HOMMAGE: JEAN-PIERRE PETIT (1945-2023), BOURBONNAIS PASSIONNÉMENT, NOUS A QUITTÉS

Jean-Pierre Petit

Le monde des Lettres et des Arts en Bourbonnais vient de perdre un de ses très grands serviteurs, avec la disparition de Jean-Pierre Petit, survenue au terme d’une brève mais cruelle maladie. À soixante-dix huit, ans, ce passionné qui avait mobilisé toute son énergie pour faire renaître les Cahiers Bourbonnais en 1984 et qui les avait portés à bout de bras jusqu’en 2016, a tiré sa révérence. Grand est le vide qu’il laisse auprès de celles et de ceux qui ont eu la chance et l’honneur de le côtoyer ou de travailler à ses côtés.

Né le 5 juillet  1945, à Montmarault, où son père Jean-Baptiste Petit était ce qu’on appelait alors un  « médecin de campagne » il était le cadet de la fratrie, « le plus turbulent », aimait-il à confier. La disparition brutale de ce père  qu’il admirait, victime d’une accident de la route en 1962, devait constituer une grande fêlure dans sa vie, comme l’ont rappelé ses enfants lors de la cérémonie d’obsèques. 

• Il avait débuté sa vie professionnelle à Charroux, comme coquetier, prenant la suite  de son grand père qui avait fondé une petite entreprise familiale. Après la disparition de celle-ci, dans un monde rural en transformation, il avait poursuivi dans le monde du négoce des œufs, au sein d’une grande entreprise, ce qui l’avait amené à parcourir la France entière. “Quand j’étais dans l’œuf...” était la formule qu’il aimait à utiliser, lorsqu’il évoquait cette étape de sa vie.

La Cour des dames (Page FB“ Cour des Dames”)

•À l’aube des années 1970, il avait fondé une famille en épousant Solange Depresle et   le couple s’était d’abord  installé dans la maison grand-paternelle de Charroux puis au cœur du village, dans cette Cour des Dames qui avait été jadis le centre du pouvoir. Pendant plus d’une décennie, il s’était consacré à la restauration de ce qui était alors presque une ruine, tout comme plus tard il devait se consacrer à la restauration de la commanderie de la Marche. Ce faisant, il n’avait pas hésité à consulter des spécialistes, comme l’architecte et érudit moulinois, Marcel Genermont. Entre temps, la famille s’était agrandie, avec la naissance de quatre enfants.

• Au mitan des années 1980, sa vie professionnelle avait pris un tout  autre cours. Alors que les vénérables Cahiers bourbonnais, fondés en 1956,  semblaient voués à disparaître, après le décès de Marcel Genermont (1891-1983), leur fondateur, il avait osé relever un double défi : non seulement les faire reparaître mais aussi  les développer, en attirant de nouvelles générations de collaborateurs et de lecteurs. Un pari un peu fou, qui en avait laissé plus d’un sceptique, quant aux chances de réussir, d’autant que Jean-Pierre Petit n’avait guère d’expérience dans le domaine l’édition.

• C’était oublier l’audace, l’opiniâtreté et  la passion de l’homme pour son cher Bourbonnais, tout autant que  sa force de persuasion lorsqu’il fallait  convaincre écrivains, poètes, historiens de lui confier leurs écrits. Il avait aussi pu trouver une oreille attentive auprès d’hommes politiques tels que le socialiste  Georges Rougeron (1911-2003) ou le centriste Jean Cluzel (1923-2020), qui lui avaient apporté leur soutien, en véritables  lettrés qu’ils étaient. En même temps il avait  renoué avec les annonceurs qui allaient soutenir la revue. En juin 1986, deux ans à peine après la reprise des Cahiers, il était revenu sur l’histoire de la revue et sur ses projets, devant les caméras de France 3 Auvergne (voir l’extrait-dessous).

CB 121 1987Dès le printemps 1984, les Cahiers bourbonnais reparaissaient et, pendant 32 ans, au fil de leurs 127 numéros, auxquels il faut ajouter  6 hors-série particulièrement copieux,  ils allaient devenir un rendez-vous trimestriel attendu avec impatience par un lectorat dont le nombre allait croissant. En parallèle, il avait su impulser une modernisation du contenant, donnant un aspect moins austère à la revue,  tout en développant le contenu, notamment les fameuses Chroniques. Ces milliers de petits articles reflétant l’actualité bourbonnaise, sous toutes ses formes, qu’elles soient politiques, artistiques, littéraires, culturelles, économiques… Une véritable mine dans laquelle  chercheurs et historiens viennent  aujourd’hui puiser pour leurs travaux. En quelques années la revue avait également doublé sa pagination, jusqu’à atteindre les 148 pages dès les années 1990.

img010• À  ceux qui avaient prédit que l’aventure ne durerait pas, Jean-Pierre Petit avait opposé un ferme  démenti  puisque, dès 1986, à Moulins, les Cahiers avaient pu fêter leur trentenaire, suivi d’un quarantenaire à Montluçon et, enfin, d’un cinquantenaire à Tronçais. Il s’en est fallu de peu pour que le soixantenaire ne soit lui aussi célébré, mais le destin en avait décidé autrement: l’aventure allait cesser définitivement au printemps 2016, avec la parution d’un ultime numéro. Comme tant d’autres avant elle et après elle, la revue avait dû stopper sa parution, victime de la crise… mais  aussi d’un  manque de soutien certain,  de la part des institutions jadis partenaires. Ce que déplorait amèrement Jean-Pierre Petit, dans les “ultima verba” qu’il avait signés en tête du n° 234. À la différence de 1984, le “miracle” d’une reprise des Cahiers bourbonnais ne se reproduisit pas, preuve s’il en était besoin que la  tâche de tenir le gouvernail était particulièrement lourde. et qu’il fallait une grande dose de témérité pour l’accepter.

Le comité de rédaction en 2014. De gauche à droite: Maurice Sarazin, Jean-Pierre Petit, Jean-Paul Perrin et Maurice Malleret

• Au-delà de la revue, les Cahiers bourbonnais ont été aussi une des principales maisons d’édition établies en Bourbonnais, arborant fièrement leur label  ECB. En une trentaine d’année, Jean-Pierre Petit qui se disait modestement « faiseur de livres » avait publié plus de 250 ouvrages, y compris des livres dont il savait qu’ils ne seraient sans doute pas des plus rentables mais dont il  était sûr qu’ils feraient date, par la richesse de leurs apports. Ce fut le cas entre autres, pour L’encyclopédie des auteurs du pays  Montluçonnais, de Maurice Malleret, en 1995, ou plus récemment des trois tomes des Bourbonnais célèbres et remarquables, de Maurice Sarazin, une somme inégalée totalisant plus de 2300 biographies. Quant aux autres auteurs, impossibles à citer ici tant ils furent nombreux, ils  n’ont certainement pas démérité, bien au contraire, chacun ayant trouvé son public, de l’amateur de poésie à l’adepte du roman régional, du passionné d’histoire bourbonnaise au féru de patrimoine.

Jean-Pierre Petit, croqué par Jean Vennetier (1995)

À sa casquette d’éditeur, Jean-Pierre Petit ajoutait celle de diffuseur, faisant la tournée des libraires du département pour promouvoir sa revue et les livres de ses auteurs. Si l’arrêt de la maison d’édition en 2016 avait été un moment douloureux pour lui, du moins pouvait-il se retirer avec le sentiment d’avoir pleinement accompli la mission qu’il s’était fixée, celle  d’être un de ces “ mainteneurs” du Bourbonnais, ferraillant parfois avec la communication officielle qui faisait de l’Allier, le simple “Portier de l’Auvergne, comme” le suggérait un slogan des années 1990 (“L’Allier, porte de l’Auvergne”). 

• Pendant  trente deux années,  il aura consacré une grande partie de son existence à tenter de convaincre ses interlocuteurs que le combat qu’il menait à travers les Cahiers bourbonnais était tout, sauf un combat d’arrière garde. Son ultime et sans doute plus cruel regret aura été de ne pas avoir eu  de continuateur, en premier lieu pour les Cahiers Bourbonnais. Les raisons de son engagement et de son attachement profond  au Bourbonnais, il avait eu l’occasion d’y revenir une nouvelle fois  dans un article qu’il avait confié à Vu du Bourbonnais. 

Denis Tillinac, Jean-Pierre Petit et Alain Carteret (août 2012)

• Pour brosser un portrait encore plus complet de l’homme de contact et de dialogue qu’il était, véritable érudit, jamais ennuyeux mais toujours passionnant autant que passionné,  pour tout ce qui touchait aux Bourbons et au Bourbonnais, il faudrait aussi rappeler ses nombreux engagements au sein de différentes associations. On se contentera de rappeler qu’il siégea au sein de l’Académie du Vernet dont il assuma la présidence de 2008 à 2017. On pourra aussi rappeler que, dans la droite ligne d’un Marcel Contier, il fut un ardent défenseur de la race du Braque du Bourbonnais. 

• À soixante-dix huit ans, cet homme de bien et de  passion a  définitivement tiré sa révérence, laissant un vide immense pour  celles et ceux qui ont eu la chance et l’honneur de le croiser  ou de travailler à ses côtés. C’est en présence d’une assistance nombreuse que ses obsèques ont été célébrées le vendredi 21 juillet,  en l’église Saint-Jean-Baptiste de Charroux, dans ce village où il s’était profondément enraciné depuis un demi-siècle. Maurice Sarazin et le signataire de ces lignes, qui eurent l’honneur de faire partie de l’aventure des Cahiers Bourbonnais, s’associent à la douleur de son épouse, de sa famille, de ses amis et de ses proches. Qu’ils soient assurés de toute notre sympathie en ces douloureuses circonstances. Nul doute que, là où il est, Jean-Pierre Petit  continuera d’animer avec autant de passion les mémorables comités de rédaction de ses Cahiers bourbonnais. Autour de la table au tapis vert, on l’imagine déjà débattant du contenu du prochain numéro,  avec ceux qui l’accompagnèrent, pour la plupart  eux aussi disparus, entre un Paul Majeune, un Maurice Malleret et bien d’autres. On ne doit certainement pas s’y ennuyer…

Jean-Paul PERRIN

allier-infos@sfr.fr

• Bibliographie: En dehors des éditoriaux qui ouvraient la plupart des numéros des Cahiers Bourbonnais (Les CB vous parlent), Jean-Pierre Petit avait publié en 1995 une plaquette intitulée  Charroux en Bourbonnais,Guide de visite et introduction à l’histoire de la cité médiévale, comprenant le plan de la ville et l’implantation de ses anciens fossés secs”. Dans les colonnes des Cahiers figure aussi la retranscription de plusieurs discours dont ceux    prononcés lors de la remise du prix Allen, à Bransat, en 1997 (n° 161), et lors des 30ème (1986), 40ème (1996) et   50ème anniversaire (2006) des Cahiers bourbonnais, respectivement à Moulins (n° 116), à Montluçon et en forêt de Tronçais  (n°196). On pourra également relire  les propos qu’il avait tenus  lors de la cérémonie en hommage à Marcel Genermont, au conseil général de l’Allier (n° 107), au cours de laquelle il avait annoncé sa volonté de faire reparaître les Cahiers bourbonnais.

3 commentaires

  1. Bien cordiales condoléances à la famille de M. Jean-Pierre Petit, dont le dévouement à l’histoire locale fut exemplaire.
    François-Xavier Duchon, ancien président de la Société d’Emulation du Bourbonnais.

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    • Merci M. Duchon pour votre message. M. Petit était fier d’avoir pu maintenir avec les Cahiers Bourbonnais l’héritage culturel de leur fondateur, M. Marcel Genermont, qui fut jadis président de l’Émulation et qui publia ces Cahiers jusqu’à son dernier souffle.

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  2. Jean-Pierre Petit incarna le Bourbonnais. Il nous montra durant toute sa vie que le combat pour une vraie culture régionale est une exigence de chaque instant. Il fut un éclaireur que nous garderons toujours en point de mire.

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