PAGES D’HISTOIRE: MARX DORMOY (1888-1941): III – DU TEMPS DE L’HISTOIRE AU TEMPS DE LA MÉMOIRE (DE 1945 À NOS JOURS)

 

Jean-Paul PERRIN

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TROISIÈME PARTIE

 DU TEMPS DE L’HISTOIRE

AU TEMPS DE LA MÉMOIRE 

(DE 1945 À NOS JOURS)

 

• Au début des années 1950, après le rejet de la demande d’extradition de Ludovic Guichard, un de ses assassins réfugié au Venezuela, les fidèles et les proches de Marx Dormoy ont compris qu’il n’y avait plus rien à attendre du côté de la Justice. Pour Jeanne Dormoy, c’est désormais le temps de la mémoire de son frère qu’elle va s’attacher à défendre et à ancrer dans sa ville natale : « Elle n’avait que lui au monde. Elle vivait seulement pour lui », avait écrit Léon Blum, peu après la mort de Marx Dormoy. Une défense mémorielle dont elle fera un combat personnel, qui ne s’achèvera que par sa disparition en 1975 et qui a pu connaître quelques soubresauts.

I – LE TEMPS DES  PREMIERS HOMMAGES

(1942-1944)

1- L’IMPOSSIBLE HOMMAGE À MONTÉLIMAR

• Cette mémoire de Marx Dormoy, on peut considérer qu’elle a commencé à s’écrire dès le jour de ses obsèques à Montélimar, le 28 juillet 1941. Pendant qu’on procédait à son inhumation en petit comité, des dizaines de Montluçonnais étaient venus rendre hommage à leur ancien maire, en se recueillant sur la tombe de son père, Jean Dormoy, au cimetière de l’ouest. En 1942, à l’occasion du premier anniversaire de son assassinat, l’hommage  prendra encore de l’ampleur. Dans une édition clandestine datée d’août 1942, Le Populaire qui fut avant guerre l’organe de la SFIO, y consacre un article, non sans avoir rappelé les circonstances de sa mort et pointé du doigt la responsabilité du gouvernement : « À Montluçon, ce 26 juillet, comme l’an dernier, la foule est venue fleurir la tombe de la Famille Dormoy. où de pieuses mains avaient placé un portrait du Martyr. Depuis quelques jours, tandis que les dévouements obscurs et nombreux rappelaient dans les usines, dans les bureaux, dans les quartiers, partout, le rendez-vous des fidèles, la  Radio Française Libre, par-dessus la mer et par dessus l’ennemi, appelait les patriotes à une manifestation de souvenir et aussi d’espérance.  Tout au long de la Journée du Tragique Anniversaire, une foule émue et recueillie n’a cessé de déposer des fleurs sur la tombe de Jean Dormoy, père de l’assassiné.  Au-dessous du portrait de Marx (Dormoy), on lit l’inscription : “ Le Socialisme fut ta vie. Il demeure notre idéal”. Toute la classe ouvrière si attachée à notre malheureux ami a envoyé des délégations. Les gerbes s’amoncellent nombreuses, barrées de rubans rouges sur lesquels on lit les noms des entreprises où les travailleurs se sont spontanément cotisés pour en effectuer l’offrande (…),  un groupe de commerçants, un groupe de patriotes, des quartiers aussi (…) et puis ses collègues du Conseil Municipal (pas le nouveau, celui qui avait été élu), les organisations : Jeunesses Socialistes, et, tout près du portrait, la magnifique couronne de fleurs du parti socialiste. Nos camarades de Montluçon peuvent être fiers de cette Journée. Marx Dormoy, mort au champ d’honneur, sert encore le Parti, le Pays, comme il les servait  de son vivant ».

2 – LES PREMIERS HOMMAGES DE LA MUNICIPALITÉ
DÈS LA LIBÉRATION

• Dès la Libération de Montluçon et dans l’attente de futures élections municipales qui auront lieu au printemps 1945, c’est la dernière municipalité Dormoy  qui a réinvesti l’hôtel de ville. Élue en 1935, elle avait été suspendue  officiellement le 20 septembre 1940. Sur les 33 élus, 19 sont présents ce 25 août 1944. Dans son discours, François Carrias qui fut un adjoint de Marx Dormoy et qui préside la séance, revient d’abord sur la suspension « par un gouvernement félon »   de la municipalité « qui n’avait d’autres torts que de vouloir rester fidèle à la population laborieuse de Montluçon (…) et aussi à la république (…). Et puis, et surtout Marx Dormoy était une force qu’il fallait abattre en attendant de l’emprisonner et de le laisser assassiner ».

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◘ La nouvelle municipalité, à la Libération: de gauche à droite: Marcel Duplaix, Marcel Camus, François Carrias (maire), Lucien Menut et Paul Depeige

• C’est d’ailleurs le même  François Carrias qui sera élu maire : « La disparition de Marx Dormoy avait été vécu par ces hommes  comme un drame dont ils avaient du mal à se remettre. Ils se sentaient orphelins et redoutaient la tâche qui les attendait, en l’absence d’un maire directif qui n’avait pas organisé sa succession »,  rappelle André Touret (Montluçon après la tourmente1944/1947).

• Pour ces élus qui avaient  côtoyé Marx Dormoy, l’inscription de son nom dans la mémoire et dans le paysage montluçonnais apparait comme une évidence. Dès le 15 octobre 1944, sur la proposition du maire François Carrias, le conseil municipal   vote à l’unanimité la décision de donner le nom de Marx Dormoy à l’ancienne avenue du président Wilson. Elle avait été débaptisée en 1940 pour devenir l’avenue du Maréchal Pétain, qui l’avait inaugurée lors de sa venue à Montluçon, le 1er mai 1941 : « La ville de Montluçon ne peut accorder son témoignage à une personne que la population française dans son ensemble considère comme un traître. Aussi la municipalité, immédiatement après la libération, a-t-elle fait déposer les plaques rappelant aux citoyens montluçonnais la flétrissure de la patrie », peut-on lire  en préambule de la délibération.

• Une fois le nom du maréchal Pétain évacué, les élus expliquent pourquoi « il (leur) appartient maintenant de donner à cette superbe avenue un nom digne d’elle et de la ville (…). Ce nom est sur toutes les lèvres et dans tous les cœurs, c’est celui de notre regretté Marx Dormoy ». Pour justifier encore un peu plus ce choix, le texte met en avant « les bienfaits de son administration », celle d’un « maire particulièrement doué, dont aucune activité municipale ne lui était étrangère et (qui) dans tous les domaines de la vie excellait » au point d’avoir totalement transformé Montluçon en quinze ans pour en faire « une des cités les plus belles et les plus accueillantes du  Centre de la France ». La délibération s’achève ainsi : « Montluçon se doit d’honorer cette grande figure, aussi je vous propose d’honorer sa mémoire en donnant à l’avenue de la gare, le nom d’avenue Marx Dormoy, maire de Montluçon 1926-1940 ».

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◘ L’avenue Wilson puis avenue  du maréchal Pétain devenue en 1944 avenue Marx Dormoy, avant l’installation du monument

• Le choix de cette avenue qui constitue sans l’une des  plus belles voies de la cité n’est pas anodin:  outre qu’il renvoie au néant le nom du maréchal Pétain, il permet de rappeler que l’avenue était aussi au cœur des derniers grands projets municipaux d’avant guerre, puisque Marx Dormoy comptait bien la prolonger jusqu’au vieux château, dégageant de la sorte une grande perspective. Elle aurait ainsi permis de tracer   un  trait d’union symbolique entre le Montluçon médiéval (château et vieille ville) et le Montluçon de la révolution industrielle (la gare).

plaque Dormoy• L’exemple montluçonnais va très vite inspirer d’autres collectivités. En juillet 1945, ce sera au tour de la ville de Paris d’attribuer le nom de Marx Dormoy à une rue du XVIIIè arrondissement, en attendant que la RATP ne baptise de son  patronyme  une station de métro. Par la suite de nombreuses autres villes vont suivre la même voie. La  notice biographique que lui consacre Wikipédia, liste plus de 80 villes qui ont décidé de donner le nom de Marx Dormoy à une rue, à une avenue,  voire à un boulevard. Et encore la liste ne prétend-elle pas à l’exhaustivité. Le département de l’Allier n’est pas  en reste, avec des communes comme  Bellerive-sur-Allier, Cusset, Néris-les-Bains, Commentry ou encore Domérat. Il faudrait y ajouter les noms d’écoles et lieux publics, à travers le pays.

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◘ Léon Blum

• Le quatrième anniversaire de l’assassinat de Marx Dormoy, dans une France désormais libérée, est l’occasion pour une partie de la presse de rappeler l’événement tragique mais aussi de commencer à forger de l’ancien ministre de l’Intérieur l’image d’un véritable  martyr, éligible à un destin national. Une vision idéalisée qui marque le passage de l’histoire à la mémoire.  C’est cet angle qu’adopte Léon Blum dans un long article publié par Le Populaire le 26 juillet 1945 : « Personne, j’en suis sûr, n’a oublié les circonstances affreuses du crime (…). Vichy l’avait livré aux assassins et Vichy n’eut pas honte, deux jours plus tard, d’escamoter ignominieusement ses obsèques. À l’heure qu’il est,  son cercueil ne repose pas encore là où est sa place, au cimetière de Montluçon, près de son père Jean Dormoy, sous la garde de ses camarades ».

• Léon Blum brosse ensuite de portrait d’un homme au « cœur sensible et généreux » dont la vie « modèle de droiture et de simplicité »  aura été « mise tout entière comme soldat, comme militant, comme homme public au service de son pays et de son parti (…). Il est mort pour la République et pour la France. Mais quel malheur qu’il n’ait pu continuer à vivre pour elle ! Aucun des camarades que nous avons perdus n’aurait tenu une plus grande place dans la France et dans la République de demain. Nous ne sommes pas seuls, nous socialistes, à penser ainsi ». Au passage, il associe à cet hommage François de Tessan, autre sous-secrétaire d’état à la présidence du conseil du temps du Front Populaire, qui comme Dormoy avait dénoncé les accords de Munich et qui a connu lui aussi un destin tragique : arrêté en novembre 1942, il avait été déporté au camp de concentration de Buchenwald où il est mort en avril 1944.

• Après avoir rappelé les temps forts de son action au Ministère de l’Intérieur, Léon Blum écrit : « A la vérité, la perte est irréparable. Il avait toutes les grandes qualités de l’homme d’État, la promptitude et la clairvoyance du jugement, la décision, la résolution, la suite et par-dessus tout le courage et la fidélité. Nul n’avait des convictions plus profondément enracinées, nul n’avait un sens plus fin de la réalité pratique. Oui, quelle perte pour le pays, quelle perte pour notre parti auquel il tenait par toutes ses fibres vivantes et je me permets d’ajouter : quelle perte pour ceux qui l’aimaient, quelle perte pour moi ! »

II  –LA MÉMOIRE UNIE:

LES FUNÉRAILLES DE MARX DORMOY

À MONTLUÇON (9 DÉCEMBRE 1945)

• Après la symbolique des noms de lieux  et l’accession au rang de martyr, l’étape suivante dans la construction de cette mémoire, c’est le  retour de la dépouille de Marx Dormoy en terre montluçonnaise et les funérailles célébrées le 9 décembre 1945. Un retour qui avait été refusé à Jeanne Dormoy par le gouvernement en juillet 1941 après l’assassinat de son frère. Pour l’occasion, la population montluçonnaise et toute la classe politique  vont se retrouver rassemblées derrière  le cercueil de Marx Dormoy. On peut rappeler toutefois que dès juillet 1945, une première cérémonie officielle, « en présence du maire et de  plusieurs personnalités socialistes » avait eu lieu au cimetière de Montélimar avec fleurissement de sa tombe, ainsi que le rapportait le journal L’Aurore (29 juillet 1945)

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◘ 10 décembre 1945: Le Centre Républicain annonce le retour de la dépouille de Marx Dormoy à Montluçon et ses obsèques solennelles 

• Exhumée du cimetière de Montélimar, le vendredi 7 décembre 1945, la dépouille de l’ancien ministre est arrivée à Montluçon le lendemain, en fin d’après-midi, pour être exposée à l’hôtel de ville, dans la grande salle du conseil municipal.  Dans la traversée du département, sur le trajet suivi par le convoi, de Lapalisse à Chamblet, population et autorités municipales ont  tenu à s’associer à cet hommage, « inclinant leurs drapeaux, remettant des gerbes », écrira Georges Rougeron, dans la brève biographie qu’il lui consacrera. Le quotidien Le Centre Républicain  dédie  la plus grande partie de sa une à la cérémonie et à son organisation : « La population bourbonnaise rendra hommage, ce soir et demain, à la mémoire de Marx Dormoy, mort au service de la France et de la République ». L’éditorial, « Souvenirs » est signé par Georges Rougeron et, en vis-à-vis, figure  un article d’Henri Ribière, intitulé « Mon ami Marx Dormoy ». Tous les deux ont fait partie de ses très proches collaborateurs, à la fois à la mairie  et au sein de la SFIO.

65- Obsèques 1• Dans la soirée du samedi 8 décembre et dans la matinée du dimanche 9, malgré le froid intense, ce sont des centaines de Montluçonnais, toutes familles politiques et toutes conditions sociales confondues, qui viennent se recueillir dans la salle ornée de tentures rouges et noires. La cérémonie va prendre une autre dimension avec l’arrivée, en fin de matinée, de Léon Blum. L’ancien président du conseil du Front populaire, revenu de déportation sept mois plus tôt, est accompagné de personnalités éminentes du Parti socialiste, telles que Vincent Auriol, Félix Gouin ou André Blumel, avocat de Jeanne Dormoy depuis 1941. Alexandre Varenne, député du Puy-de-Dôme et propriétaire du journal La Montagne. Eugène Montel, ancien député et compagnon de captivité de Marx Dormoy à Pellevoisin, et Albert Rivière, ancien député de la Creuse, qui lui était resté fidèle,  sont également à Montluçon.

• En parcourant la longue liste des personnalités présentes dans l’après-midi du 9 décembre, publiée par Le Centre Républicain, on constate que l’heure est bien à l’unité autour de la mémoire du défunt : aux côtés du conseil municipal socialiste élu en avril 1945 et présidé par René Ribière, tous les parlementaires de l’assemblée constituante assistent aux obsèques, qu’ils soient socialistes (Henri Ribière et Marcel Pouyet), communistes (Pierre Villon et Henri Védrines) ou MRP (Jean-Pierre Giraudoux). Autre personnalité présente, Georges Rougeron, à la fois en tant que proche collaborateur de Marx Dormoy et président du conseil général de l’Allier, dont l’ancien ministre fut lui même président. Quant à l’hommage populaire, il est porté par la présence d’une foule estimée à plusieurs milliers de personnes qui ont bravé un froid glacial.  André Touret note que  « la foule était probablement moins nombreuse  que pour les obsèques de Paul Constans en 1931, mais (qu’elle était) en proie à une forte émotion ».

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◘  La façade de l’hôtel de ville drapée de noir (9 décembre 1945)

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◘ Les proches de Marx Dormoy, avant le départ du cortège funèbre:  Jeanne Dormoy (chapeau noir) se tient aux côtés de Félix Gouin, président de l’assemblée constituante

Dormoy obsèques - Copie (3)• En début d’après midi, avant que le cortège des officiels et des anonymes ne prenne le chemin du cimetière de l’ouest, trois orateurs se succèdent. René Ribière, maire de Montluçon, puis Félix Gouin, président de l’assemblée constituante et enfin Léon Blum, en personne. Si le premier met l’accent sur l’action municipale de Marx Dormoy, le deuxième revient sur sa captivité à Montélimar et sur les entraves mises pour empêcher ses proches et ses fidèles d’assister à ses obsèques. Quant à Léon Blum que des liens très forts unissaient à Marx Dormoy depuis les années 1920, il met l’accent à la fois sur les journées tragiques de  juin-juillet 1940, avec la haine charriée par « quelques bandes d’excités  par Jacques Doriot et tous les Cagoulards », et sur l’action déterminante de celui qui fut son ministre de l’Intérieur. C’est vers 15 h 00 que le cortège  quitte la place de l’hôtel de ville pour conduire la dépouille de Marx Dormoy au cimetière de l’ouest, où repose déjà son père. Il emprunte le boulevard de Courtais, le pont Saint-Pierre, la rue de la république, la place Jean-Dormoy, la rue Victor Hugo et la rue Paul Constans, avec un bref arrêt impasse Lancret, là même  où Marx Dormoy avait résidé avec sa sœur, jusqu’à son arrestation. Un parcours chargé de symbolique entre vieille ville et Ville-Gozet réunis pour l’occasion par la personnalité de Marx Dormoy.

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◘ La foule présente aux obsèques de Marx Dormoy descend le boulevard de Courtais 

• À partir de décembre 1945, le cimetière de l’ouest va devenir le lieu de recueillement de tous ceux qui souhaitent rendre hommage à Marx Dormoy, en même temps qu’à son père. Son statut de  « résistant » et d’adversaire résolu du régime de Vichy, est conforté par les hommages de la nation : après avoir été fait chevalier de la légion d’honneur et médaillé de la résistance à titre posthume, Marx Dormoy est cité à l’ordre de la nation, le 27 novembre 1946: « Ardent patriote et grand serviteur du Pays qui, dès juillet 1940 prit position contre le gouvernement de Vichy et conserva toujours une foi inébranlable dans la victoire finale. Arrêté le 25 septembre suivant comme chef de l’opposition dans l’Allier et adversaire résolu du fascisme, il fut lâchement assassiné le 26 juillet 1941, après avoir toujours donné le plus bel exemple d’esprit de sacrifice ». Le texte  est signé par Georges Bidault,  président du gouvernement, et par le ministre de l’intérieur, Édouard Depreux.

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 ◘ La tombe de Marx Dormoy, au cimetière de l’ouest (ou Saint-Paul)

• Cette reconnaissance mémorielle, la ville de Montélimar s’y associe en baptisant du nom de Marx Dormoy la place à proximité de laquelle se trouve le Relais de l’Empereur.  Sur une stèle, a été fixée une plaque commémorative qui rappelle d’abord son rôle de ministre du Front populaire qui « s’est particulièrement illustré dans la lutte contre l’organisation clandestine et antirépublicaine “la Cagoule” qu’il démantela ». Ensuite, elle mentionne son vote du 10 juillet 1940 et établit la chronologie qui va de son arrestation à Montluçon et de ses internements successifs à Pellevoisin et à Vals-les-Bains, jusqu’à son assassinat « dans la nuit du 25 au 26 juillet 1941 par l‘explosion d’une bombe déposée sous son lit ». Enfin, la plaque rappelle que « trois hommes sont arrêtés, puis libérés. Réfugiés en Espagne, ils ne seront jamais jugés ». On aura noté, au passage, que la présence d’Anne Mourraille n’est pas mentionnée dans cet hommage.

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◘ La place Marx-Dormoy, à Montélimar, à proximité du Relais de l’empereur

 

III- LA MÉMOIRE DÉSUNIE :

L’INAUGURATION DU MONUMENT DÉDIÉ À MARX DORMOY

(26 JUILLET 1948)

1- UN MONUMENT POUR PERPÉTUER
LA MÉMOIRE DE MARX DORMOY
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◘ Un appel à souscription lancé en 1946 par le comité pour l’érection d’un monument

Jeanne Dormoy (1886-1975)• Dès la libération, l’idée avait été lancée par les proches de Marx Dormoy, relayés par la municipalité, de constituer un comité en vue d’ériger un monument destiné à perpétuer sa mémoire. Ce comité, officiellement créé en 1946 et placé sous l’autorité morale  de Jeanne Dormoy (photo ci-contre)  et de Léon Blum, ne devait compter initialement que les adjoints et conseillers municipaux qui avaient été élus en 1935 et suspendus en 1940.

• Pour donner à l’événement un retentissement national, un comité élargi, dit « comité d’honneur » a cependant été constitué. On y trouve  de grandes figures nationales du parti socialiste, tels que Félix Gouin, Vincent Auriol, André Blumel ou Daniel Mayer. Y figurent également René Ribière et Georges Rougeron. Au delà du fait d’avoir été de très proches collaborateurs de Marx Dormoy,  ils sont aussi des personnalités importantes de la vie politique départementale puisque Georges Rougeron, maire de Commentry,  préside alors le conseil général de l’Allier, tandis que René Ribière, ancien président du Comité départemental de libération, élu maire de Montluçon au printemps 1945, dirige le quotidien montluçonnais Le Centre républicain. Lancé  en août 1944, après la disparition du très maréchaliste journal Le Centre, le nouveau quotidien du soir  est proche de la SFIO. Au sein du Comité dit “actif”, le noyau dur est constitué d’anciens adjoints de Marx Dormoy: François Carrias, Aimé Villatte, Lucien Menut, Paul Depeige et Paul Jourdain.

Dès l’origine, il est envisagé de donner à cet hommage une dimension mémorielle nationale, en sollicitant la participation de nombreuses villes, bien au delà des limites de l’Allier. Dans l’appel à souscription, signé en 1946 par François Carrias “Maire de la libération”,  on rappelle que Marx Dormoy a été “assassiné à Montélimar par des cagoulards et des tueurs à la solde de Doriot, alors qu’il venait d’être mis en liberté  surveillée dans cette ville”. L’ancien ministre de l’intérieur  est décrit comme « un apôtre de la république et du socialisme, victime du régime abhorré de Vichy. Martyr de sa foi dans les destinées de son pays et de son attachement à la démocratie”. L’argumentaire se poursuit ainsi: “ Nous avons pensé que sa mémoire ne devait pas être honorée seulement dans le cadre de la ville et du département qu’il illustra hautement. Mais en souvenir de son rôle au gouvernement, de son action énergique contre les cagoulards et les ennemis de la patrie, de sa mort glorieuse, le pays tout entier devrait être associé à l’hommage public que nous désirons rendre à Marx Dormoy”.

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◘ Le futur emplacement du monument, à la place du jet d’eau, au centre du square

 • L’accord est assez vite acquis sur le lieu d’implantation: ce sera à l’extrémité de l’avenue portant son nom depuis la fin de 1944, au milieu du square qui s’y trouvait depuis un demi-siècle. Cette position centrale avait l’avantage d’offrir plus de visibilité que la tombe du cimetière de l’ouest, sur une avenue que Dormoy lui-même aurait souhaité prolonger pour dégager la perspective du vieux château. Seule la guerre avait empêché le lancement des travaux.

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◘Hubert Yencesse (1900-1987)

• Il reste la question cruciale du choix de  l’artiste  et de la représentation que l’on souhaite donner de Marx Dormoy, une mission dont allaient se charger plus particulièrement Jeanne Dormoy et Léon Blum. Ils sont épaulés par Maurice Delépine et Maximilien Gauthier. Le premier a été chef de cabinet de Vincent Auriol, ministre de la justice, en 1937 et il est alors chef de cabinet de Daniel Mayer, ministre du travail. Le second est un écrivain, spécialiste de l’art. Leur choix va se porter sur le sculpteur Hubert Yencesse. Inconnu de la plupart des Montluçonnais, il est né en 1900 et il a été l’élève d’Aristide Maillol. Avant guerre, il  avait déjà décroché plusieurs récompenses dont le prix Blumenthal en 1934. Il avait à son actif une balustrade décorative destinée à orner  la salle des assemblées de la SD.N. à Genève, ainsi que des bas-reliefs de la façade du palais de Chaillot.

• L’artiste choisi, il fallait ensuite définir la représentation que Jeanne Dormoy et Léon Blum souhaitaient inscrire dans la mémoire collective. Ce sera celle d’un Dormoy allongé dans son lit, le corps légèrement incliné, la main gauche sur le cœur, le bras droit tendu à l’horizontale.  Une représentation que Léon Blum, qui a pesé de tout son poids pour ce choix,  devait expliciter lors de la cérémonie d’inauguration, le 25 juillet 1948 : « Le grand artiste (…) a voulu fixer l’instant où la machine infernale introduite par les assassins  sous le matelas de Marx Dormoy venait de faire explosion. Il a saisi l’intervalle suprême de vie et de conscience où,  tiré soudain de son sommeil, notre ami allait disparaître dans la mort. Telle est la signification de son œuvre et là réside  sa vérité profonde, car la mort de Marx Dormoy est en effet ce qui le rend immortel. Les assassins avaient fait de lui une victime, nous faisons de lui un de nos héros, héros de la démocratie et du socialisme, héros de la France et de la république ».

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◘ Les différentes esquisses présentées par Hubert Yencesse

• L’explication était loin d’avoir convaincu tous ceux qui avaient côtoyé Marx Dormoy et qui critiquaient cette image d’un « Dormoy couché ». Le choix d’un quasi « gisant » pour symboliser cet ardent républicain pouvait également paraître étonnant pour qui ne connaissait pas la fin tragique de Marx Dormoy. Ce trouble, le journal Le Centre républicain qui pressentait de futures critiques l’avait évoqué le 28 juin 1948, à un mois de l’inauguration : « L’attitude de l’ancien ministre a pu surprendre quelques-uns de nos compatriotes et certains ont pu penser qu’il aurait été préférable de représenter l’ancien ministre dans une des  attitudes énergiques qui lui étaient coutumières. Mais n’est-ce point là à la fois oublier les circonstances tragiques de son assassinat et n’envisager la question qu’a court terme. C’est l’instant même de sa mort qu’à la demande  du président Blum, approuvé en ceci par Mlle Dormoy que le sculpteur a voulu perpétuer ». Aujourd’hui encore, pour les touristes de passage qui arpentent l’avenue, le monument ne manque pas d’interroger, surtout pour  ceux qui ne prennent guère le temps de lire le texte gravé sur  la plaque commémorative.

Avant-projet monument 2

• Autre problème auquel s’est trouvé confronté   le Comité d’érection, celui du matériau. Initialement il avait été envisagé de couler la statue dans le bronze mais le coût d’une telle réalisation avait conduit le Comité, sur les conseils de Yencesse, à opter pour la pierre : « C’est une pierre des Charentes, à l’épreuve du temps comme le marbre qui perpétuera à Montluçon le souvenir de Marx Dormoy » titrait fièrement à la une le Centre républicain, le 28 juin 1948. Une photo montrait le sculpteur et son assistant en train de réaliser les finitions du monument, dévoilant ainsi pour la première fois sa silhouette aux Montluçonnais. Afin de coller au mieux aux souhaits de Léon Blum et de Jeanne Dormoy, l’artiste a multiplié les croquis, les études et les maquettes, en partant des nombreuses photographies que cette dernière lui avait confiées. Selon le journal Le Centre républicain, « Jeanne Dormoy lui parlait de son frère et elle en parlait si bien, tantôt à voix basse, tendrement, tantôt plus énergiquement pour dire les vertus de l’homme public que les pauvres images jaunies (…) paraissaient soudain s’animer ».

• À chacun de ses voyages à Montluçon, Yencesse prend conseil auprès des proches du disparu, note les recommandations  du comité, au fur et à mesure que son projet se précise, en même tems qu’il cherche s’imprégner de l’emplacement retenu.  Après avoir présenté un modèle réduit du monument, il peut s’atteler à sa finalisation. Pour ce faire, son choix s’est porté sur  une carrière, située à Vilhonneur-Raillat (Charente) où la taille sera réalisée  directement sur place, à partir d’un bloc de 26 tonnes. Le Centre républicain s’était alors voulu à nouveau rassurant en revenant sur la fait  que  la pierre choisie était « une matière extrêmement résistante, susceptible de durer autant que le marbre  le meilleur et qui ni le froid ou le gel, ni son poids propre ne peuvent détériorer ». À intervalles réguliers, le même journal tiendra ses lecteurs au courant de  l’évolution de la situation. 

• Une fois achevée, la statue mesure 3 mètres sur 1,6 mètre de hauteur, pour un poids de 7 tonnes. Il restait à la transporter à Montluçon et à l’installer à l’emplacement prévu, ce qui fut fait sur un camion plateau, le 22 juillet 1948, à trois jours seulement de l’inauguration. En à peine deux heures et en présence de nombreux curieux,  elle est placée sur son socle par les ouvriers de la marbrerie Mourier, avant d’être masquée par une bâche. Devant le résultat,  Maximilien Gauthier peine à cacher son enthousiasme dans l’article qu’il rédige pour Le Centre Républicain :  l’œuvre de Yencesse « à la fois traditionnelle et moderne, a toute l’austère et palpitante poésie des grands gisants du moyen âge, des Christs descendus de la croix (sic), que l’on porte au tombeau. L’animation des draperies rappelle davantage le lyrisme des formes (…) de la Renaissance. Elles ajoutent à la relation authentique du fait brutal des rythmes linéaires, un jeu souverain d’ombres et de lumière dont on ne saurait contester la grâce, ni la puissance décorative (…) ». Et il n’hésite pas à conclure que « c’est une réussite que l’on citera parmi les plus complètes de l’art contemporain ». Dans cette description dithyrambique, Maximilien Gauthier émet toutefois une petite réserve : « Le visage de l’homme qui va mourir est ressemblant puisque ceux qui l’ont tant aimé (…) le reconnaissent, encore que légèrement stylisé ».

• Sur le socle de la statue, on a décidé de  graver le texte de la citation de Marx Dormoy à l’ordre de la nation, en date du 27 novembre 1946 : «  Ardent patriote et grand serviteur du pays qui, dès juillet 1940, prit position contre le gouvernement de Vichy et conserva toujours une foi inébranlable dans la victoire finale. Arrêté le 25 septembre suivant comme chef de l’opposition dans l’Allier et adversaire résolu du fascisme, il fut lâchement assassiné  le 26 juillet  1941, après avoir toujours donné  le plus bel exemple d’espoir et de sacrifice ». Enfin sur une plaque fixée à l’avant du monument, on pouvait lire : « À Marx Dormoy, maire de Montluçon, ses concitoyens, ses camarades, ses amis ».

2- L’INAUGURATION DU MONUMENT
CÉRÉMONIE « ŒCUMÉNIQUE »
OU « MANIFESTATION PARTISANE »?
(25 JUILLET 1948)

• L’inauguration a été fixée au dimanche 25 juillet 1948, à l’occasion du septième anniversaire de la mort  de Marx Dormoy, dont les assassins n’avaient toujours pas été jugés, à cette date. Le climat politique n’a plus rien à voir avec celui de décembre  1945 et l’heure n’est plus à l’unité qui avait présidé aux funérailles. La guerre froide vient de commencer, et les  crises ministérielles qui se sont succédé, avec dix gouvernements en moins de trois ans,  ont poussé à la formation de coalitions. C’est la  Troisième force (1947) dans laquelle le parti socialiste SFIO s’est rallié à l’UDSR, aux radicaux et au Mouvement républicain populaire. Elle vise à former une majorité face à  une double opposition, celles du parti communiste et du Rassemblement du peuple français, du général de Gaulle. 

• Ce contexte explique que l’inauguration du monument de Marx Dormoy ait attiré nettement moins de monde que ses obsèques et, comme le note avec raison André Touret, ce sont les militants et sympathisant socialistes qui ont constitué le gros de l’assistance. Contrairement à l’esprit d’unité qui avait présidé aux obsèques de 1945, beaucoup verront dans cette inauguration une manifestation politique orchestrée par la SFIO. La veille de la cérémonie montluçonnaise, dans la cour d’honneur du ministère de l’intérieur, à Paris, et en présence de Léon Blum et de Jeanne Dormoy,  une plaque commémorative a été dévoilée, face à celle dédiée à la mémoire de Georges Mandel, lui aussi assassiné en 1944.   Vincent Auriol, Édouard Herriot et Jules Moch assistaient  à la cérémonie, ce dernier saluant la mémoire et la carrière courageuse d’un homme qui « préférait mourir plutôt que de vivre asservi ». 

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◘ 27 juillet 1948: Le Centre Républicain donne un long compte-rendu de l’inauguration de la statue de Marx Dormoy…sur fond de crise ministérielle

• Comme en 1945, Le Centre Républicain a largement ouvert ses colonnes à l’événement, en y consacrant  plusieurs pages , depuis sa préparation jusqu’à sa réalisation. La solennité est au rendez-vous avec les mâts qui ont été dressés sur l’avenue Marx-Dormoy et sur le boulevard de Courtais pour faire flotter le drapeau tricolore. Une tribune officielle a été construite à l’extrémité de l’avenue, face au monument, et un soin particulier a  été apporté à la décoration du square. Léon Blum, André Blumel et Daniel Mayer, qui avait contribué à la reconstitution d’un parti socialiste clandestin sous l’Occupation,  sont aux côté de Jeanne Dormoy, de François Carrias et de Lucien Menut, anciens de la municipalité Dormoy. Lucien Menut a été élu maire en juin 1946, après la démission de René Ribière. Vincent Auriol, qui avait été interné à Pellevoisin puis à Vals-les –Bains,  entre septembre 1940 et mars 1941  et qui était devenu le premier président de la IVè république, aurait dû être présent. C’est la crise ministérielle provoquée par la chute du ministère Robert Schuman, qui l’avait  retenu à Paris. Autre absent de marque, Jules Moch. Le ministre de l’Intérieur, qui avait sévèrement réprimé les grèves de 1947, s’est fait représenter par son épouse.  

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◘ Le Centre républicain (27 juillet 1948): « L’émouvant hommage de Léon Blum à la mémoire de Marx Dormoy, héros de la Démocratie et du Socialisme« 

• Dès le matin, deux cérémonies  avaient eu lieu au cimetière de l’ouest, avec dépôts de gerbes. La première, qui se voulait un double hommage à Marx Dormoy et à son père Jean Dormoy, en même temps qu’à Paul Constans, avait été organisée par les militants socialistes montluçonnais, auxquels s’étaient joints des représentants des personnels municipaux. La seconde, en fin de matinée, s’était déroulée en présence du préfet de l’Allier Robert Fleury.

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◘La cérémonie officielle du 26 juillet 1948 (© archives La Montagne)

 • C’est dans l’après-midi que va se dérouler la partie officielle de la cérémonie inaugurale. Le premier à prendre la parole est François Carrias, président du comité d’érection du monument. Il annonce d’emblée  la remise officielle du monument à la ville. Après être redescendu de la tribune, il se rend entre deux rangées d’agents de police, gantés de blanc, au pied du monument, afin de faire tomber le voile qui le recouvrait. La sonnerie Aux champs retentit, suivie de  La Marseillaise, interprétée par l’Harmonie municipale.  Lucien Menut, ancien adjoint et ami de Marx Dormoy, tout comme François Carrias, lui succède à la tribune. Il s’agit pour lui de rappeler à la fois l’action municipale de Marx Dormoy, avec les transformations de la ville, « dégagée des routines », entre 1926 et 1940, et sa « lourde tâche de ministre de l’Intérieur ». Entre les deux, il rappelle aussi qu’il avait parcouru une large part de l’éventail politique, du conseil général jusqu’au sénat et qu’il y avait « imprimé la marque de sa puissante personnalité ».

Inauguration monument Dormoy 2 Blum et Lucien Menut

◘ Lucien Menut, maire de Montluçon, soutenant Léon Blum (© Archives La Montagne)

• Lorsque Léon Blum monte à la tribune, soutenu par Lucien Menut,  c’est pour retracer son action déterminante dans le démantèlement de la Cagoule  et son mérite d’avoir « étouffé cette conjuration mortelle, par sa clairvoyance, par son énergie et son intrépide résolution ». Et d’ajouter que « la mesure exacte du service qu’il rendit alors à la République et à la Patrie, on la trouve dans la haine inexpiable qu’il inspira à leurs ennemis ». En même temps, il rappelle à l’assistance  « sa démarche rapide et désinvolte » dans les rues de la cité, «  se retournant parfois en pivotant sur lui-même d’un geste brusque, pour un clin d’œil amical ou pour un serrement de main ».

Inauguration monument Dormoy 4 Tribune des officiels

◘La tribune des officiels (© Archives La Montagne)

• Enfin, Léon Blum  retrace  les journées tragiques de juin 1940 et le sens de l’amitié  dont Marx Dormoy avait fait preuve,  avec « l’hospitalité  aménagée pour (lui) dans la maison de son ami Talbourdeau, où se trouvaient déjà la femme de (s)on fils et (s)a petite-fille ». Sans oublier les allées et venues en compagnie de Marx Dormoy entre Commentry et Vichy,  dans la première décade de juillet 1940.    La Montagne (26 juillet) notera que « à sa descente de la tribune M. Léon Blum,  très ému a donné l’accolade à Mademoiselle Jeanne Dormoy, sœur du ministre disparu ». Une réception à l’hôtel de ville mettra un point final à cette journée. Désormais, avec la tombe au cimetière de l’ouest, le monument de l’avenue Marx Dormoy  sera au centre des commémorations qui vont s’y succéder chaque année. Commémorations dont le nombre de participants ira en s’étiolant, au fil des décennies, au gré de la disparition des témoins et des proches, avec le risque que la mémoire de l’homme politique ne se dilue au fil des nouvelles générations.

Inauguration monument Dormoy 5 Blum sortant de l'hotel de ville

◘ Léon Blum, sur les marches de l’hôtel de ville (© Archives La Montagne)

• Dès le lendemain de l’inauguration du monument, Le Centre républicain, parlant d’une « foule nombreuse », consacre sa une à la cérémonie, avec portrait de Marx Dormoy, et deux pages entières, dans lesquelles sont retranscrits presque in extenso  les différents discours officiels, dont celui de Léon Blum. Elles sont surmontées d’une citation empruntée à ce discours et imprimée en gros caractères : « Les assassins  avaient fait de lui une victime héroïque de la démocratie et du socialisme. Nous faisons de lui un de nos héros, héros de la France et de la république ».

• Le journal reproduit également le poème d‘hommage spécialement composé par le vieux chansonnier Montéhus, l’auteur de Gloire au 17ème, qu’il a pu déclamer lors de la réception finale à l’hôtel de ville : « Grand défenseur de la démocratie : Bravant sans peur menaces et calomnie / Des cagoulards démasquant le complot/ Il épargna à la France un Franco ». Un poème qui se conclut ainsi : « À vos enfants, racontez son histoire / Pour qu’elle soit gravée dans leur mémoire/ Et que son nom, le nom d’un grand Français/ Dans son pays ne s’efface jamais ». Le 26 juillet Le Journal du Centre à Moulins  consacre lui aussi  un article à l’inauguration, reprenant pour l’essentiel, le discours de Léon Blum. Même tendance pour La Montagne qui, après un résumé succinct publié le 26 juillet, y revient plus longuement le jour suivant. Là encore, la majeure partie de l’article est  constituée par une reprise du discours de Léon Blum, qu’une photo représente soutenu par Lucien Menut. Dans la presse nationale, le récit de l’inauguration ne donne lieu le plus souvent qu’à quelques lignes factuelles. Les journaux sont alors bien plus préoccupés par la nouvelle crise ministérielle qui vient de s’ouvrir.

L'avenue Marx Dormoy avec la statue inaugurée en 1948

◘ Le monument à son emplacement initial, de 1948 à 1963

• Cette image d’une unanimité apparente autour de la mémoire de Marx Dormoy, que  donnent ces journaux, ne reflète cependant pas la réalité. Elle  connaît même de sérieuses notes discordantes. Dans le quotidien communiste Valmy, publié à Moulins, on ne fait évidemment pas même lecture de la cérémonie, dans laquelle on veut d’abord voir une manifestation de propagande orchestrée par le  parti socialiste  dans le but de légitimer ses choix gouvernementaux. Dès le 21 juillet, Henri Védrines avait donné le ton en signant un article intitulé « Ni dupes, ni complices ». Il y  expliquait pourquoi « les élus communistes ne sauraient s’associer à une manifestation étroitement partisane (…). Nous avions proposé de faire de cette inauguration une grande manifestation d’union patriotique et républicaine. Les organisateurs ne nous ont pas suivis. Ils en ont fait une manifestation étroitement partisane. Ils ont voulu en conserver le monopole, écrit Henri Védrines. C’est leur droit. C’est aussi le notre de ne pas être dupes. Notre présence au 36ème rang aurait rendu l’opération moins voyante. Notre silence aurait permis aux faillis de la Troisième Force de noyer sous leurs flots d’éloquence la lourde responsabilité qui est la leur dans la politique de démission nationale et de ruine qui pèse si lourdement sur les épaules de travailleurs ». Après avoir déploré que « les socialistes de droite soient prêts, une fois de plus, à sacrifier l’intérêt national sur l’autel de  l‘anticommunisme et de l’antisoviétisme », il concluait ainsi : « Les travailleurs socialistes eux-mêmes ne comprendraient pas  que nous nous fassions les complices de cette politique. C’est pourquoi les élus communistes s’abstiendront  de participer à la manifestation ».

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◘ Le quotidien communiste Valmy (Moulins) salue en Dormoy « une victime du fascisme » mais dénonce « le caractère de propagande socialiste » de la cérémonie

• Dans le compte-rendu de la cérémonie  officielle, publié le 26 juillet, Valmy restera sur la même position  en titrant l’article  « Manifestation Troisième force – RPF ».  L’inauguration  qui « eût dû revêtir un caractère de large union républicaine (…)  ne fut que partisane et anti-laïque. Les élus communistes qui ont refusé de s’associer à une telle manifestation ont été parfaitement compris de la population qui n’y a pas assisté nombreuse. Elle revêtait en effet un caractère de propagande socialiste car seuls trois orateurs y prirent la parole, Carrias, Menu (sic) et Léon Blum qui fut accueilli par quelques maigres applaudissements. Après la cérémonie qui se déroulait selon la tradition socialiste de Moch, en présence d’un  fort contingent de CRS, la population se rendit par petit groupe au pied du monument, marquant ainsi son désaccord avec ceux  qui, après avoir rendu hommage à la victime du fascisme, font le jeu des assassins en se liguant avec les hommes qui nous ont conduits à la catastrophe ».

• On est donc bien  loin de la « communion populaire » qui avait présidé aux obsèques de 1945 mais on notera aussi que pour le parti communiste, ce n’est pas tant l’hommage à Dormoy qui est critiqué,  puisqu’on lui reconnaît bien  le statut de victime du fascisme. C’est avant tout la récupération –instrumentalisation réelle ou supposée de sa mémoire qu’en aurait faite  la SFIO, dans une volonté de justification  de sa participation à la troisième force.  Dans un recueil  intitulé La vie commence à 50 ans, Pierre Valignat, instituteur, peintre et militant communiste, qui avait été candidat face à Isidore Thivrier en 1936, aura même des mots particulièrement durs. Dans un poème, intitulé La quête du matin, il voit dans le monument  «La statue d’un pauvre type, qui se croyait quelqu’un (qui) est toujours couchée sur le flanc en attendant qu’on la foute au rencart » (sic). 

3- LE RITUEL DES ANNIVERSAIRES

ET DES COMMEMORATIONS

• Dans les années qui suivent, chaque 26 juillet (ou à une date approchante) on va désormais célébrer l’anniversaire de l’assassinat de Marx Dormoy  en suivant un protocole bien rôdé : un hommage de la SFIO au cimetière de l’ouest, ainsi qu’un hommage de ses amis et de ses proches, au même endroit, le matin. L’après-midi est réservé à l’hommage officiel des élus, des personnalités et des corps constitués, devant le monument de l’avenue. Jeanne Dormoy, Georges Rougeron, François Carrias, Lucien Menut, René Ribière, André Southon figurent parmi les personnalités politiques les plus assidues.

• 1951: Xè ANNIVERSAIRE
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◘ Le Centre républicain (27 juillet 1951)

77 - Dormoy CR 27 juillet 1951 (2)• La cérémonie peut prendre davantage d’ampleur lorsqu’il s’agit d’un 10ème ou d’un 20ème anniversaire. En juillet 1951, pour les 10 ans de  l’assassinat, un programme spécial a été élaboré, largement relayé une fois de plus par le journal Le Centre Républicain, « quotidien populaire d’information », mais encore  proche de la SFIO.  René Ribière en est toujours le directeur et Georges Rougeron y donne régulièrement des articles.  Dans son édition du 27 juillet 1951, le journal annonce la venue de Salomon Grumbach « qui fut interné avec Marx Dormoy en 1940 (et qui) évoquera sa mémoire au cours de la soirée au Théâtre Municipal ».

• Une page entière, dont la moitié est occupée par une série de photographies, évoque trois temps forts de la vie de  Marx Dormoy. C’est d’abord Georges Rougeron qui traite de l’action du Maire de Montluçon. Un article qui, curieusement sera presque repris mot à mot dans le même journal, devenu Centre matin, à l’occasion du 20è anniversaire, en 1961 : «  S’il n’avait été un organisateur tel qu’il le fut, écrit Georges Rougeron,   sans doute sa ville ne serait-elle point devenue telle qu’elle est. Il lui a tout donné : son intelligence, sa clairvoyance avisée, son labeur persévérant, sa vie même, car s’il n’avait pas voulu demeurer avec ses concitoyens, aux heures de péril nous pourrions le compter encore parmi nous. Vingt années sont passées, rien ne s’est effacé. Pour nous qui furent (sic) ses collaborateurs, demeure vivant l’honneur d’avoir servi et appris à ses côtés, avec l’enseignement qui doit éclairer  nos pas pour aller de l’avant sur le chemin qu’il a tracé ».

• Pour faire bonne mesure, la même page comporte un large extrait du discours d’hommage prononcé par Léon Blum en 1948 ainsi qu’un passage d’une lettre que Marx Dormoy lui avait adressé le 30 décembre 1940 depuis Pellevoisin où il achevait son troisième mois d’internement administratif et d’isolement. Le 28 juillet, jour même de la cérémonie, André Southon, maire de Montluçon lance dans Le Centre Républicain un appel aux Montluçonnais : « Je suis persuadé, écrit-il, que tous les Montluçonnais auront à cœur de participer à cette cérémonie destinée à honorer la mémoire du grand homme dont Montluçon est légitimement fier ».

• Le compte rendu de cette journée paraîtra dans l’édition du 30 juillet 1951, avec l’évocation de trois temps forts que sont  la projection du film  La dernière vague, l’intervention d’André Southon et celle de Salomon Grumbach. Le film « retrace toute l’histoire de France et du mouvement ouvrier durant plus de six lustres », avec de grands épisodes : Jean Jaurès et son assassinat, la victoire de 1918, le refus de la SFIO d’entériner le traité de Versailles, la crise économique de 1929, le gouvernement de Front Populaire ». Le discours de Salomon Grumbach, lui, mêle considérations mémorielles et arrière-pensées politiques. Selon le Centre Républicain (30 juillet 1951), « il a apporté à l’assistance une merveilleuse moisson de souvenirs inédits sur Marx Dormoy, prisonnier d’état (…) qui ne s’est jamais allé à la moindre faiblesse à l’égard du pouvoir de fait ». La suite prend la forme d’un plaidoyer visant à justifier les choix de la SFIO au début des années 1950 : « Si Marx Dormoy était encore parmi nous, il serait l’un des plus fermes soutiens de la politique de sécurité collective et de fermeté à l’égard des puissances totalitaires qui est actuellement celle du Parti socialiste ». De l’art de faire parler le défunt…

• 1961: 20 ANS DÉJÀ…
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Centre Matin (26 juillet 1961)

• Dix ans plus tard, lors du XXè anniversaire, Centre matin lui consacre une page entière, affirmant en titre que « Le souvenir de Marx Dormoy demeure vivant dans la mémoire des Montluçonnais »…Des Montluçonnais seulement, serait-on tenté de demander ? Dans cette page rehaussée de trois photos, Georges Rougeron ne fait que reprendre l’article qu’il avait publié en 1951 sur l’action municipale de Marx Dormoy. La transition entre  mémoire locale et mémoire nationale se fait par la publication de l’intervention de Marx Dormoy lors du dernier conseil municipal, tenu peu de temps avant son arrestation. Un autre article revient sur sa position face aux accords de Munich, lui conférant le statut d’homme politique clairvoyant face aux grands enjeux de l’époque. Enfin, son assassinat n’est pas directement évoqué, mais la reproduction en fac-similé d’une lettre écrite pendant sa captivité à Pellevoisin tend à montrer qu’il « n’a jamais désespéré de la liberté ».

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• Entre ces temps forts décennaux, le compte rendu des cérémonies commémoratives est devenu un passage obligé pour la presse locale, presque un “marronnier”. Le cadrage est toujours le même : mention des deux cérémonies, la non officielle au cimetière de l’ouest, et l’officielle devant son  monument. Le tout est illustré généralement avec deux photos marquant « le recueillement de l’assistance » et prolongé par la publication de la liste des personnalités. D’une année à l’autre, la liste des fidèles reste presque immuable.

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◘ Les membres du comité d’érection de la statue en 1961, lors du XXè anniversaire de l’assassinat

• Un cérémonial qui finit par s’inscrire dans une certaine  routine mais dont le retentissement ne dépasse plus guère l’espace montluçonnais. La montée en puissance de la cérémonie commémorant à Vichy, chaque 10 juillet,  le vote des 80 parlementaires contre l’attribution des pleins pouvoirs au maréchal Pétain, permettra d’associer la mémoire de Dormoy à celle des 79 autres parlementaires qui firent le choix de voter contre.

IV- LA MÉMOIRE « CHAHUTÉE »,
LES DERNIERS « COMBATS »DE JEANNE DORMOY
 1-  LE TEMPS DES DÉCEPTIONS

ZZRougeron (2)• Entre les obsèques de son frère en 1945, l’inauguration du monument en 1948, les décorations posthumes et la citation à l‘ordre de la nation, sans oublier la multiplication du nombre des  rues et avenues portant son nom, l’avenir pouvait sembler radieux pour Jeanne Dormoy, « gardienne de la mémoire » de son frère.  Le 14 décembre 1953, la municipalité dirigée par André Southon, avait encore décidé de  donner le nom de Marx Dormoy à l’école de la rue Damiette qu’il avait fréquentée jusqu’à l’âge de 12 ans. En 1956, Georges Rougeron publiait la toute première notice biographique retraçant en une quinzaine de pages le parcours de son ancien « patron » à la mairie de Montluçon et à la SFIO. Un récit oscillant entre  histoire et mémoire.

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◘ 1950: la première cérémonie officielle à laquelle assiste  André Southon (à gauche), en tant que maire, en présence de Jeanne Dormoy

 

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◘ Septembre 1953: Jean Bougret, peintre et sculpteur, présente à Jeanne Dormoy le buste qu’il a réalisé

Numérisation_20210710 (2)• Pourtant, plusieurs faits vont venir « chahuter » cette mémoire, suscitant l’ire de Jeanne Dormoy et la rupture avec la municipalité. La première déconvenue est liée à l’inauguration de l’École nationale de l’enseignement technique, le 7 juin 1956. Si l’établissement a pu sortir de terre, grâce à l’action de la municipalité  d’André Southon qui en avait posé la première pierre en 1951,  c’est à Marx Dormoy qu’en revenait l’idée première.  Dès le milieu des années 1930, il avait  envisagé de regrouper sur un même site et sous une même direction  des formations professionnelles de niveaux différents, dispersées entre l’Ecole nationale professionnelle et le collège technique  industriel (dans les locaux du lycée de garçons),  le collège technique commercial et les centres d’apprentissage masculin et féminin.  Le projet avait commencé à se concrétiser en 1937 : alors que Marx Dormoy était ministre de l’Intérieur, il avait réussi à décrocher l’agrément de Jean Zay, son collègue ministre de l’éducation nationale. L’étape suivante avait consisté dans l’achat par la commune, en 1938,  d’un terrain de  13 hectare,  situé à la ferme du Cluzeau, à proximité de la caserne Richemont. Tout était donc prêt pour que le nouvel établissement soit construit, lorsque la guerre avait éclaté, remettant le projet à plus tard.

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◘ L’inauguration du lycée technique: ce sera le lycée Paul-Constans et non pas Marx-Dormoy, comme l’aurait souhaité Jeanne Dormoy

• Aux yeux de Jeanne Dormoy, il paraissait donc légitime que l’on donne le nom de son frère au lycée technique. Or, il n’en fut rien et on lui préféra le nom de Paul Constans. Lorsque le ministre de l’éducation  René Billières coupe le ruban inaugural, si Maurice Constans, fils de Paul Constans est bien là, Jeanne Dormoy, elle,  est absente. Dans son discours, André Southon a toutefois bien pris le soin de mentionner Marx Dormoy, son « éminent prédécesseur (qui) désirait qu’une véritable école nationale professionnelle  fût créée », mais rien de plus. Il est vrai que la municipalité avait beau jeu d’arguer du fait que Marx Dormoy avait déjà une avenue dédiée à son nom depuis 1944 et une école depuis 1953.

2 – LE TEMPS DE LA RUPTURE
ENTRE JEANNE DORMOY ET LA MUNICIPALITÉ

• Ce n’est toutefois qu’à partir des années 1960 que survient  la rupture entre la municipalité et Jeanne Dormoy. Parmi les projets auxquels tenait Marx Dormoy, dans le cadre de la transformation et de l’embellissement de la cité, figurait le prolongement de l’avenue de la gare (avenue Wilson avant guerre) jusqu’au pied du Vieux château. Pour ce faire, il fallait non seulement abattre des immeubles  en bordure du boulevard de Courtais, mais aussi raser un ensemble d’habitations vétustes, situées à l’arrière, pour dégager une place, qui mettrait en valeur le château. D’autres projets d’aménagement  ayant été jugés plus urgents et la guerre étant survenue, le dossier était resté dans les cartons…mais pas abandonné pour autant.

Jea nègre• Il resurgit au début des années 1960, alors que Jean Nègre (photo ci-contre) vient d’être élu maire. Comme son prédécesseur, il appartient à la SFIO, mais il est le premier maire d’après guerre à n’avoir eu aucun lien direct avec Marx Dormoy. Nommé professeur d’anglais au lycée de garçons de Montluçon en 1940, il ne l’a jamais rencontré ni seulement croisé.  Entre les expropriations à réaliser, les immeubles à abattre et les aménagements à faire, la facture risque d’être lourde pour les finances municipales, à moins que ces dépenses ne soient allégées par un financement privé. Or, la société pétrolière  Standard Oil (Esso), face à l’essor de l’automobile, ne cache pas qu’elle souhaiterait implanter une station service en centre ville, avec une préférence pour l’extrémité de l’avenue Marx Dormoy… à l’emplacement du monument.

• Jean Nègre, qui sait que le sujet est plus que sensible avance ses premiers pions, dès juillet 1960, en évoquant le projet et en annonçant que la société Standard Oil serait prête à financer l’acquisition des trois immeubles donnant sur le boulevard de Courtais, tout en « désintéressant » financièrement les titulaires des baux commerciaux. La  société pétrolière prendrait même à sa charge le déplacement du monument qui libérerait ainsi la place pour la construction d’une station service. En décembre 1960, le conseil municipal est appelé à examiner les conditions détaillées de l’opération, ce qui ne soulève lors guère d’opposition en son sein. Avant de passer à l’étape de la concrétisation, Jean Nègre qui veut anticiper une éventuelle réaction de Jeanne Dormoy, a pris deux précautions.

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◘ Pierre Pradel

• Il a d’abord pris soin de consulter Pierre Pradel, Montluçonnais d’origine et conservateur en chef au musée du Louvre. Dans une lettre datée du 22 mai 1961, non seulement ce dernier  approuve le projet  de prolonger l‘avenue jusqu’aux soubassements du château, mais il souscrit pleinement à l’idée d’un transfert du monument au pied du château : « Mon avis personnel, que je ne cache pas, est qu’il serait bien à sa place (…) à cet endroit. Pour la mémoire même de Marx Dormoy (…) cela ne constituerait pas, je crois,  une désaffection. Au contraire, son monument se placerait au fond de l’avenue qui porte son nom, comme au terme d’une voie triomphale. Il serait beaucoup plus dans une atmosphère de recueillement convenable qu’au centre d’une circulation tournante ».

• Pierre Pradel y ajoute des considérations d’ordre esthétique et technique, suggérant que le sculpteur Yencesse avait conçu le monument davantage  « comme une œuvre destinée à être vue de loin, en bas, de face et adossée que comme une statue de place ». Et d’ajouter que « les gisants, et c’en est un, gagnent à être surélevés, détachés sur un fond »… que pourraient donc constituer les soubassements du château. Pierre Pradel conclut que « une fois l’opération réalisée, l’immense majorité de nos compatriotes se rallieraient à ses vues ». La question de l’inadéquation de l’emplacement d’origine n’était pourtant pas un élément nouveau. En 1960, Paul Jourdain adjoint aux beaux arts, membre du comité d’érection du monument, avait expliqué lors d’un conseil municipal  que, dès l’origine, le sculpteur avait été gêné par l’emplacement choisi mais qu’il s’était senti obligé de se plier  aux directives de Jeanne Dormoy et de Léon Blum.

• Seconde précaution, celle de consulter les membres survivants du  comité d’érection du monument, pour obtenir leur caution. Le 7 octobre 1962, ils ont donné leur accord à l’unanimité, moins une voix…Celle de Jeanne Dormoy. Pour faire bonne mesure, la commission départementale en charge des sites historiques donnera elle aussi son aval, l’année suivante, soulignant même que l’emplacement initial présentait l’inconvénient  de laisser voir  l’arrière du monument, ce qui ne serait plus le cas en le plaquant contre les soubassements du château.

• Forts de ces avis autorisés, les élus examinent le 7  janvier 1963 le projet d’ensemble, incluant le déplacement du monument, qui est approuvé lui aussi à l’unanimité moins une voix. L’affaire semble bouclée, mais c’est compter sans la réaction de Jeanne Dormoy, gardienne vigilante de la mémoire de son frère. Pour elle, malgré tous les avis favorables qui ont été émis, remplacer le monument par une station service, c’est montrer le peu de cas que l’on fait de la mémoire de son frère. André Touret précise, en outre, que « Jeanne Dormoy s’était éloignée  de la SFIO pour  des raisons de politique générale et de politique locale (et qu’elle) n’éprouvait pas de sympathie pour le maire de Montluçon ». On retrouve d’ailleurs chez elle de nombreuses attaques cristallisées sur la personne de Jean Nègre que l’on peut résumer ainsi : comment  un maire socialiste pouvait-il donner priorité au capitalisme en négociant avec Standard Oil, ce que Marx Dormoy n’aurait, selon elle, jamais fait, oubliant de la sorte la classe ouvrière qu’il était censé représenter ?

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◘ Le monument transféré au pied du vieux château: mise en valeur ou mise à l’écart?

• Devant une décision qui paraît plus qu’irrévocable, Jeanne Dormoy entend bien ne pas céder. Pour bloquer  le projet, elle va déposer plusieurs requêtes devant le tribunal administratif de Clermont-Ferrand, destinées à faire annuler la délibération  municipale prise en janvier et à faire surseoir aux travaux. Elle appuie sa demande sur le fait qu’un déplacement causerait des dommages irréparables au monument et qu’une délibération datant de 1948 stipulait que l’emplacement retenu pour installer la statue l’était « à titre définitif et perpétuel ». Les défenseurs de la municipalité soulignent que, au contraire, l’emplacement avait toujours été considéré comme provisoire dans l’attente d’un prolongement de l’avenue jusqu’au château, comme l’avait envisagé Marx Dormoy lui-même, avant guerre. Le tribunal ne retiendra pas l’argumentation et rejettera les deux requêtes, suscitant chez Jeanne Dormoy la volonté de poursuivre son combat en même temps qu’un inextinguible ressentiment.

3- JEANNE DORMOY DÉSORMAIS ABSENTE
DES CÉRÉMONIES OFFICIELLES JUSQU’À SA DISPARITION

• Pendant encore cinq années, y compris après le transfert, elle va introduire des recours dont aucun ne sera  jugé recevable, l’affaire n’étant définitivement close qu’en 1968 : « La rupture était dès lors consommée entre Jean Nègre et la sœur de Marx Dormoy qui défendait avec passion la cause de son frère (…). L’opposition de Mlle Jeanne Dormoy était une opposition à la politique municipale de Jean Nègre mais aussi une défense de la mémoire de son frère  qu’on avait, selon elle, tendance à oublier (…). Le traitement infligé au monument était pour elle une nouvelle atteinte faite à celui qui fut le ministre de l’intérieur du Front Populaire », résume André Touret.

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◘ 26 juillet 1963: le nouvel emplacement de  la statue de Marx Dormoy inaugurée

• On ne s’étonnera donc pas que Jeanne Dormoy ait refusé d’assister à la cérémonie du 26 juillet 1963, à l’occasion  du 22ème anniversaire de l’assassinat de Marx Dormoy  et de l’inauguration du nouvel emplacement. En présence de Georges Rougeron, sénateur-maire de Commentry, président du conseil général mais aussi ancien secrétaire de Marx Dormoy, Jean Nègre va  chercher dans son discours à légitimer le bien fondé de la décision prise, en rappelant toutes les étapes du processus : Et de préciser: « Nous ne pensons pas avoir trahi, tout au contraire, les intentions du grand artiste Yencesse. Bien plus et surtout nous avons voulu mieux honorer celle-ci en situant sa figuration symbolique dans un cadre qui est déjà considéré par tous comme exceptionnel ».  

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◘ Une station service en lieu et place du monument… Un choix inacceptable pour Jeanne Dormoy

• Quant à sa conclusion, elle se voulait définitive : « C’est une affaire qui regarde les seuls amis de Marx Dormoy, et les Montluçonnais qui conservent son souvenir. Que ceux qui aujourd’hui seraient, s’il était vivant, ses pires ennemis,  aient au moins la pudeur de garder le silence ».  Deux ans plus tard, l’avenue Marx Dormoy verra l’installation d’un nouveau monument,  avec le transfert depuis le square Fargin-Fayolle du monument aux morts de la ville. Dédié à l’origine,  aux 1082 Montluçonnais tombés pendant la grande guerre,  il y était installé depuis 1922. Cette fois-ci, c’est la construction d’une gare routière qui avait justifié  ce déplacement. Jeanne Dormoy, qui s’abstiendra à partir de 1963 de participer aux cérémonies commémoratives annuelles, disparaîtra le 5 août 1975, rejoignant son frère dans la tombe du cimetière de l’ouest.

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◘ Montluçon Notre ville (7 juillet 2005)

• Les tribulations du monument n’étaient toutefois pas terminées. En mars 1994, il devait faire l’objet d’un glissement  de quelques mètres vers la droite,  se retrouvant ainsi excentré et renfoncé dans l’angle sud-est de la place avec la rue des Serruriers. Il s’agissait  alors de  libérer l’accès à l’escalier qui avait été construit pour mener à l’esplanade. La décision a été prise par la municipalité dirigée par le maire communiste,  Pierre Goldberg, sans que cela suscite des protestations massives,  même si quelques années plus tard le magazine municipal  Montluçon Notre Ville (7 juillet 2005) parlait  à propos de ce bref déplacement d’un «exil qui romp(ai)t la perspective initiale et plonge(ait) progressivement la statue – et l’homme –  dans l’oubli d’un emplacement trop confidentiel ». Périodiquement, il faudra refaire l’avant-bras droit ou  la main droite du gisant, mutilés par des actes de vandalisme. Pour la seule période comprise entre 2005 et 2015, on n’en comptera pas moins de cinq. Mais ces “errances” du monument n’en étaient pas pour autant terminées, puisque, comme on le verra, la statue devait revenir en 2005 à quelques mètres de son emplacement d’origine.

4- UN TIMBRE MÉMORIEL QUI PROMEUT ANNE MOURRAILLE
AU RANG DE « COMPAGNE » DE MARX DORMOY

s-l500 (2)• En 1984, l’administration postale, à son tour, souhaitant  rendre hommage à la mémoire de Marx Dormoy, décide d’émettre un timbre à son effigie. Si sa représentation, somme toute classique, n’a pas suscité de réaction, c’est une phrase glissée dans le texte de présentation qui a fait grincer quelque peu et on imagine ce qu’aurait pu être la réaction de Jeanne Dormoy, si elle avait été encore en vie. On pouvait lire notamment que  « arrêté  et interné, Marx Dormoy sera victime d’un attentat fomenté par sa compagne Anne Mourraille liée à la Cagoule ».

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◘ Si l’édition du timbre en hommage à Marx Dormoy fait l’unanimité, il n’est est pas de même du texte d’accompagnement…

• Déjà en 1970, lors de la sortie du livre de Philippe Bourdrel, le tout premier consacré à l’histoire de la Cagoule, Jeanne Dormoy avait fait entendre sa voix. Alors que l’historien soutenait qu’Anne Mourraille avait sans doute fini par séduire Marx Dormoy, elle lui avait écrit pour lui demander de retirer ce passage, qu’elle jugeait à la fois inexact et attentatoire à la mémoire de son frère. Ce que Philippe Bourdrel refusa de faire.  Pour elle, l’historien  avait donné crédit à ce qu’elle considérait comme des affabulations de la part d’’Anne Mourraille,  donnant ainsi  l’image d’un Dormoy léger, imprudent et inconscient face au danger.

V- LA MÉMOIRE DE MARX DORMOY, 

“MÉMOIRE COMMUNE ”

OU « MÉMOIRE DISPUTÉE »?

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◘ Georges Lacote (à gauche), lors des obsèques de Marx Dormoy

• Au fil des décennies, le temps va faire son œuvre  D’année en année, lors de la cérémonie d’anniversaire de l’assassinat, les personnalités «  historiques » disparaissent les unes après les autres à l’image de Jeanne Dormoy en 1975, de  René Ribière en 1995 ou de Georges Rougeron en 2003. C’est donc une autre génération d’élus et de personnalités qui n’ont pas côtoyé Marx Dormoy qui prend le relais, à un moment où la fréquentation de la cérémonie s’affaiblit. Lors des 30ème (1971), 40ème (1981) et 50ème (1991) anniversaires de la mort de Marx Dormoy, on ne retrouvera plus la mobilisation qu’avait pu susciter le 10ème anniversaire  (1951) et, dans une moindre mesure, le 20ème. C’est cette relative désaffection du public, qui a conduit Georges Lacote à fonder, en mars 1990, une Association des Amis de Marx Dormoy qui entendait bien ranimer la flamme mémorielle. Né en 1920, il avait  assisté aux obsèques de décembre 1945, en tant que secrétaire des jeunesses socialistes, aux côtés de son père, conseiller municipal, qui veillait le catafalque.

L'hommage annuel du parti socialiste à Marx Dormoy...

◘ Une mémoire disputée: L’hommage annuel du parti socialiste à Marx Dormoy…

...et celui de la municipalité de Montluçon

…et celui de la municipalité de Montluçon, alors dirigée par Daniel Dugléry, auteur d’un essai sur la vie de Marx Dormoy

• À l’aube des années 2000, la mémoire de Marx Dormoy va se muer en un héritage que l’ensemble des formations  politiques du bassin montluçonnais revendiquent, chacune renvoyant à l’autre l’accusation de « captation » d’héritage. Daniel Dugléry, élu maire de Montluçon en 2001, après une carrière qui l’avait conduit au ministère de l’Intérieur, en tant que directeur central de la sécurité publique, entend  s’inscrire dans la lignée de Marx Dormoy. C’est sous son premier mandat qu’est prise la décision de rapatrier le monument, depuis le pied du vieux château jusqu’à son emplacement initial, ou presque. La station service ayant disparu, avantageusement remplacée par des bassins et des jeux  d’eaux,  le gisant regagne en visibilité. Le transfert se déroule  le 29 juin 2005 et, pour Daniel Dugléry, c’est « une manière symbolique  de montrer l’attachement de la communauté à son histoire »

• Quelques mois plus tôt, un sondage réalisé auprès de plus de  2 600 Montluçonnais avait montré que 80% y étaient favorables : « C’est bien au titre de son attachement aux valeurs républicaine que Marx Dormoy (…) voit sa statue,  “loin d’être mise au rencart” reprendre sa place au cœur de notre ville. À l’instar de celle qu’il occupe dans la mémoire des Montluçonnais », lit-on dans le magazine Montluçon Notre Ville (7 juillet 2005). Si l’inauguration officielle, le 14 juillet 2005, suscite un regain de fréquentation des cérémonies mémorielles, il n’est cependant que provisoire.

ZZ Dugléery• En 2013, Daniel Dugléry qui a été réélu maire en 2008, poursuit cette réappropriation mémorielle en consacrant une biographie à son illustre prédécesseur, Marx Dormoy ou la force des racines.  La présentation qu’en fait l’éditeur, résume bien l’angle adopté par l’auteur: « Au cours de sa vie, Daniel Dugléry a eu maintes fois l’occasion de mettre, au sens propre, ses pas dans ceux de Dormoy : sous les auspices de son gisant lorsqu’il arpentait enfant les trottoirs de la plus belle avenue montluçonnaise ; dans les couloirs du ministère de l’intérieur où l’un fut ministre et l’autre directeur central de la sécurité publique ; plus tard, enfin, dans le bureau du maire de Montluçon où rien, ou presque, n’avait changé. Mais, bien plus qu’une concordance de lieux, les deux hommes ont en commun un sens exacerbé du devoir, l’amour de la république, et des racines montluçonnaises dont ils tirent leur force. Définitivement, le respect que Daniel Dugléry porte à Dormoy ne pouvait se satisfaire de l’hagiographie officielle, qui résume une vie à un assassinat et efface derrière l’icone du martyr de la foi socialiste une œuvre infiniment riche et combattive. A défaut de ressusciter l’homme, Daniel Dugléry ressuscite ici sa mémoire ».

ZZZTOuret• Les termes choisis sont sévères autant que  discutables, notamment lorsqu’il  est question d’hagiographie.  Si le mot peut s’appliquer en partie au récit de la vie de Marx Dormoy rédigé par Georges Rougeron en 1956, il paraît plus que contestable  pour la biographie écrite en 1998  par André Touret, qui en véritable historien, a été le premier à  mener un véritable  travail d’investigation. Pour la première fois, l’historien n’hésitait pas à montrer les faiblesses, les hésitations et les doutes qui avaient accompagné la carrière politique de Marx Dormoy. Quant à la formule « l’icone du martyr de la foi socialiste », on comprend qu’elle ait pu susciter quelque émoi auprès de ceux qui se réclamaient de cette « foi ». En rendant compte de la parution du livre, le journal La Montagne (12 décembre 2013) résumait bien l’enjeu: « Daniel Dugléry analyse l’itinéraire de son compatriote socialiste pour se présenter comme son « meilleur héritier ». A la veille des élections municipales le livre est déjà perçu comme un coup politique du maire qui tire dans les 248 pages à la fois sur les socialistes d’aujourd’hui et sur les communistes ».

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◘ Le monument restauré avant le 80ème anniversaire (photo Laurence Debowski)

VI- 26 JUILLET 2021 UN QUATRE-VINGTIÈME ANNIVERSAIRE

ET  UN RETOUR DE LA “MÉMOIRE UNIE” D’ORIGINECérémonie MD 26 07 2021 RMB 6

• Finalement, au-delà des polémiques et des intentions supposées ou réelles des uns et des autres,  après avoir semblé être une « mémoire accaparée »,  la mémoire de Marx Dormoy ne pourrait-elle par retrouver son statut initial de 1945, celui d’une  « mémoire commune et unie», chacun y trouvant ce qu’il vient y chercher. On serait  presque tenté de dresser un parallèle avec la mémoire du général de Gaulle, au plan national: dans le discours politique actuel, il n’est pratiquement pas un parti politique qui ne se réclame de son héritage global ou d’une partie de celui-ci, faisant de l’homme du 18 juin la référence incontournable du débat politique.  Ce qui est vérifiable pour  l’ancien fondateur de la Vè république, l’est aussi pour l’ancien ministre de l’Intérieur de Léon Blum. Aujourd’hui, dans le bassin montluçonnais, les formations politiques de gauche, comme le parti socialiste ou  le parti  communiste, affirment   se reconnaître dans tout ou partie de son héritage, tout autant que  la droite municipale, chacun y allant jusqu’à présent de son hommage et de son dépôt de gerbes. Incompatibilité ? Comportement d’héritiers abusifs ? Sans doute… Mais  si, après tout  ce n’était finalement que le reflet de l’universalisme des valeurs portées par Marx Dormoy et dans lesquelles tout démocrate qui se respecte ne peut que se reconnaître, le tout rehaussé par la destinée tragique du personnage devenu martyr… C’est ce qu’avait perçu il y a presque un quart de siècle,  le journal Le Monde (11 septembre 1998), en rendant compte du livre d’André Touret, « En un temps où politiciens et scandales vont souvent de pair, il serait dommage  d’ignorer ce récit d’une vie exceptionnelle vouée au bien commun et qui est une part de notre histoire ».

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◘ Une vue arrière du monument, restauré à l’occasion du 80è anniversaire (photo Laurence Debowski)

C’est cette réflexion qui a contribué à donner une nouvelle orientation à la cérémonie commémorative de l’assassinat de Marx Dormoy, à l’occasion du  80ème anniversaire. Finis les hommages en ordre dispersé, place à un cérémonial unitaire proposé par la municipalité : “S’il est une figure montluçonnaise qui a marqué son époque, notre ville mais aussi notre histoire, en réussissant à faire l’unanimité au cœur de la population comme dans celui de ses successeurs à la mairie de Montluçon, c’est bien Marx Dormoy. Homme pétri de convictions et d’humanisme, maire de Montluçon, député puis ministre de l’Intérieur, assassiné pour ses idées le 26 juillet 1941, il est un modèle pour toutes et tous”, pouvait-on lire dans le magazine municipal Montluçon notre ville (juillet 2021 – n° 690). Pour le maire actuel, Frédéric Laporte, successeur de Daniel Dugléry, il s’agissait de “perpétuer sa mémoire dans une continuité à la fois historique, politique et humaine”.  Et de préciser : “j’ai souhaité associer les élus de toutes sensibilités politiques et les associations concernées du bassin montluçonnais afin que nous soyons toutes et tous réuni(e) s, aux côtés de la population, pour raviver la mémoire de ce grand homme, véritable phare de notre histoire locale et nationale, qui ne doit jamais s’éteindre.” Un appel à l’unité qui a été renouvelé le  26 juillet  et qui semble avoir été entendu, au point que la cérémonie unitaire du 80ème anniversaire devrait le rester à l’avenir.

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◘ Une assistance plus nombreuse pour une cérémonie  unitaire (photo RMB)

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• Pour l’occasion, la commémoration qui a rassemblé une assistance nettement plus nombreuse que celle des années passées, a retrouvé une part de son aura. Certes, le  ministre de l’Intérieur, officiellement invité, était absent, mais il avait délégué  sa  représentation au préfet de l’Allier. Absents également, le président de l’assemblée nationale, Richard Ferrand, et le premier secrétaire du Parti socialiste, Olivier Faure, mais tous les deux avaient choisi de désigner un représentant commun, en la personne de   David Habid, vice-président de l’assemblée nationale.  Le quotidien La Montagne pouvait donc titrer, le 27 juillet,  “Marx Dormoy célébré dans l’unité”, en précisant  que la commémoration “prendra  désormais une  tournure officielle et unitaire”.

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◘ La Montagne (27 juillet 2021)

•  Le même jour et à la même heure, c’est la ville de Montélimar qui rendait   hommage à Marx Dormoy. Sur la place portant son nom, près de ce qui fut l’hôtel du Relais de l’empereur,  le maire de Montélimar, Julien Cornillet,  inaugurait une stèle surmontée d’un buste de Marx Dormoy, réalisé par l’artiste drômois Fernand Gréco. Quatre-vingts ans, c’est donc  le temps qu’il aura fallu pour renouer avec une mémoire unie…

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BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages consultés :

Sur la vie, la carrière, l’œuvre  de Marx Dormoy :

  • Rougeron (Georges) : Marx Dormoy (1888-1941) (Grande imprimerie nouvelle, 1956)
  • Touret (André): Marx Dormoy (éditions CREER, 1998).
  • Touret (André): Montluçon 1940-1944 : La mémoire retrouvée (éditions CREER, 2001)
  • Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier : notice Marx Dormoy rédigée par Justinien Raymond, accessible en ligne. 

◘ Sur l’arrestation de Marx Dormoy, son internement et son assassinat :

  • Berlière (Jean-Marc): Les grandes affaires criminelles, du moyen-âge à nos jours (éditions Perrin, 2020). Le chapitre consacré à l’assassinat de Marx Dormoy (pp.255 – 276) est sous-titré Questions autour d’un attentat politique.
  • Berlière (Jean-Marc): Polices des temps noirs (1939-1945) (éditions Perrin, 2018)
  • Bourdrel (Philippe): Les cagoulards dans la guerre (éditions Albin Michel, 2009)
  • Bourdrel (Philipe): La grande débâcle de la Collaboration (éditions du Cherche Midi, 2011)
  • Brunelle (Gayle K.), Annette Finley-Croswhite (Annette): Assassination in Vichy. Marx Dormoy and the struggle for the soul of France (éditions University of Toronto Press, 2020).
  • Chenevier (Charles): De la Combe aux Fées à Lurs. Souvenirs et révélations (éditions Flammarion, 1962)
  • Cointet (Michèle), Cointet (Jean-Paul): Dictionnaire historique de la France sous l’Occupation (éditions Tallandier, 2000)
  • Guérin (Daniel) : La Résistance : Chronique illustrée 1930-1950 (éditions Omnibus, 2010)
  • Kauffer (Rémy): Les femmes de l’ombre (éditions Perrin, 2017)
  • Néaumet (Jean-Émile): Les grandes enquêtes du commissaire Chenevier, de la cagoule à l’affaire Dominici (avec de larges extraits des interrogatoires d’Anne Mourraille et d’Yves Moynier, et des reprises d’extraits des Mémoires du commissaire Chenevier) (éditions Albin Michel, 1995)
  • Tournoux (Jean-Raymond): L’Histoire secrète. La Cagoule, le Front populaire, Vichy, Londres, (éditions Plon, 1962).

Presse :

  • Collections numérisées de la presse départementale (site des archives départementales de l’Allier) : Le Centre, Le Centre républicain, Centre-Matin (Montluçon), Valmy (Moulins), Le Combat social
  • Collections numérisées de la presse nationale (Bibliothèque nationale : BnF Gallica Presse et Retronews) : Le Populaire,  L’Aurore, Combat, Franc-Tireur, France-Soir, Je suis partout, Candide.
  • Archives Journal Le Monde

Sites Internet :

Témoignage :

  • Mme Michèle Halligan petite-nièce d’Annie Mourraille, a apporté au fil de nombreux échanges, des informations précieuses qui ont permis de mieux cerner sa personnalité, ses idées et son devenir après 1945.