941 et au cours duquel il avait été décidé d’unifier la direction du P.P.F. à Paris. Cette affirmation, Victor Barthélémy dit l’avoir alors contestée, arguant du fait que ce jour-là  il n’avait « pour ainsi dire pas quitté Jacques » (Doriot) et qu’il n’avait « jamais entendu parler de cela »..Jean-Paul Brunet, dans la biographie qu’il a consacrée à Jacques Doriot considère que l’assassinat de Marx Dormoy « doit être imputé à la Cagoule » mais il ajoute toutefois que « sur le moment, des responsables du P.P.F. (…) le revendiquaient pratiquement comme l’œuvre du parti ».

 • Cette implication, réelle ou supposée,   du P.P.F. et de Jacques Doriot, débouche sur une autre piste des plus étonnantes : celle de l’existence d’une deuxième équipe de tueurs et d’une deuxième bombe. Elle repose sur un rapport adressé en septembre 1944 au Deuxième bureau par un  ex-adjudant-chef de la L.V.F.  Il y est fait état  d’une conversation, dont l’auteur du rapport aurait été témoin, entre un certain  sergent Delerse et Jacques Doriot, en personne, alors que ce dernier était venu sur le front russe où combattait la LVF. Après avoir été  volontaire dans les rangs nationalistes pendant la guerre civile espagnole,  Delerse, qui avait adhéré au P.P.F.,   venait de s’engager dans la LVF

• Lors de cette conversation qui remonterait  à novembre 1941,  Delerse aurait expliqué  au chef du PPF comment, avec la complicité d’un garçon d’hôtel, l’aide de deux femmes et d’un “camarade ”,  il aurait déposé la bombe  sous l’oreiller de Marx Dormoy.  Si le témoignage est recevable, il se heurte au fait que Jacques Delerse n’est plus là en 1944 pour le confirmer. Il a été tué en Ukraine,  peu de temps après son entrevue avec Doriot.  Tout comme son “camarade”, Jules Maurice Muyard, de 15 ans son aîné, qui en avait été témoin. Jean-Raymond Tournoux (L’histoire secrète, ouvrage cité)  cite en complément un extrait du journal inédit tenu par Jacques Doriot. Le chef du P.P.F. explique qu’il est allé se recueillir devant la dépouille de Delerse, “un beau garçon énergique issu du groupe des terroristes marseillais à qui l’on doit l’exécution de Dormoy”

• D’où l’hypothèse, qui peut certes paraître un peu rocambolesque,  qu’il ait pu exister une  deuxième équipe et une  deuxième bombe. On se rappelle que  le valet de chambre Cechetto, pénétrant en début d’après-midi dans la chambre de Marx Dormoy pour y faire le ménage, avait déclaré aux enquêteurs avoir remarqué, entre le matelas et le sommier,  la présence d’un paquet de forme rectangulaire, enveloppé dans un papier de couleur grisâtre. Se pliant aux ordres de Marx Dormoy qui lui « avait recommandé de ne jamais toucher à ses  notes et à ses papiers », il avait laissé le lit en l’état.

• Dans l’acte d’accusation dressé en 1948, en vue du procès, on lit que « Horace Vaillant aurait trouvé dans le lit l’objet  aperçu en début d’après-midi par Cechetto ». Après l’avoir retiré, il l’aurait désamorcé dans la chambre d’Anne Mourraille et l’aurait ensuite remis à Maurice Marbach, le spécialiste  en explosif de l’équipe. Jean Marc Berlière (Les grandes affaires criminelles, ouvrage cité),  concède que « la coïncidence est trop énorme », mais il ne l’exclut pas totalement et il renvoie l’explication à Anne Mourraille en personne : « Comme elle s’en serait vantée à Deloncle, Anne Mourraille  pourrait avoir posé cette autre bombe  à 13 h 00 quand le barman l’a surprise au 2ème  étage », alors qu’il était allé chercher le valet de chambre Cechetto. « Cette bombe (…) lui aurait été confiée par ses complices ». Mais, ajoute Jean-Marc Berlière, « craignant que Dormoy ne la découvre, Moynier et Vaillant lui auraient substitué la leur à 20 h 30 et Marbach l’aurait d’autant plus facilement désamorcée qu’elle était de sa fabrication ».

• L’HYPOTHÈSE D’UNE PISTE ALLEMANDE…

• Une autre  hypothèse a été mise en avant plus récemment en s’appuyant notamment sur le fait que Ludovic Guichard, Yves Moynier et Anne Mourraille ont été libérés de la prison de Largentière, le 23 janvier 1943 par les forces allemandes. L’assassinat de Marx Dormoy aurait été le résultat d’une opération montée par les Allemands eux-mêmes qui n’auraient eu aucune difficulté à recruter des exécutants. C’est le point de vue défendu notamment par l’historien François Delpla, spécialiste de la 2ème guerre mondiale, dans un chapitre de son livre Qui a tué Georges Mandel ? Il  rejette d’abord les pistes conduisant à  la Cagoule ou à Jacques Doriot, avant de préciser que  « L’appartenance des assassins au parti de Doriot suggère (…) un lien étroit avec l’Allemagne en général et Abetz en particulier. Et le mobile est transparent ».

• Selon François Delpla,  à la fin de décembre 1940, durant leur internement, Paul Reynaud, Georges Mandel et Marx  Dormoy auraient pu prendre langue avec des membres de l’entourage du maréchal Pétain, dans la perspective d’un éventuel  repli du gouvernement en Afrique du Nord. On a vu, en effet, que  selon Vincent Auriol, Marx  Dormoy avait remis au responsable de Pellevoisin,  en son nom et au nom de ses codétenus,  un télégramme par lequel il informait le ministre de l’Intérieur, Marcel Peyrouton, que si le gouvernement tenait tête à l’ennemi, ils seraient tous  à ses côtés, prêts à faire appel à la classe ouvrière “pour qu’elle oppose à l’Allemagne l’unité française”. À Berlin, on aurait pris l’affaire suffisamment au sérieux pour réclamer avec fermeté  un véritable emprisonnement de Paul Reynaud et de Georges Mandel.  en lieu et place d’un simple internement administratif. Une demande qui était restée vaine.

• Au  lendemain de l’entrevue de Montoire, au cours de laquelle Pétain et Hitler ont parlé de « collaboration » entre les deux états,  le chef de l’État français n’attend plus rien d’un procès des dirigeants de la IIIe République. Il  s’apprête à faire juger Édouard Daladier et Léon Blum à Riom pour solde de tout compte, pour la mauvaise préparation de la guerre, plutôt que pour l’avoir déclenchée. Il  aimerait  libérer Paul Reynaud, Georges Mandel et Marx  Dormoy, après d’autres, résume François Delpla.  Faute d’avoir vu leurs exigences acceptées, la liquidation de Marx Dormoy aurait donc été en quelque sorte l’avertissement donné aux autorités de Vichy. Il ne restait plus qu’à manipuler quelques exaltés pour mettre en œuvre l’assassinat… Une hypothèse qui peut paraître  moins probante, mais qu’il convient d’ajouter aux autres. François Delpla s’en fait en tout cas l’ardent défenseur : « Il est désolant, écrit-il,  qu’en 2019 la France en soit encore à méditer sur le régime de Vichy (…) en ignorant la présence et l’action des Allemands, au point de ne même pas poser la question de leur possible rôle, quand un mobile « franco-français » peut être invoqué pour expliquer une action ».

• Finalement, de toutes ces hypothèses qui s’entrecroisent, aucune n’apporte une réponse qui soit définitive, démontrant ainsi que l’assassinat de Marx Dormoy comporte encore ses parts d’ombre, même quatre-vingts ans après. Et ce n’est pas le procès de la Cagoule, en 1948, auquel sera joint l’assassinat de Marx Dormoy, qui permettra de trancher entre ces hypothèses.

 

VI- LE DEVENIR DES ASSASSINS DE MARX DORMOY,

APRÈS LEUR LIBÉRATION PAR LES ALLEMANDS 

 

1-  JUSQU’À LIBÉRATION DE LA FRANCE
(JANVIER 1943 – SEPTEMBRE 1944)

 

• Le 9 août 1943, sept  mois après leur  libération de la prison de Largentière, Anne Mourraille a épousé Yves Moynier, à la mairie de Gattières (Alpes Maritimes), leur union ayant été célébrée par Léon Mourraille, père de l’actrice et maire de la commune  depuis 1904. La même année, le couple Mourraille-Moynier s’est installé  à Marseille où se trouvait déjà Roger Mouraille. Avec son appui, ils se sont rapprochés de  Hans Sommer, alias Herbert Senner.

Sommer◄ Ce dernier est  officiellement à la tête du  consulat général d’Allemagne à Marseille, un poste qu’il occupera entre juin 1942 et septembre 1944.  Il est surtout en charge  du renseignement et de la surveillance des frontières, ainsi que des  relations avec les membres des partis et groupements de la Collaboration, en particulier le MSR d’Eugène Deloncle. Il a alors sous sa coupe une vingtaine d’agents, souvent recrutés dans les rangs du MSR, du P.P.F., voire de la pègre marseillaise.  Tout en œuvrant aux actions de  renseignement,  ils s’adonnent à d’autres activités plus rémunératrices  telles que trafics divers,  pillage de biens juifs ou extorsions de fonds. Il s’agit aussi pour eux de constituer un trésor de guerre, dans la mesure où il ne fait plus de doute que l’Allemagne est en train de perdre la guerre. Il leur faudra donc, dans un avenir plus ou moins proche,  trouver refuge à l’étranger. Compte tenu des services qu’ils leur rendent,  les autorités allemandes ferment les yeux sur ces activités, ce qui n’est pas toujours le cas  pour la police française.

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Anne Mourraille

◄ En ce qui concerne Anne Mourraille, on sait peu de choses sur les missions qu’elle a pu accomplir au service de Sommer. Tout au plus, laisse-t-on entendre, qu’elle aurait aussi travaillé pour les services de renseignement du P.P.F. et comme indicatrice pour  la Milice. Remy Kauffer (Les femmes de l’Ombre, ouvrage cité) écrit que « contre monnaie sonnante et trébuchante, l’actrice devient l’agente star (sic) de Hans Sommer », sans apporter plus de détails sur ses agissements. En revanche, pour Yves Moynier, qui agit désormais sous le pseudonyme de Gilbert (ou Jacques) Magicier,  les interrogatoires de Sommer nous en apprennent un peu plus : après sa remise en liberté de la prison de Largentière,  il aurait été envoyé en mission  en Suisse à deux reprises, en tant qu’agent de l’AMT VI,  le service de renseignement politique nazi à l’étranger, dirigé depuis 1942  par Walter Schellenberg. 

• Sa mission aurait consisté à essayer d’établir des contacts avec les services de renseignements de la France libre. Sur quoi auraient pu déboucher ces contacts?  On l’ignore mais on sait que la mission s’est soldée par un échec qui paraissait prévisible. Il n’est pas impossible non plus  qu’Yves Moynier ait  aussi profité de ces voyages pour échanger le produit de  ses vols et pillages contre de l’or et des objets précieux, tels que montres de luxe, plus faciles à écouler. Parmi les   recrues de Hans Sommer, on trouve un autre des protagonistes de l’assassinat, Ludovic Guichard, alias Guido, chargé de “missions” en France et en Espagne. Faute de résultats probants,  l’AMT VI aurait ensuite choisi de se passer de ses services.

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Roland Nosek

• Dans les derniers mois de 1943, le couple Moynier – Mourraille  vient s’installer à Paris, dans un appartement situé au cœur du XVIè arrondissement, réquisitionné par les Allemands. Dans la capitale, ils fréquentent régulièrement  Eugène Deloncle. Dans son livre Les femmes de l’ombre, Rémy Kauffer raconte qu’Anne Mourraille  s’est mise au service de Joseph Serre, alias Maurice Lebrun, un transfuge du Parti communiste, qui était devenu responsable des services de renseignement du P.P.F: « Moyennant finance, car très rapace, Mourraille se met  ainsi que son amant (sic) sous les ordres du capitaine SS Roland Nosek, spécialiste du renseignement politique au SD de Paris »

•  Le couple,  qui se livre parallèlement au marché noir, a été recruté comme VL ou vertrauen Leute (gens de confiance), ce qui leur permet  de bénéficier d’un ausweis permanent et d’une autorisation de port d’armes.   Ils peuvent à nouveau retrouver Ludovic Guichard qui s’est mis au service de la gestapo pour traquer les Résistants et les juifs, entre Paris Marseille. Dans le courant de 1944, ils retourneront à Marseille tout comme Ludovic Guichard. Tous les trois multiplient au cours de l’été 1944 les extorsions de fonds et de biens contre les juifs installés dans l’ancienne zone libre.

• De retour dans la cité phocéenne, ils retrouvent Roger Mouraille, qui  après s’être   livré au pillage d’œuvres d’art et de biens juifs, dans la région de  Pau, avait regagné Marseille. Selon  Jean-Marc Berlière, spécialiste de l’histoire  de la police, il exerce ses activités  au sein du Bureau Merle,  « une officine au service du SD comme il en a existé dans de nombreuses villes ». Et l’historien de préciser que « Roger Mouraille, ancien GP, impliqué dans l’assassinat de Marx Dormoy, en dirigeait un, situé 3 rue de la Darse, pour le compte de Sommer/Senner du consulat allemand ». C’était le Service Palmieri, du nom de son chef, Charles Palmieri. Ex-employé à la mairie de Marseille, proche de Simon Sabiani, il avait adhéré au P.P.F. Proche des milieux corses de la capitale, c’est un  « truand multirécidiviste, condamné 7 fois entre 1929 et 1937 ». Quand ils ne sont pas occupés à commettre vols, pillages, extorsions de fonds, chantage  et violences diverses, Roger Mouraille et ses comparses se livrent aussi à des  actions de surveillance et de renseignement, en toute impunité. Lorsque deux de ses comparses se retrouvent arrêtés par la police, le 14 juillet 1944, il n’hésite pas à faire irruption au commissariat de police avec un complice. Tous les deux sont lourdement armés et Roger Mouraille exige la remise en liberté immédiate  des suspects : « Police allemande! Heil Hitler! Je suis Mouraille, l’assassin de Dormoy. Je viens libérer deux miliciens! », se serait-il écrié. Des menaces qui resteront cependant sans effet, mais qu’on ne manquera pas de lui rappeler le juge d’instruction en 1946. Comme on le constate, les complices survivants de l’assassinat de Marx Dormoy ont donc bien  conservé des liens étroits entre eux, jusqu’à l’été 1944.

 

2 – APRES LA LIBÉRATION
(SEPTEMBRE-1944 – OCTOBRE 1948)

 

 • ROGER MOURAILLE

 

QUI 19 decembre 1946 2 (2)• Au moment du débarquement des Alliés en Provence, le 15 août 1944,   Roger Mouraille  a déjà quitté la cité phocéenne afin de se mettre à l’abri en Espagne. Après avoir franchi la frontière du côté d’Hendaye,  il s’est installé provisoirement à Barcelone, à l’hôtel Regina. La justice française le réclamant, notamment pour sa complicité dans  l’assassinat de Marx Dormoy et pour les pillages auxquels il s’est livré, il a été arrêté  par la police espagnole en avril 1945. Pour Franco, alors que les forces de l’Axe sont en train de s’effondrer, la situation semble momentanément  délicate et l’arrestation de Roger Mouraille est, peut-être, une sorte de gage de bonne volonté vis à vis des Alliés. Alors qu’il est sur le point d’être transféré pour être remis aux Américains, Roger Mouraille, conscient de ce qui l’attend,  est parvenu à sauter du train, à proximité de Bilbao, se fracturant  la jambe. Repris par la police du caudillo,  il  a été intégré à un convoi de rapatriés  allemands qui débarque à Bremerhaven, au terme de trois jours de navigation.

Roger MOURAILLE Arrestation allemagne 12 Juilt 1946 FS (2)• Après avoir été arrêté par la Military Police, Roger Mouraille a été remis à des inspecteurs de la Sûreté nationale  française, le 7 juillet 1946. Son dossier est particulièrement chargé. Un  juge d’instruction de Pau s’intéresse à lui, pour vol et usurpation de fonctions. Des chefs d’accusation que reprend un autre juge d’instruction  de Marseille, en y ajoutant « atteinte à la sûreté extérieure de l’État, vol et complicité de vol, recel ». Lors de l’instruction, il est confronté aux  deux inspecteurs de police marseillais, qui lui rappellent l’épisode de son irruption au commissariat de police pour  faire libérer deux complices. Enfin, à Paris, Robert Lévy, juge d’instruction près le tribunal de la Seine, chargé du dossier de l’assassinat de Marx Dormoy, le réclame également pour « « recel de malfaiteur et complicité d’assassinat ». Dès son arrivée en France,   Roger Mouraille est donc mis en détention préventive, à la prison de la Santé, dans l’attente du procès à venir  devant la cour d’assises de la Seine.

• ANNE MOURRAILLE ET YVES MOYNIER

 

• Selon les interrogatoires de  Sommer/Senner, confirmés par d’autres témoignages, le couple Moynier-Mourraille,   aurait quitté Paris en août 1944, quelques jours seulement avant la libération de la capitale,  pour trouver refuge, dans un premier temps,  à Bruxelles. C’est seulement  en juillet 1945, qu’ils auraient pu franchir les Pyrénées pour se mettre à l’abri en Espagne. Arrêtés  par la police espagnole, ils ont été  internés au Camp de Miranda de Ebro, avant d’être finalement remis en liberté. Ils ont ensuite pu gagner  Barcelone en janvier 1946. Comme Roger Mouraille, ils ont été hébergés provisoirement par le très accueillant hôtel Regina.

Le camp de Miranda de Ebro, près de Burgos

◘ Le camp de Miranda de Ebro, près de Burgos, par lequel ont transité Yves Moynier et Anne Mourraille, en juillet  1945

Vicente Fernández Bascarán
Vicente Fernández Bascarán

• Dans cette Espagne qui grouille d’exilés, à la suite de l’effondrement du Reich, Yves Moynier, Anne Mourraille, mais aussi Ludovic Guichard vont très vite trouver une nouvelle activité en se mettant au service des « réseaux Vicente ». Vicente Fernandez Bascaran (1909-2003), un des dirigeants de la Phalange, en même temps que très proche du Caudillo,  était convaincu que les services de renseignement militaires manquant d’efficacité, il fallait leur substituer des services de renseignement reposant sur des bases totalement nouvelles. Dans un premier temps, avec l’aval de Franco, il s’applique à créer un réseau couvrant la France et l’Afrique du nord. La priorité est de se protéger  contre toute tentative d’incursion en territoire espagnol de Républicains exilés.

• Pour ces derniers, dont beaucoup ont participé activement à la Résistance et à la libération de la France, l’effondrement de l’Italie fasciste et de l’Allemagne nazie peut laisser espérer  celui du régime franquiste. La mission de ce réseau est donc triple: d’abord, recueillir des informations  sur les mouvements des troupes françaises stationnées le long de la frontière; ensuite  enquêter sur les activités des émigrés espagnols installés au delà des Pyrénées ; enfin,  essayer de nouer des liens avec les milieux conservateurs et anti-communistes  français. C’est donc ainsi que sont recrutés Ludovic « Guido » Guichard, Yves Moynier, alias Gilbert Magicier et Anne Mourraille,  ces deux derniers étant installés à Barcelone. Sous le couvert d’une activité d’artiste dans un café, Anne Mourraille fournit alors des informations sur la colonie française de la ville. 

• LUDOVIC GUICHARD

 

Dormoy Ludovic Guichard 19 aout 1941◄ Ludovic Guichard n’a pas attendu la libération du territoire pour préparer sa fuite en Espagne où, comme Roger Mouraille il disposait de solides relations depuis l’époque de la Cagoule et de la guerre civile. Il s’y est rendu une première fois dès le 6 avril 1944, muni de papiers officiels, sans doute pour effectuer  quelque « repérage », avant de rentrer en France. Un témoin affirmera l’avoir rencontré, peu après la libération, à Paris, où il se cachait sous une fausse identité. Après avoir quitté Paris, Ludovic Guichard  s’est installé avec son épouse, dans un premier temps à Barcelone, puis   au cœur de Madrid, près de la Puerta del Sol. C’est là qu’au début de l’été 1947, Louis de Serre, journaliste à France Soir,  retrouve sa trace. Hébergé par  la veuve d’un général monarchiste, il est officiellement masseur et infirmier.  La première fois que le reporter  l’a croisé, c’est dans un des bureaux de la Préfecture de police, en face de  la Puerta del Sol : « Il était en train de signer son abandon de nationalité française. En devenant apatride, il lui devenait possible d’obtenir un passeport espagnol pour gagner le Venezuela », écrira-t-il dans l’article publié le 24 septembre 1947 par France Soir.

France Soir 24 septembre 1947 (2)
◘  France Soir (24 septembre 1947) sur les traces de Ludovic Guichard

• Se faisant passer pour un milicien cherchant à se réfugier en Amérique du sud, le journaliste a su gagner sa confiance. Guichard lui explique qu’il a été arrêté, le 3 janvier 1947 et  incarcéré à la prison de Carabanchel, jusqu’au 23 avril : « Il ne s’en fallut de peu qu’il ne soit extradé mais Franco le protégea ». Alors que le gouvernement français réclame en vain  son extradition et malgré la protection que lui accorde la Phalange espagnole, il semble toutefois ne plus se sentir totalement en sécurité en Espagne, d’où les préparatifs de son départ pour le Venezuela. Pour ce faire, il lui faut un faux passeport, fabriqué clandestinement par des employés de l’ambassade de Belgique, moyennant 25 000 francs. Une somme conséquente qui équivaudrait à environ 1 500 €, aujourd’hui. Ceux qui ne peuvent pas payer sont cependant assurés d’une aide financière de la Phalange, explique-t-il au journaliste.

• Le 8 juin 1947, Ludovic Guichard quitte enfin  Madrid par le train. Direction Cadix où il arrive le lendemain, avant de s’embarquer sur un navire fruitier en direction de Las Palmas aux Canaries, qualifiée de « plus grande base d’embarquement clandestin ». Là, il va attendre du 16 juin jusqu’au 4 juillet 1947 pour pouvoir embarquer à bord d’un pétrolier norvégien qui fait route vers le Venezuela, en compagnie de 7 autres proscrits.

Z Las Palmas

◘ Las Palmas, point de départ pour le Venezuela: après Ludovic Guichard, ce sera au tour du couple Moynier – Mourraille d’utiliser cette filière

• Cette filière, Anne Mourraille et Yves Moynier comptent bien l’utiliser à leur tour. Louis de  Serre raconte que durant l’attente du départ pour le Venezuela, Ludovic Guichard  a reçu une longue lettre d’Annie Morène – Anne Mourraille et de son mari, expédiée depuis Barcelone. Ils lui annoncent  à la fois leur intention de  partir pour l’Amérique du sud et la naissance de leur fils, Bruno. À partir de là,  on perd provisoirement  la trace du couple mais il ne fait guère de doute qu’ils sont parvenus, comme beaucoup d’autres, à  gagner le Venezuela, soit à la fin de 1947, soit en 1948. Lors de l’ouverture du  procès de la Cagoule et de l’assassinat de Marx Dormoy, ils sont déjà outre Atlantique, hors de portée de la justice française.

VII-  1948 : UN PROCÈS QUI ARRIVE BIEN TARD

 

1- LA REPRISE DE L’INSTRUCTION

 

• Après la Libération du territoire, dans l’entourage de Marx Dormoy, c’est avec une  impatience certaine que l’on attend le jugement, fût-ce par contumace,  de tous ceux qui sont liés à son assassinat.  C’est tout l’enjeu du combat  que poursuit en particulier   Jeanne Dormoy, épaulée par son avocat André Blumel. Elle  entend réclamer justice, comme elle n’avait cessé de le faire depuis la mort de son frère. À la fin de janvier 1945,  Félix Gouin, président de l’assemblée constituante, qui fut un proche de Marx Dormoy et de Léon Blum, est intervenu auprès du ministre de la justice, François de Menthon. Ce dernier s’est laissé convaincre d’ordonner rapidement la réouverture de l’instruction et le transfert du dossier à Paris, pour le confier au juge d’instruction Robert  Lévy.

QUI 19 decembre 1946 1 (3)

◘ La presse, à l’image du  magazine Qui? (19 décembre 1946) d’intéresse à la reprise de l’enquête sur l’asassinat de Marx Dormoy

QUI 19 decembre 1946 2 (3)

• Les investigations ont repris, le point de départ étant la libération des détenus de la prison de Largentière. Le juge a acquis la certitude que si  les Allemands les ont délivrés, ils l’ont fait  avec le soutien de Pierre Laval et de son ministre de la justice, Joseph Barthélémy. L’enquête conduit ensuite le juge sur leur piste, entre Marseille et Paris. Première déception : au moins trois d’entre eux (Anne Mourraille, Yves Moynier et Ludovic Guichard) sont déjà hors de portée de la justice, après avoir trouvé refuge en Espagne, à moins que l’Espagne n’accepte leur extradition. En revanche, deux autres ont été arrêtés et incarcérés à la prison de la Santé : Antoine Marchi, en juin 1945, et Roger Mouraille, le 7 juillet 1946, dans les conditions que l’on a vues. Dès le départ, Antoine Marchi crie à l’injustice, proteste de son innocence, arguant de ses sentiments antiallemands et de sa prétendue  appartenance à la résistance en 1943-44. Des arguments qui peinent à convaincre les enquêteurs et le juge Lévy, dans la mesure où Marchi avait rejoint la LVF pour combattre sur le front russe.  

• Si l’inspecteur Kubler est mort en déportation au début de 1945, le commissaire Chenevier, déporté au camp de concentration de Neuengamme où il a passé dix mois, en est revenu vivant. Il  peut donc  apporter de nombreuses informations, fruits de l’enquête qu’il avait menée. Il confirme le témoignage d’Anne Mourraille qui lui avait expliqué que la décision d’éliminer Marx Dormoy proviendrait d’un « proche collaborateur » de Pétain, Paul Estèbe,  et d’un membre de son  cabinet civil.  Estèbe était effectivement directeur adjoint du cabinet civil, tandis que Gabriel Jeantet, autre nom cité par Anne Mourraille, travaillait au service de la propagande de Vichy. Bien qu’il ait rejoint la résistance et qu’il ait été arrêté par la police allemande, Jeantet  a été interpelé à la libération et  mis en détention, dans l’attente d’un futur procès de la Cagoule.

• Finalement, au terme de l’instruction, si Roger Mouraille, Anne Mourraille, Yves Moynier, Ludovic Guichard et Antoine Marchi seront renvoyés devant la cour d’assises pour assassinat et complicité d’assassinat de Marx Dormoy, il n’en sera pas de même ni pour Gabriel Jeantet, ni pour Paul Estèbe, dont les noms avaient pourtant été cités, pour absence de preuves suffisantes. En outre, ce dernier jugé trop hostile à l’occupant, avait été  démis de ses fonctions, et arrêté par les Allemands en , avant d’être déporté  d’abord à Buchenwald, puis à Dachau. Quant à Gabriel Jeantet, s’il est bien présent dans le box des accusés en octobre et novembre 1948, c’est  seulement pour y répondre de faits liés à son appartenance à la Cagoule.

2- L’ASSASSINAT DE MARX DORMOY
JOINT AU PROCÈS DE LA CAGOULE

 

• Dans un premier temps, il avait  été prévu que le procès des assassins de Marx Dormoy  s’ouvrirait devant la Cour d’assises de la Seine, à la fin d’avril 1948.  Or, on apprendra à quelques jours des audiences  qu’il  a été finalement décidé qu’il n’y aurait pas de procès spécifique, ainsi que le rapporte Le Monde (28 avril 1948) : « L’assassinat de Marx Dormoy devait venir cet après-midi  devant la Cour d’assises de la Seine. Annie Mourraille et Yves Moynier, qui placèrent sous le matelas de l’ancien ministre la bombe dont il fut victime (…) ont pu s’enfuir après leur arrestation. Ils seraient actuellement en Espagne. Des instigateurs du crime, l’un, Eugène Deloncle, est mort. L’autre, Antoine Marchi, officier des  Groupes de protection  de  l’ex-maréchal Pétain devait comparaître aujourd’hui, en compagnie d’un certain Roger Mouraille (…). Mais les deux accusés qui avaient été extraits de la prison de la Santé, n’ont pas été amenés à l’audience. La cour d’assises, par simple ordonnance du président Chadefaux a en effet décidé de renvoyer l’affaire. Ce renvoi permettra de joindre le dossier à celui de la Cagoule ».

• Les journaux avancent alors  la date de juillet 1948 pour la tenue du procès. On aura noté, au passage, que pour Le Monde, à l’image d’une grande partie de la presse,  il ne fait aucun doute que les instigateurs de l’assassinat sont bien Eugène Deloncle et Antoine Marchi et à travers eux la Cagoule. Cette décision, qui déçoit Jeanne Dormoy,   fait que l’assassinat de Marx Dormoy sera donc  traité     en même temps que ceux de Dimitri Navachine et des frères Rosselli par les tueurs de la Cagoule. Dans  un procès qui risque d’être long, l’assassinat de Marx  Dormoy n’occupera guère plus d’une ou deux audiences.

 

3- LE CONTEXTE DU PROCÈS DE 1948

 

• Le 11 octobre 1948, lorsque le  procès de la Cagoule s’ouvre enfin, devant la cour d’assises de la Seine, sous l’autorité du président Ledoux, la France sort d’une longue séquence judiciaire avec la litanie des procès de l’Épuration, qui se sont succédé autant au plan national qu’au plan départemental. De ces procès devant les cours de justice et les chambres civiques, pour les faits jugés moins graves,  commencés dès l’automne 1944, la presse  a régulièrement rendu compte durant plus de trois ans. Mais, au fil des années, une certaine lassitude – indifférence s’est installée dans l’opinion. On le voit d’ailleurs dans les comptes-rendus de la presse dont la longueur va en  s’amenuisant de mois en  mois. Dès le 16 août 1947, une première loi d’amnistie a été votée. Elle a certes un champ d’application limité en s’appliquant  aux seuls cas de personnes condamnées pour avoir écrit ou distribué des documents « contraires aux intérêts du peuple français » mais sans manquer à « leur devoir d’attachement à la France ». C’est une première brèche ouverte dans les décisions prises par les tribunaux de l’Épuration.

• Même si la Cagoule a défrayé la chronique  et a marqué la mémoire collective, le procès qui va s’ouvrir renvoie aussi à des événements qui remontent déjà à une dizaine d’années. Entre temps, aux yeux de certains, la guerre,  les horreurs et les massacres qu’elle à engendrés ont relativisé les crimes et les attentats que l’organisation d’extrême droite a pu commettre, tout comme son ambition de combattre et de renverser la république. Autre élément à prendre en compte, le contexte politique national et international a radicalement changé, avec le basculement dans la guerre froide et la crainte d’un futur affrontement ouest-Est. Le procès débute  sur fond d’agitation sociale et politique, avec la grande grève des houillères, en octobre et novembre 1948,  qui pousse le gouvernement à faire intervenir la troupe contre les grévistes. À l’image d’un journal comme L’Aurore, la  presse de droite multiplie les articles sur « le coup de force communiste en préparation », annonçant la découverte de « complots communistes». Or l’anticommunisme  était un des principaux fondements de la Cagoule. Un dernier élément pèse aussi sur le procès : si la plupart des Cagoulards ont basculé dans une collaboration active, à l’image de Joseph Darnand, d’Eugène Deloncle ou de Jean Filiol, il en est quelques-uns qui ont rejoint De Gaulle à Londres, dès l’été 1940. C’est le cas de Maurice Duclos, qui figure dans le box des accusés. Arrivé à Londres le 1er juillet 1940 il a été fait  Compagnon de la Libération.

27 juin 1947

Le centre juin 1947 Franco

◘ Dans Le Centre républicain (21 juin 1947), Léon Blum dénonce le refus de Franco  d’extrader les assassins de Marx Dormoy réfugiés en Espagne

• En ce qui concerne l’assassinat de Marx Dormoy, sur l’ensemble des suspects clairement identifiés, seuls deux sont dans le box des accusés : Antoine Marchi et Roger Mouraille. Pour trois autres, la procédure est éteinte, du fait de leur mort survenue dans la nuit du 14 au 15  août 1941, dans les jardins Albert I à Nice, alors qu’ils transportaient une bombe. Il s’agit de Lucien Guyon, de Maurice Marbach qui avait confectionné la bombe à retardement, et d’Horace Vaillant. Quant à Eugène Deloncle, souvent évoqué comme un des commanditaires de l’assassinat, il a été abattu à son domicile parisien, le 7 janvier 1944 au matin, par des agents allemands du SD. L’ex-chef cagoulard, qui pressentait une défaite de l’Allemagne nazie, avait noué des contacts secrets avec l’amiral Wilhelm Canaris, responsable du contre-espionnage militaire allemand (l’Abwehr),  opposant supposé à Hitler. Ses activités avaient fini  par attirer l’attention des services de sécurité nazis, conduisant à une première arrestation  en août 1943, suivie de da sa mise en détention durant un mois. Une fois remis en liberté, il avait repris ses  contacts avec l’amiral Canaris, ce qui avait poussé   Helmut Knochen chef de la gestapo et du  service de sécurité SD à ordonner son arrestation et, le cas échéant son exécution en cas de résistance.  De son côté, Jacques Doriot, le chef du P.P.F. dont certains considéraient qu’il aurait pu être l’initiateur de l’assassinat, est mort le 22 février 1945, à Mengen (Wurtemberg)  en Allemagne où il s’était réfugié après la libération de la France. Sa voiture a été mitraillée par deux avions, vraisemblablement alliés.

• Enfin, les trois autres  accusés sont en fuite. Les services de renseignement français les ont précisément localisés. En 1948,  ils savent qu’Anne Mourraille et Yves Moynier vivent à Barcelone, sous le nom de Gilbert et Ariane Magicier, tandis que Ludovic Guichard réside à Madrid. C’est même  là, comme on l’a vu,  qu’un  journaliste de France Soir a pu le rencontrer à plusieurs reprises, alors qu’il s’apprêtait à quitter l’Espagne pour le Venezuela. Le gouvernement français n’est pas resté inactif : dès le mois de décembre 1946,  une demande d’extradition a été officiellement formulée, via l’ambassade de France à Madrid. Demande rejetée par les autorités espagnoles, « après un examen approfondi » selon les termes officiels. Le refus, signifié le  17 avril 1947 en termes « diplomatiques » et juridiques, s’appuie sur le fait qu’il s’agirait d’une affaire de  politique intérieure française  et non pas de  droit commun : « Le cas des trois accusés  présente des caractéristiques particulières  qui font apparaître d’une manière évidente la connexité existant entre l’assassinat de M. Dormoy et les luttes politiques qui se déroulèrent en France à l’occasion de  la dernière guerre mondiale ». Or, le « caractère  politique » du délit rend impossible  toute extradition,  « conformément  à l’article 3 de la convention hispano-française du 15 décembre 1877 » qui ne s’applique qu’à des affaires de droit commun. CQFD… Anne Mourraille, Yves Moynier et Ludovic Guichard seront donc jugés par contumace, avec le risque d’encourir quasi-automatiquement  la peine maximum prévue, soit la peine de mort.

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◘ Le procès de la Cagoule (1948): ni Anne Mourraille, ni Yves Moynier, ni Ludovic Guichard n’y sont présents.

4- L’ASSASSINAT DE MARX DORMOY
À L’AUDIENCE
(21 OCTOBRE ET 8 NOVEMBRE 1948)

 

Le témoignage de Léon Blum qui rend hommage à Marx Dormoy • Pour que l’assassinat de Marx Dormoy soit évoqué   dans le cadre du procès de  la Cagoule, ouvert le 11 octobre 1948,  il faudra attendre  les audiences du  21 octobre et du 8 novembre,  avec  l’audition de Léon Blum (photo ci-contre). Henri Ribière, qui l’avait côtoyé à la mairie de Montluçon, ainsi que sa sœur, Jeanne Dormoy, ont fait le déplacement mais cette dernière ne témoignera pas. L’ancien président du conseil du Front Populaire, dont on connaît les liens forts qui l’unissaient à Marx Dormoy,  s’avance à la barre pour  rendre hommage à  sa mémoire: « Un homme qui ignorait le danger » et qui a eu « une fin atroce »: « Quand on est venu m’annoncer (…) l’anéantissement de ce corps  tué par une machine infernale, j’ai été plusieurs jours avant de pouvoir me remettre ».

• En face, parmi les protagonistes de cette affaire, seuls sont donc  présents dans le box des accusés Antoine Marchi  et Roger Mouraille. Il  est notamment reproché à ce dernier, que  le journal Combat  qualifie de  « petit nervis »,  et L’Aurore   de « petite gouape marseillaise», d’avoir hébergé Yves Moynier, d’abord chez lui à Marseille puis dans  sa propriété d’Allauch, jusqu’à son arrestation. Quant à Antoine Marchi, pour sa défense, il a fait appel à  l’avocat Jaques Isorni  qui a été un des avocats du Maréchal Pétain, lors de son procès. Sa tactique consiste à  protester continuellement et avec véhémence de son innocence, quitte à susciter incidents et suspensions d’audiences: « J’attends cette minute depuis quatre ans  pour protester avec toute la force de ma conscience », lance-t-il au tribunal. En rendant compte de l’audience du 22 octobre, André Chassaignon rapporte ses paroles : « Je suis seul à me défendre contre des accusations calomnieuses (…). J’ai été confronté avec tous les accusés. Pas un n’a reconnu que je lui avais donné un ordre. Tout ce qu’on a écrit sur moi, c’est de simples propositions ».

62- Mouraille et Marchi Franc Tireur (22 octobre 1948)
◘ Roger Mouraille et Antoine Marchi (Franc Tireur – 22 octobre 1948)

• Sans contester qu’il ait connu Ludovic Guichard et Yves Moynier, du temps des Groupes de protection du colonel Groussard, il dresse un réquisitoire particulièrement violent  contre Anne Mourraille, qui dans ses interrogatoires a fait de lui un acteur important de la préparation de l’assassinat. De l’ex-comédienne, il brosse un portrait au vitriol,    contestant les aveux qu’elle a faits au juge: « Comment peut-on accepter les accusations d’une femme  comme Anne Mourraille?, s’écrie-t-il.  Une  prostituée qui se disait « artiste lyrique », une folle qui dialoguait avec les morts,  et qui travailla avec la Gestapo! » . « Folle », « prostituée », « agent de la Gestapo », la charge est lourde. Antoine Marchi se dit outré qu’elle ait pu le mettre en cause, lui « l’homme des Corps francs ». Et d’apporter un ultime argument: « J’aurais accepté  d’envoyer cette femme pour placer une bombe  sous le lit d’un homme qui dort? Si je l’avais fait, j’aurais au moins le courage de ma lâcheté! ».

• Le journal Combat (22 octobre 1948), confirme qu’Antoine Marchi s’inscrit donc catégoriquement en faux contre l’accusation: « Il y a sept ans que je moisis dans les prisons. Enfin, la vérité va pouvoir hurler en silence (sic). Je n’ai d’aucune manière, ni de près, ni de loin aucune relation avec l’attentat ». L’auteur de l’article rappelle toutefois que « tel n’est pas exactement le point de vue de l’accusation » et que «  Marchi aurait été reçu à Paris par Deloncle quelque temps avant, pour préparer l’attentat. Une lettre écrite par son codétenu, Mouraille, le désigne nommément ». On aura noté, au  passage que, concernant l’allusion à ses 7 ans de prison, Antoine Marchi travestit quelque peu la vérité, puisqu’il a bénéficié, comme on l’a vu,  d’une mystérieuse remise en liberté en 1942. Libération que, de son côté, il considère comme parfaitement légitime.

• Quelques jours plus tard, en rendant compte de la 22ème audience, le journal Le Monde (9 novembre 1948) écrit qu’elle « a été marquée par de tumultueuses protestations de Marchi qui, non seulement affirme de nouveau son innocence, mais rappelle avec véhémence que pendant 33 mois, il n’a pas été interrogé une seule fois. Mis en cause par la seule Annie Mourraille (…), l’accusé se déclare victime d’une erreur judiciaire, avec une indignation si bruyante que le président finit par suspendre l’audience ».

Le Centre républicain (Montluçon) © Archives départementales de l'Allier.

◘ Le Centre républicain (Montluçon)

Le Centre républicain (Montluçon) 9 novembre 1948• À Montluçon, le quotidien  Le Centre républicain (ci-contre, édition du 9 novembre 1948) revient aussi sur une autre confrontation tumultueuse, celle  qui a opposé le commissaire Chenevier à Antoine Marchi : « Le commissaire vient témoigner contre Marchi qui, aussitôt, se répand en injures et imprécations. Il affirme que le témoin est un menteur. L’accusé arrive à hurler que de telle sorte le président suspend l’audience. À la reprise, le commissaire Chenevier est toujours à la barre et maintient ses précisions, de telle sorte  que  Marchi, toujours violent, nie. Il déclare : “ Comment voulez-vous admettre que Deloncle ait eu besoin  d’autres tueurs puisqu’il avait sous la main Filiol et Fauran à sa disposition ?” Cette explication ne convainc personne ».

• Dans ses comptes-rendus, la presse évoque aussi la possible production à l’audience des carnets tenus par Anne Mourraille en prison, mais il n’en sera finalement rien. Jean-Raymond Tournoux, qui les a parcourus, avance une explication : « Le journal de cette fille imaginative, indépendante, exaltée, voire mystique, ne contient pas que de passages érotiques. Décorée de la Croix de guerre pour sa brillante conduite, Annie Mourraille couche sur le papier un certain nombre de digressions, parfois bouleversantes, que personne ne tient à divulguer. Son absence satisfait tout le monde », conclut-il.

 

5- LE VERDICT  (28 NOVEMBRE 1948)
UNE IMPRESSION D’INACHEVÉ

 

• Il faudra attendre le  28 novembre 1948 pour que tombe le verdict du procès de la Cagoule. Sévère pour les absents, il se traduit par des condamnations à mort par contumace. En revanche, la cour d’assises octroie onze acquittements, prononce dix peines d’emprisonnement ferme et beaucoup de sursis. Un verdict qui, finalement, ne suscite l’indignation que de rares journaux à l’image de L’Humanité  qui titre  « Ils ont osé blanchir la Cagoule ! », en dénonçant un « verdict antinational ».

MOURRAILLE Condamnation mort Combat 29 novembre 1948

◘ Le verdict annoncé par le journal Combat (29 novembre 1948)

• Dans l’affaire de l’assassinat de Marx Dormoy, les dénégations violentes d’Antoine Marchi  ont apparemment convaincu le jury, puisqu’il est purement et simplement acquitté, tandis que Roger Mouraille  écope de  3 ans de prison, assortis de l’indignité nationale. Alors que le juge d’instruction l’avait inculpé pour  « recel de malfaiteur et complicité d’assassinat », le jury a écarté la complicité d’assassinat pour ne retenir que le seul « recel de malfaiteur ».  

• En revanche, Yves Moynier, Ludovic Guichard et Anne Mourraille,  toujours en fuite,  sont condamnés à mort par contumace. Pour Anne Mourraille,  c’est une 3ème condamnation à mort après celles prononcées pour d’autres faits criminels par la cour de justice de Nîmes (30 avril 1946) et par celle de Marseille (25 juillet 1946). Yves Moynier, lui, avait écopé de la même sentence devant la cour de justice de Nîmes, en même temps que celle qui est devenue son épouse,  et devant celle de Lille, quelques mois plus tard. Il faut cependant souligner que, lors des procès de l’Épuration, les Cours de justice qui traitaient des faits de collaboration recouraient fréquemment à la condamnation à mort, dès lors que les accusés étaient en fuite et qu’ils  encouraient pour leurs crimes la peine capitale. Toutefois, si la demande d’extradition de 1947 avait été réitérée et à supposer qu’elle ait été acceptée par le gouvernement espagnol, la sentence n’aurait pas été exécutoire: Yves Moynier, Anne Mourraille et Ludovic Guichard  auraient fait automatiquement l’objet d’un nouveau procès, cette fois-ci en leur présence.  Le temps passant, il n’est pas du tout certain que la peine initiale aurait alors été confirmée. Pour le trio, la question d’un éventuel retour en France ne se pose cependant  même pas : avant que le procès ne s’ouvre Ludovic Guichard avait déjà quitté l’Espagne pour trouver refuge au Venezuela, bientôt imité par le couple Moynier-Mourraille.

6- LE DEVENIR DES ASSASSINS
DE MARX DORMOY, APRÈS 1948 
 
• ANTOINE MARCHI
VICTIME D’UN RÉGLEMENT DE COMPTE

 

• À la suite de son acquittement, Antoine Marchi est remis en liberté, partageant dans un premier temps sa vie entre la Corse et Marseille. On le retrouve ensuite naviguant dans les eaux troubles du milieu corse du Paris de l’après guerre. Il retombe rapidement dans des activités douteuses, pour ne pas dire criminelles, vivant de divers trafics. Le 2 octobre 1954, il est victime d’un règlement de compte à Maisons-Laffitte, pour une sombre question d’argent. Atteint de plusieurs balles et relevé dans un état critique, il  mourra peu après. Dans les colonnes du journal Le Centre Républicain (3 octobre 1954), publié à Montluçon, ce fait divers est mentionné en première page mais, à aucun moment, l’auteur de l’article ne fait le rapprochement entre Antoine Marchi, jugé en 1948 et Antoine Marchi victime d’un règlement de compte 6 ans plus tard. Tout au plus, est-il mentionné que la victime et son meurtrier “ne semblaient vivre que d’expédients”. Fin de parcours pour Antoine Marchi qui en savait sans doute beaucoup plus qu’il ne l’a clamé sur l’assassinat de Marx Dormoy… 

Le Centre 3 octobre 1954 Mort de marchi (2)

◘ Le Centre Républicain (3 octobre 1954) évoque la mort brutale d’Antoine Marchi, sans faire le lien avec l’assassinat de Marx Dormoy

• ROGER MOURAILLE
LE RETOUR EN ESPAGNE

 

• Roger Mouraille, qui était incarcéré depuis juillet 1946 a déjà accompli une grande partie de sa peine de trois ans en détention préventive. De quoi lui permettre de  bénéficier d’une remise en liberté rapide, même si l’assassinat de Marx Dormoy ne représente qu’une partie des charges à son encontre. On sait peu de choses sur  sa vie d’après, certains historiens évoquant le fait qu’il serait retourné vivre dans l’Espagne franquiste, à laquelle il avait rendu des services lors de la guerre civile. Roger Mouraille, est décédé en  1999, dans le sud de la France. Il avait alors 86 ans et il était l’ultime  survivant des participants directs à l’assassinat de Marx Dormoy.

• LUDOVIC GUICHARD
LE PREMIER À CHOISIR LE REFUGE VENEZUELIEN

 

• Comme on l’a vu, Ludovic « Guido » Guichard avait quitté l’Espagne pour le Venezuela le 4 juillet 1947 et c’est dans ce pays qu’il a passé le restant de ses jours.  Ce choix s’explique aisément : un des hommes forts du pays est alors le général Marcos Perez Jimenez (1914-2001). Membre du gouvernement depuis les années 1945-46, il prendra le pouvoir  par un coup de force en 1953 et le conservera jusqu’en 1958. Un dictateur comme il en existe ou en existera   tant d’autres en Amérique du sud et qui se distingue par un anticommunisme viscéral tout autant que par  son  attitude pro-américaine. Dans un article consacré à Raymond Hérard,  autre exilé français dont le nom a parfois été cité dans l’assassinat de Marx Dormoy,   on peut lire qu’il n’est « pas du genre à s’opposer à l’installation dans son pays de réfugiés politiques fascistes ».  Le Venezuela a aussi ouvert ses portes à André Tenaille (1909-1986), autre proscrit de la libération, qui avait aidé Ludovic Guichard, et sans doute d’autres, à organiser son départ d’Espagne.

GUICHARS Arrestation Centre Matin 17 février 1947

◘Le  Centre Républicain (17 février 1950), journal publié à Montluçon,  se montre peu optimiste sur les chances d’aboutir de la demande d’extradition de Guichard

 

◘ France Soir (17 et 22 février 1950)

• Dans cet exil tranquille, trois ans après son arrivée, Ludovic Guichard va toutefois connaître une alerte, dont la presse française s’est faite l’écho.  Dans les premières semaines de 1950, il a été arrêté par la police vénézuélienne pour être entré  dans le pays, avec un passeport espagnol, mais sans autorisation officielle. Cette arrestation fait renaître quelque espoir chez tous ceux qui considèrent le procès de 1948 comme inachevé,  Jeanne Dormoy en tête. Dans une interview publiée par L’Aurore (16 février 1950), elle explique son combat : « Je ne suis pas animée par l’esprit de vengeance mais par l’esprit de justice ». Quant à ses attentes, elle les résume ainsi : « Je souhaite que toute la lumière soit faite et que tous les assassins, ainsi que leurs inspirateurs, soient promptement châtiés ». Même si André Blumel, son avocat, et les autorités françaises se font peu d’illusion quant au résultat, une demande d’extradition a bien été transmise via l’ambassade de France à Caracas.

• Quelque temps après, Ludovic Guichard est remis en liberté et la demande d’extradition est rejetée, au motif que  « l‘extradition des criminels vers un pays où existe la peine de mort (ce qui était alors le cas de la France) n’est pas appliquée par le Venezuela ». Le 18 février, le journal Le Monde confirme que “le Venezuela n’extradera pas Guichard, assassin du ministre français Marx Dormoy, condamné à mort par contumace, si sa peine de mort n’est pas commuée”. Une condition préalable dont on savait pertinemment, côté vénézuélien, qu’elle ne serait jamais acceptée. Il semble très probable que Ludovic Guichard ne soit jamais revenu en France et qu’il soit mort au Venezuela, mais on ignore la date de son décès.

ANNE MOURRAILLE ET YVES MOYNIER
QUATRE DÉCENNIES D’EXIL AU VENEZUELA

 

images• Anne Mourraille (photo ci-contre) et Yves Moynier devenus Gilbert et Ariane Magicier, étaient encore à Barcelone entre juin et  juillet 1947. À cette  date, ils avaient envoyé une lettre à Ludovic Guichard, en train de préparer son départ pour le Venezuela. En même temps que la naissance de leur fils, Bruno, ils lui annonçaient   leur intention de quitter l’Espagne pour l’Amérique du sud.  Le procès de l’assassinat de Marx Dormoy et celui de la Cagoule devant arriver devant la cour d’assises de la  Seine, il était plus prudent de quitter l’Europe. Malgré les protections dont ils avaient bénéficié dans l’Espagne franquiste, une arrestation restait toujours possible, comme cela avait été momentanément le cas pour Ludovic Guichard, au début de 1947.  À partir de là,  on perd provisoirement  leur trace, mais il ne fait guère de doute qu’ils sont parvenus par la même filière, à  gagner le Venezuela, soit à la fin de 1947, soit en 1948. Une exfiltration rendue plus compliquée par la présence d’un enfant d’à peine un an. Après leur arrivée, ils se sont  établis dans les environs de Juangriego, où ils auraient ensuite exploité  un restaurant,  le   Sotavento, à proximité du phare de Porlamar, situé sur l’Isla de Margarita. En juin 1948, une fille est venue agrandir le cercle familial.

Carte double (2)

• Anne Mourraille – Ariane Magicier –  est décédée en 1984,  à l’âge de 71 ans,  mais le lieu de sa disparition, là encore, pose problème. Selon Jean-Marc Berlière (Les grandes affaires criminelles, ouvrage cité),  “après une vie aventureuse,   – ses descendants laissent entendre  qu’elle aurait travaillé pour les services américains – Anne Mourraille est décédée à Monterey (Californie) en 1984”.  Jean Marc Berlière nous a expliqué qu’il s’appuyait sur les travaux d’un “chercheur amateur et passionné”. Que serait-elle venue faire en Californie, même si l’on sait que son frère, Jean-Pierre Mourraille (1904-1974), architecte, avait émigré aux États-Unis, peu avant la seconde guerre mondiale, qu’il avait été naturalisé américain en 1943 et qu’il s’était ensuite installé en Californie où il était décédé en 1974. On peut aussi envisager qu’il y ait eu une confusion avec Monterrey (avec 2 r) au Venezuela.  La question du lieu de son décès reste donc en suspens. Quant à Yves Moynier, il est décédé deux ans plus tard, en 1986, à l’âge de 72 ans. Aucune des démarches faites  auprès des autorités  françaises, espagnoles et vénézuéliennes, pour tenter d’en savoir un peu plus sur les dates et lieu exacts de leurs décès et sur leur lieu d’inhumation, n’a pu permettre d’aboutir… jusqu’à ce jour.

 ► Lire la suite: MARX DORMOY, DE L’HISTOIRE À LA MÉMOIRE (DE 1945 À NOS JOURS)

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages consultés :

Sur la vie, la carrière, l’œuvre  de Marx Dormoy :

  • Rougeron (Georges) : Marx Dormoy (1888-1941) (Grande imprimerie nouvelle, 1956)
  • Touret (André): Marx Dormoy (éditions CREER, 1998).
  • Touret (André): Montluçon 1940-1944 : La mémoire retrouvée (éditions CREER, 2001)
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : notice Marx Dormoy rédigée par Justinien Raymond, accessible en ligne. 

◘ Sur l’arrestation de Marx Dormoy, son internement et son assassinat :

  • Berlière (Jean-Marc): Les grandes affaires criminelles, du moyen-âge à nos jours (éditions Perrin, 2020). Le chapitre consacré à l’assassinat de Marx Dormoy (pp.255 – 276) est sous-titré Questions autour d’un attentat politique.
  • Berlière (Jean-Marc): Polices des temps noirs (1939-1945) (éditions Perrin, 2018)
  • Bourdrel (Philippe): Les cagoulards dans la guerre (éditions Albin Michel, 2009)
  • Bourdrel (Philipe): La grande débâcle de la Collaboration (éditions du Cherche Midi, 2011)
  • Brunelle (Gayle K.), Annette Finley-Croswhite (Annette): Assassination in Vichy. Marx Dormoy and the struggle for the soul of France (éditions University of Toronto Press, 2020).
  • Chenevier (Charles): De la Combe aux Fées à Lurs. Souvenirs et révélations (éditions Flammarion, 1962)
  • Cointet (Michèle), Cointet (Jean-Paul): Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation (éditions Tallandier, 2000)
  • Guérin (Daniel) : La Résistance : Chronique illustrée 1930-1950 (éditions Omnibus, 2010)
  • Kauffer (Rémy): Les femmes de l’ombre (éditions Perrin, 2017)
  • Néaumet (Jean-Émile): Les grandes enquêtes du commissaire Chenevier, de la cagoule à l’affaire Dominici (avec de larges extraits des interrogatoires d’Anne Mourraille et d’Yves Moynier, et des reprises d’extraits des Mémoires du commissaire Chenevier) (éditions Albin Michel, 1995)
  • Rougeron (Georges): Mémoires d’autres temps, en Allier (1940-1944) (Imprimerie Typocentre – Montluçon, 1984)
  • Tournoux (Jean-Raymond): L’Histoire secrète. La Cagoule, le Front populaire, Vichy, Londres, (éditions Plon, 1962).

Presse :

  • Collections numérisées de la presse départementale (site des archives départementales de l’Allier) : Le Centre, Le Centre républicain, Centre-Matin (Montluçon), Valmy (Moulins), Le Combat social
  • Collections numérisées de la presse nationale (Bibliothèque nationale : BnF Gallica Presse et Retronews) : Le Populaire,  L’Aurore, Combat, Franc-Tireur, France-Soir, Je suis partout, Candide.
  • Archives Journal Le Monde

Sites Internet :

Témoignage :

  • Mme Michèle Halligan petite-nièce d’Annie Mourraille, a apporté au fil de nombreux échanges, des informations précieuses qui ont permis de mieux cerner sa personnalité, ses idées et son devenir après 1945.

 

 

Un commentaire

  1. Merci pour ces remarquables études historiques, que je conserve pour y revenir plus longuement. Elles méritent plus qu’un parcours rapide !

    FXD.

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